13.05.10 | Kiki de Murakami a été vendu le 12 mai chez Christie’s New-York 920 000 euros ( 1 314 500 dollars ), au-dessus de son estimation la plus haute ( 600 000 - 800 000 euros ), une augmentation de 130% de sa valeur, son prix d’achat en 2008 s’élevant à 400 000 euros.
07.05.11 | actualisé le 09.05.11 | LE 12 MAI APRÈS-MIDI, à New-York, chez Christie’s, propriété de François Pinault, sera mise aux enchères la sculpture Kiki de Takashi Murakami, troisième exemplaire d’une série de cinq, parmi d’autres pièces contemporaines d’un important collectionneur européen dont on ignore l’identité. L’ensemble est estimé à près de 6 millions d’euros selon Art Daily. Kiki en est une pièce maîtresse et sa photo fait la couverture du catalogue de séance. Cette oeuvre n’est pas celle exposée fin 2010 au Château de Versailles qui appartenait, elle, à l’artiste comme le stipulent les documents de présentation officiels. D’ailleurs les deux sont sensiblement différentes (couleur du pied de la statue et des têtes de morts au bout de la pique, motifs des fleurs) [1]. Néanmoins, elle est présentée comme telle par la maison d’enchères, dans sa fiche de présentation sur Internet que l’on retrouve dans le catalogue de vente pages 176-179 (p.186-189 dans le catalogue en ligne). Est-ce l’usage pour un multiple ? Pas vraiment si l’on en juge par la fiche de présentation d’une oeuvre de Jeff Koons dont l’un des exemplaires avait été exposé à Versailles en 2008 et dont un autre passe aux enchères chez Sotheby’s New-York le 10 mai [2].
Sur la fiche de présentation de Kiki chez Christie’s, le Château de Versailles apparaît dans la liste de ses lieux d’exposition avec la mention « illustrated » contrairement à d’autres de la liste où il est précisé qu’il s’agit d’un autre exemplaire : « another example exhibited ». Dans le catalogue, la statue est illustrée pleine page, photographiée dans le Salon de Vénus, légendée ainsi : « Installation view of the present lot, Murakami Versailles, Château de Versailles, France, September -Décember 2010 » [3]. En vis-à-vis, une photo plus petite d’un autre exemplaire de Kiki, non signalé (on le remarque à la couleur du pied), au Museum of Contemporary Art de Tokyo. La note descriptive fait état de son exposition à Versailles qui, nous dit-on, a remporté un grand succès : « In 2010, Murakami exhibited his cartoon-inflected sculptures including the warrior couple Kaikaikiki to great acclaim, showcasing them amongst the opulent and majestic surroundings of the Chateau de Versailles. Standing on guard at the entrance to the Louis XIV salon, these guardian spirits : Kaikai with his mouth creased in an engaging smile and Kiki with a gaping two-toothed grin, echoed the komainu statues guarding Shinto shrines in Japan ».
Qui peut comprendre que la sculpture en vente n’a en réalité jamais été exposée à Versailles ? La confusion est totale. Toujours est-il que le palais de Louis XIV reste visiblement son meilleur argument de vente. Une curieuse méthode commerciale qui rappelle celle utilisée, en novembre 2009, pour une oeuvre de Jeff Koons mise en vente toujours chez Christie’s New-York, double d’une autre précédemment exposée à Versailles. En consultant le catalogue la montrant dans la Chambre de la Reine, on pouvait croire qu’il s’agissait du même exemplaire, or il n’en était rien. Seule une indication très discrète pouvait le faire comprendre, le fameux « another example exhibited » qu’il fallait comprendre. Là, pour Kiki de Murakami, ce n’est même pas le cas.
Vendu séparément de son double Kaikai, Kiki de Murakami a pris monétairement du galon puisque, aujourd’hui estimé entre 600 000 et 800 000 euros, ce même exemplaire a été vendu 400 000 euros, soit deux fois moins, il y a à peine trois ans chez Sotheby’s Londres [4]. Mais mieux que ça, un ensemble du couple Kiki & Kaikai - cinquième de la série - passé en vente en octobre 2010 chez Christie’s Londres, avait été estimé entre 450 000 et 670 000 euros pour être vendu jusqu’à cinq fois plus, 2,2 millions d’euros [5]. La vente s’était produite en même temps que l’exposition Murakami à Versailles, un hasard sans doute. Une bonne nouvelle pour l’artiste dont la cote, l’année précédente, était au plus bas. Sa rétrospective à Versailles, en le remettant « sous les feux de la rampe » comme l’écrivait le site expert Artprice, lui ouvrait l’espoir d’une reprise de ses affaires, ce qui s’est alors vérifié [6].
A New-York, le 12 mai prochain, seule une des deux statues sera mise aux enchères mais son estimation est supérieure à celle des deux vendues en lot unique quelques mois plus tôt ! Pas mal. Merci qui ? Merki Versailles. De quoi conforter l’analyse du critique d’art britannique Ben Lewis et raviver les interrogations si finement posées par la sociologue Nathalie Heinich, spécialiste de l’art contemporain, dans une tribune parue en janvier dernier dans Libération et étrangement restée sans réaction. Mais si scandale il y a, il est ailleurs : Kiki ne va-t-il pas se sentir seul sans son Kaikai ?
BONUS POUR LES FANS DE MURAKAMI
Clip de la chanson « Turning Japanese » interprétée par l’actrice américaine Kirsten Dunst mangaïsée et produit par Takashi Murakami dont on voit quelques oeuvres peluches et qui traverse fugitivement l’écran façon Hitchcock. Deux personnalités qui ont comme autre point commun Versailles, lui pour y avoir exposé, elle pour avoir incarné Marie-Antoinette dans le film de Sofia Coppola. Ce clip a été présenté à l’exposition « Pop Life » à la Tate Modern de Londres en 2009.
[1] L’exemplaire mis en vente chez Christie’s a le pied argenté, les têtes de morts au bout de la pique sont blanches. Celui de Versailles avait le pied peint en rose, la tête de mort centrale était peinte en noire, les orbites des deux autres de couleurs. On remarque également des différences dans la disposition des fleurs sur la sphère.
[2] Dans la liste des lieux d’exposition de sa fiche de présentation, Versailles n’apparaît pas. En revanche, dans la littérature qui s’y rapporte, plusieurs articles et livres concernant l’exposition à Versailles sont bien répertoriés, en précisant entre parenthèses qu’il ne s’agissait pas du même exemplaire.
[3] Il semble plutôt s’agir d’un photomontage superposant deux photos où l’oeuvre exposée apparaît inversée.
[4] Estimation 2011 : 900 000 - 1 200 000$ / Prix de vente 2008 : 361 250£.
[5] Estimation : 400 000 - 600 000£ / 633 200 - 949 800$ / Prix de vente : 1 945 250 £ / 3 079 331$.
[6] En octobre 2010, nous écrivions dans un article consacré à cette vente concomitante à l’exposition Murakami Versailles : « Le New-York Observer rappelait dernièrement qu’une vente directe de Murakami, sur le mode de celle de Damien Hirst qui avait fait scandale en septembre 2008 mais lui avait permis d’empocher 110M€, avait été annulé en 2009 chez Sotheby’s faute à la crise, contraignant l’artiste japonais, ou plutôt ici le business man, à licencier une partie du personnel de ses entreprises qui emploient aujourd’hui plus d’une centaines de personnes entre Tokyo, New-York et Los Angeles. Le site expert Artprice, dans un portait très instructif et des plus édifiants de Takashi Murakami, rappelait il y a quelques jours que l’avisé artiste-homme d’affaires pour qui »la distinction entre l’œuvre d’art et le produit dérivé est annihilée« , avait vu ses recettes s’effondrer de 8M€ en juillet 2008 à 3,4M€ en juin 2009. La même année, plusieurs de ses pièces importantes passaient aux enchères sans trouver preneurs. Heureusement qu’il y eut la finalisation d’une commande passée trois ans auparavant par François Pinault : une gigantesque toile de 16 panneaux, »The Emergence of God at the Reversal of Fate« qui trouvera place à La Pointe de la Douane, nouveau centre d’art contemporain du collectionneur à Venise, ensemble qualifié de chef-d’oeuvre autant par Libération que par Les Inrocks. Malgré cette éclaircie, l’année 2009, pour Murakami, ne fut guère brillante. Aussi sa rétrospective à Versailles, en le (re)mettant »sous les feux de la rampe« comme l’écrit Artprice, lui ouvre l’espoir d’une reprise de ses affaires. »