16.07.10 | EN CES TEMPS TOURMENTÉS où la confiance envers nos élites politiques est quelque peu érodée, voilà qui ne va pas favoriser un sentiment contraire. L’année dernière, dans son rapport sur la gestion des services de la Présidence de la République, la Cour des comptes n’avait pu que constater la confusion entourant l’identification des meubles et objets d’art nationaux en dépôt dans les différentes résidences présidentielles [1]. Ce qui était en soi consternant, vu les trésors que l’Elysée s’octroie pour faire briller la France aux yeux de ses hôtes mais qui en prive de fait ses vrais propriétaires, citoyens et visiteurs de musées. Des réquisitions d’autant moins justifiées quand il s’agit de résidences quasi privées comme la Lanterne à Versailles ou le Fort de Brégançon dans le Sud. Un récolement avait bien été initié en 2007, sans rapport avec la prise de fonction de Nicolas Sarkozy, mais pour ce qui relevait du Mobilier national l’Elysée n’avait pu le produire à la Cour, le déposant n’ayant « pas encore effectué le récolement de ses propres stocks ». Quant au reste, dépôts des musées nationaux, de la Manufacture de Sèvres et du Fonds national d’art contemporain (FNAC), le rapport n’en parlait même pas. Un inventaire sur support informatique était en cours d’élaboration.
Un an plus tard, où en sommes-nous ? L’inventaire n’est pas fini mais il a déjà pu révéler « une situation aussi défectueuse que dans les autres administrations de l’Etat ». Allusion à la commission de récolement qui travaille depuis 1997 à localiser les dépôts d’oeuvres d’art dans les ambassades, ministères et autres lieux de la République suite à un rapport déjà catastrophiste de la Cour des comptes en 1996 [2]. En 2009, à la demande de la ministre de la Culture Christine Albanel, la commission présidée par Jean-Pierre Bady rendait public un état des lieux consternant, 16 600 objets s’avérant non localisables sur plus de 133 000 dispersés ici et là, soit 10% du total ! Sans compter les 28% d’oeuvres restant à récoler et les 122 000 dépôts relevant de la seule Manufacture de Sèvres non vérifiés. Le cancre se révélait être le ministère de l’Education avec 45,7% d’oeuvres disparues. L’Elysée, dans le travail de la commission, était épargné, son récolement débutant à peine.
Depuis 1997, la commission révélait que seulement 845 pièces avaient pu être retrouvées quand les plaintes pour vol des objets les plus précieux s’accumulaient. Déjà 1000 en dix ans. Initiative encouragée en 2004 par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin sous la menace, pour les institutions dépositaires, de se voir réclamer un titre de perception d’un montant égal à la valeur estimée de l’objet disparu [3]. Ces plaintes quand elles ne sont pas classées sans suite par les procureurs de la République, ce qui arrive trop souvent aux yeux de la commission, sont traitées en toute discrétion par l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) dépendant du ministère de l’Intérieur, les objets photographiés se retrouvant sur le fichier TREIMA (Thesaurus de Recherche Electronique et d’Imagerie en Matière Artistique) parallèlement aux listes établies par le Conseil international des musées (ICOM) dans le cadre de la lutte contre le trafic illicite des biens culturels. Si la République semblait prendre la mesure de la gestion catastrophique de ses dépôts d’art, Didier Rykner publiait en mai 2009 sur le site www.latribunedelart.com une enquête pointant les nombreuses irrégularités entourant certains d’entre eux, assombrissant un peu plus le tableau.
67 OBJETS REMARQUABLES PORTÉS DISPARUS
Pour la Présidence, en 2009, effectivement la situation n’est pas meilleure que pour les autres institutions de la République. Mené par deux agents du Mobilier national, le pré-inventaire a relevé « des divergences de chiffres » conséquentes entre les données en possession de l’Elysée et celles des déposants. Pour exemple, le palais comptabilise une centaine de dépôts des musées nationaux dont aucune pièce ne manquerait quand les chargés de l’inventaire en ont répertoriés 148 dont 109... « pas encore identifiées », c’est-à-dire non localisables.
La Cour, sur la base de ce premier inventaire, ne peut que constater « l’ampleur des disparitions ». C’est le terme. Ainsi, pour la Présidence, « 67 objets dits remarquables n’ont plus été vus depuis des années allant de 1994 à 2002 ». Et ce chiffre pourrait aller en s’accroissant, à mesure que l’inventaire se poursuit. Cette effarante situation, la présidence de Nicolas Sarkozy n’en est pas responsable, elle concernerait plutôt ses prédécesseurs. En l’occurence l’administration de Jacques Chirac puisque le dernier récolement connu à l’Elysée remonte aux années 1994-1996, soit au début de son premier mandat en mai 1995. Avant, qu’en était-il ? Mystère. Depuis, plus rien.
Mais face à cette situation improbable, le rapport de la Cour des comptes refuse de parler de vol comme nous le dit le reportage de BFMTV (voir ci-dessous) et conclue à « l’impossibilité d’engager une responsabilité pénale » estimant difficile, faute de suivis réguliers, « de situer précisément les disparitions dans le temps et dans l’espace ». Drôle de clémence pour l’Elysée au regard de ce que l’on exige avec raison dans les lieux secondaires de la République. L’Elysée, à ce titre comme dans d’autres, ne se doit-il pas d’être exemplaire ? Comme citoyen, on ne comprendrait pas cette indulgence. Quand on loue un meublé, n’est-on pas responsable de l’état des lieux quand on le quitte ? Pour nos élus, cela doit être pareil. Encore plus pour le premier d’entre eux. On ne confie pas les clefs des palais de la République pour les voir se vider.
L’Elysée s’est engagé à terminer l’inventaire. Pour accélérer le rythme, on vient même d’engager « pour une période de six mois un stagiaire formé à l’histoire de l’art ». Pourquoi pas un CDD ? On ne sait pas, la précarité s’immisce donc jusqu’à l’Elysée. Mais, surtout, la Cour des comptes engage les services de la Présidence à ne pas relâcher l’attention et à maintenir à l’avenir un suivi régulier des meubles et objets nationaux en dépôt dans ses résidences. Afin d’éviter « les errements antérieurs » et que, ce faisant, ils ne soient « assurés de la même impunité ». Qu’en termes diplomatiques ces mots là sont dits...
EXTRAIT DU RAPPORT 2009 POUR L’ANNÉE 2008
"L’inventaire du patrimoine mobilier reste incomplet - La plupart des biens qui meublent les bureaux et les résidences de la Présidence appartiennent au Mobilier National. Ils ont fait l’objet d’un récolement au moment de votre installation. La Cour n’a pas pu avoir communication des résultats complets du travail entrepris dans la mesure où le Mobilier national n’a pas encore effectué le récolement de ses propres stocks.
A ce stade, la Cour constate l’absence d’une base de données exhaustive des mobiliers et des oeuvres d’art se trouvant dans les différentes résidences présidentielles. La Cour ne peut que recommander la mise en place rapide d’un inventaire sur support informatique dont il lui a été indiqué qu’il était en cours d’élaboration et qu’elle examinera lors de son prochain contrôle."
:: Source et rapport intégral de la Cour des comptes | 15.07.09 www.ccomptes.fr
EXTRAIT DU RAPPORT 2010 POUR L’ANNÉE 2009
"Le patrimoine mobilier - La Cour avait relevé l’absence de bases de données exhaustives des mobiliers et oeuvres d’art se trouvant dans les résidences présidentielles et avait recommandé la mise en place d’un inventaire sur support informatique qui était à peine amorcé. De fin 2007 à 2009, un récolement exhaustif du mobilier déposé dans les immeubles affectés à la Présidence de la République a été réalisé. Ce récolement, s’il a fait ressortir une situation aussi défectueuse que dans les autres administrations de l’Etat, a été pour vos services l’occasion d’engager un effort de remise en ordre qui, s’il est mené à son terme, dotera la Présidence de la République des moyens de restaurer en ce domaine les méthodes d’une bonne administration.
Ce récolement exhaustif, qui n’avait plus été entrepris depuis les années 1994-1996, a été confié à deux agents du Mobilier national au nom de l’ensemble des déposants (le Fonds national d’art contemporain (FNAC), les Musées nationaux, le Mobilier national). Un travail préliminaire, validé auprès de vos services pour le Mobilier national, ne l’a pas encore été pour le FNAC et pour les Musées nationaux. Cette validation contradictoire s’impose d’autant plus que des divergences de chiffres existent entre les données en possession de vos services et celles que détiennent les déposants, les unes et les autres reposant souvent sur des recensements anciens et d’une fiabilité incertaine. A titre d’exemple, s’agissant des dépôts des Musées nationaux, les services de l’Elysée en ont fixé le nombre à une centaine et aucun ne serait manquant ; le récolement provisoire effectué par le Mobilier national aboutit à 148 oeuvres dont 109 n’auraient pas encore été identifiées.
Au terme de cette opération, à l’Elysée comme dans les autres administrations, ont été relevées :
l’ampleur des disparitions, remontant pour leur majorité à de nombreuses années,
l’impossibilité d’engager une responsabilité pénale, l’absence d’inventaire actualisé et de récolements réguliers interdisant en effet de situer précisément les disparitions dans le temps et dans l’espace.
Ainsi, sur la base des quelques actualisations partielles d’inventaire, 67 objets dits remarquables n’ont plus été vus depuis des années allant de 1994 à 2002.
A la suite de ce récolement en cours d’achèvement, vos services ont conçu un
logiciel simple et complet qui leur permettra désormais de tenir à jour un inventaire des oeuvres qu’ils détiennent en dépôt, comportant la date de ce dépôt, la nature de l’objet, ses caractéristiques, sa photographie, le lieu où il a été placé. Ce travail indispensable est en cours de réalisation. Achevé pour l’Hôtel d’Evreux (partie centrale du Palais), il restait à faire sur les deux ailes, faute de disposer d’un agent supplémentaire. Aussi les services de la Présidence viennent-ils de recruter pour une période de six mois un stagiaire formé à l’histoire de l’art afin de mener à son terme un recensement complet. La Cour estime ce recrutement d’autant plus heureux que, si l’on veut que l’effort entrepris depuis trois ans ne l’ait pas été en vain, il est indispensable qu’il repose sur un inventaire exhaustif et régulièrement actualisé, sans quoi, dans quelques années, faute de données fiables et tenues à jour, risqueraient de se reproduire les errements antérieurs, assurés de la même impunité."
:: Source et rapport intégral de la Cour des comptes | 13.07.10 www.ccomptes.fr
[1] A l’Elysée, c’est le service de l’administration et de la conservation des résidences présidentielles qui en a la charge. Ce service « assume également une mission de conservation des objets et oeuvre d’art déposés par le Mobilier National, la Manufacture de Sèvres, les Musées nationaux et le Fonds national d’art contemporain » peut-on lire sur le site Internet de la Présidence. Les résidences présidentielles actuelles sont : le Palais de l’Elysée, l’hôtel de Marigny qui le jouxte et qui loge les hôtes prestigieux du président, le fort de Brégançon à Bormes-les-Mimosas et la Lanterne à Versailles que Nicolas Sarkozy devenu Président a « piqué » au Premier ministre. La présidence Sarkozy a renoncé à trois autres résidences : le château de Rambouillet et le domaine de Marly-le-Roi dans les Yvelines mis à la disposition du ministère de la Culture depuis le 1er juin 2009 et le domaine de Souzy-la-Briche en Essonne affecté au services des Domaines à compter du 1er juillet 2010 qui devra décider de son sort. Les dépôts proviennent du Mobilier national, des musées nationaux, de la Manufacture nationale de Sèvres et du Fonds national d’art contemporain (FNAC).
[2] Rapport public particulier : les musées nationaux et les collections nationales d’oeuvres d’art (1997) et Rapport public général (1997) (3ème partie : la gestion administrative des collections, p. 91 et suivantes).
[3] Circulaire du Premier ministre du 3 juin 2004.