10.10.09 | LA NOUVELLE NOUS AVAIT ÉCHAPPÉ. Elle circulait pourtant depuis presque un mois dans les rédactions. Depuis qu’un confidentiel auto-promotionnel du Figaro le révélait le 19 septembre dernier : « Nicolas Sarkozy poursuit sa lecture des grands classiques de la littérature française. Il lit actuellement À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, dans la collection de la Bibliothèque du Figaro, présentée par l’académicien Jean d’Ormesson. » Merci la pub. Une précision, il s’agit en fait du second volume de la Recherche, « A l’ombre des Jeunes filles en fleurs », unique Proust publié jusqu’ici par la collection. Au prix de 14€90. Cher pour une soi-disant opération de démocratisation de la culture. Existe à moins de 8€ en édition de poche.
Bref, le même jour, le site Rue89 publiait une photo où l’on voyait effectivement le président, arrivant au sommet européen de Bruxelles en mars 2009, avec à la main un exemplaire Proust de la dite collection, au dos d’un dossier. Très discret. Et, hier, alors qu’on apprenait que Barack Obama venait de recevoir le Prix Nobel de la Paix, le site de L’Express publiait l’info suivante : « En septembre, les dirigeants de l’UMP évoquaient avec Nicolas Sarkozy une université d’été du Parti républicain qui s’était déroulée dans les années 1990 à Cabourg, lorsque le président s’est lancé dans une digression sur... Balbec, ville imaginaire de Normandie chère à Marcel Proust. Quelques jours plus tôt, des visiteurs du chef de l’Etat avaient remarqué qu’il laissait ostensiblement traîner, sur une table de l’Elysée, un volume d’A la recherche du temps perdu. »
La technique du livre qui traîne bien en évidence, sur une table de l’Elysée ou dans l’avion présidentiel, à la vue de tous et de quelques journalistes, avait déjà été utilisé comme le révélait encore L’Express le 18 juin 2009, citant les propos peu amènes d’un de ses ministres : « Pendant longtemps, il les a fait voyager avec lui, prendre l’air, voir du pays. Maintenant, il les ouvre ! ».
Toute une stratégie de communication donc, histoire de faire oublier la tragédie de ses déclarations moqueuses sur La Princesse de Clèves qui avaient réussi à choquer jusqu’à la très littéraire Christine Albanel alors ministre, d’en booster les ventes - comme quoi - et de se doter de l’aura culturelle qui lui manque, hormis Carla. Mais encore faut-il être crédible. Car on a du mal à imaginer l’hyper-speed président séduit par l’univers proustien. Sa lenteur, la finesse sophistiquée de son style, la profondeur de sa pensée, son goût pour l’introspection et la mise à distance de soi-même... Aux antipodes de l’orbite frénétique sarkozien qu’on imagine plus proche de « La princesse et le président » d’un certain VGE. Lui qui, en matière de théâtre, préfère applaudir Line Renaud plutôt que de « s’emmerder » devant une pièce de Jean-Luc Lagarce à la Comédie Française comme il le dit lui-même.
A moins, que Nicolas ait bénéficié de l’influence érudite de Frédéric, son nouveau ministre de la Culture, dont il avait jugé le sulfureux livre « La mauvaise vie » paru en 2005, « courageux et talentueux ». Fredo, lui-même grand amateur de Proust, avec qui il partage bien plus qu’un goût pour les phrases à rallonge, une certaine difficulté à vivre sa condition d’homosexuel - « Race, écrit Proust dans »Sodome et Gomorrhe« que ne publie évidemment pas Le Figaro, sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et le parjure, puisqu’elle sait tenu pour punissable et honteux, pour inavouable, son désir, ce qui fait pour toute créature la plus grande douceur de vivre... » - qui l’amènera, comme il y a cent ans le petit Marcel, à fréquenter les bordels à garçons.
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