22.02.11 | DEPUIS TRENTE ANS, Bernard Hennebert défend les usagers culturels en Belgique, des téléspectateurs aux visiteurs de musées, à travers notamment son site consoloisirs.be. A son invitation, nous nous sommes rendus là-bas fin janvier à l’occasion de la sortie de son quatrième livre pour lequel nous avons écrit la préface : « Les musées aiment-ils le public ? - Carnets de route d’un visiteur », éd. Couleur Livres : ’Le livre analyse comment divers musées sacrifient les droits de leurs visiteurs à la rentabilité : hausse important des entrées, présentation incomplète de la tarification, gratuités supprimées, interdiction de photographier, oeuvres annoncées mais retirées, préventes obligatoires et de plus en plus hâtives...". Nous avons profité de notre séjour pour visiter quelques musées et avons participé à deux conférences-débats. La première s’est tenue le 20 janvier à Bruxelles, dans le très bel hôtel particulier Hannon de style Art nouveau qui abrite désormais l’Espace photographique Contretype. Devant une centaine de personnes, nous avons débattu des relations entre musées et visiteurs. Nous avons cité comme mobilisation, rare, du public en France, l’exemple du musée d’Orsay, à Paris, qui, depuis quelques mois, interdit la pratique de la photo, ce qui entraîne de vives protestations. Cela a amusé le directeur de Contretype qui accepte sans problème la prise de vue dans la partie historique de son établissement, les touristes japonais affectionnant particulièrement de poser dans le magnifique escalier de l’Hôtel. La seconde rencontre a eu lieu deux jours plus tard, à Liège, dans l’auditorium du musée du Grand Curtius devant une vingtaine de personnes. Là encore, nous avons pu partager nos expériences avec la salle. Ces échanges ont montré le désir de parole du public - des publics - vis-à-vis de la pratique du musée. Avec Bernard Hennebert, sur la base de ce livre, nous comptons réitérer l’expérience et donner des conférences-débats là où l’on voudra bien nous accueillir, dans des musées ou des centres culturels.
POUR UN MOUVEMENT DE DÉFENSE DES USAGERS CULTURELS
Le débat à Bruxelles s’est déroulé en présence de Fadila Laanan, ministre de la Culture (PS) de la Communauté française de Belgique (l’une de ses trois communautés fédérales), celle-là même qui a créé le buzz, en début d’année, en présentant ses voeux dans un clip maison la mettant en scène dans ses bureaux tout ce qu’il y a de plus simple... face à un nounours ! A Bruxelles, on a moyennement apprécié, une partie des milieux culturels se sentant ridiculisée. D’ailleurs, ce soir-là, une personne dans l’assistance était venue avec une peluche qu’elle tenait ostensiblement sur ses genoux, ce qui fit sourire la ministre, qui n’avait pas non plus le choix. Mais la réduire à cet « accident » de communication serait injuste - imaginerait-on seulement, en France, nos ministres qui croulent sous les ors de la République avoir une telle distance vis-à-vis d’eux-mêmes ? - quand elle se soucie réellement du sort des usagers culturels. Sa présence au débat en était déjà le signe quand son homologue français, Frédéric Mitterrand, ne daigne même pas répondre aux questions à ce sujet, pas plus d’ailleurs que son compatriote Michel Draguet, directeur des Musées royaux que nous avons interrogé par mail et qui ne nous a pas plus répondu (voir plus bas). En 2006, Fadila Laanan a instauré la gratuité le premier dimanche du mois des collections permanentes de treize musées de la Communauté française, étendue pour toute l’année, aux groupes scolaires et aux organisations de jeunes [1]. Reste bien sûr la question de la publicité donnée à cette mesure pour qu’elle prouve toute son utilité.
Mieux que cela, à notre connaissance Fadila Laanan est la seule ministre de la Culture en Europe, si ce n’est dans le monde, à être allée plus loin, sous l’impulsion d’ailleurs de Bernard Hennebert, en dotant en février 2006 les établissements subventionnés par son gouvernement d’un « Code de respect des usagers culturels ». Pas seulement de nobles principes mais un dispositif gradué qui, en cas de plainte fondée d’un usager qui n’aurait pas trouvé d’issue par la médiation, pourrait aller jusqu’à la suppression de subvention ! On ne peut que louer ce premier pas d’importance, bien loin de ce qui se passe en France où tout va à l’inverse et où le ministère de la Culture pour chacun comme la Répression des fraudes couvrent dans les musées nationaux les pratiques les plus contestables, notamment tarifaires. Même si l’on peut regretter à l’instar de Bernard Hennebert toujours vigilant, que le code ne s’applique pas encore aux opérateurs privés et que le Bureau de conciliation n’a qu’un rôle consultatif. Il ne s’applique pas non plus à tous les musées de Belgique mais seulement ceux qui relèvent de la Communauté française, on verra que les musées royaux, sous l’impulsion de Michel Draguet, sont en train d ’emprunter une toute autre voie.
Mais c’est un début, une initiative à faire connaître et - pourquoi ne pas rêver ? - à reproduire. Cela traduit la nécessité, face à l’adoption grandissante de méthodes commerciales par les institutions culturelles publiques, d’organiser un contre-pouvoir pour défendre l’usager-client de certains abus. Parallèlement, en Belgique, s’est créée sur le mode associatif la Ligue des Usagers Culturels (LUC) à laquelle participe également B. Hennebert. Une idée que nous comptons bien importer en France... Et des initiatives commencent à voir le jour là-bas en partenariat avec le Centre de recherche et d’information des consommateurs (CRIOC), organisme belge de défense des consommateurs. A suivre...
MUSÉES ROYAUX - LE MUSÉE D’ART MODERNE SACRIFIÉ POUR LE MUSÉE FIN DE SIÈCLE
22.02.11 | Les MRBAB sont une institution fédérale chapeautée par Michel Draguet, universitaire et homme de culture, spécialiste de l’histoire de la peinture des XIXe et XXe siècles [2]. A ce poste depuis 2005, Sabine Laruelle (MR, centre droit), ministre de la Politique scientifique qui gère le portefeuille de la culture au niveau fédéral, l’a de plus nommé, en août 2010, directeur par interim des Musées royaux d’Art et d’Histoire (MRAH), autre institution bruxelloise qui regroupe quatre musées dont le plus connu est le Cinquantenaire [3]. Michel Draguet a entamé une réforme importante des établissements dont il a la charge, candidat à la présidence globale d’une structure qui mutualiserait leur gestion administrative, ce qui ne va pas sans crispations internes. Mais le sujet le plus polémique reste le redéploiement des collections pour aboutir à la création de nouvelles « entités muséales » selon son expression, jusqu’à des changements d’affectation de bâtiments. Une idée qui heurte ceux qui y voient un ravalement des musées actuels à la fonction de simples réserves. D’autant que les projets Draguet sont motivés non seulement pour leur intérêt culturel mais aussi et surtout pour leur attrait touristique ce qu’il assume entièrement, considérant que la Belgique n’a que trop tardé à appréhender la culture comme un outil de développement économique et les musées comme des vecteurs de rayonnement international. Ce qui lui vaut l’accusation de vouloir « marchandiser la culture » - par des « spécialistes en chambre » selon lui, ce qui est assez méprisant -, reproche qu’il balaie de la main parlant de « l’illusoire pureté de la culture drapée dans la noblesse du non-marchand », sans faire le distinguo entre le marché privé de l’art et le service public culturel [4].
On retrouve ici la même problématique que partout en Europe : comment concilier cette dimension économique et touristique à la vocation désintéressée des musées fondés comme des lieux d’éducation et de plaisir ouvert à tous, ce qui justifiait leur gratuité originelle les plaçant ainsi hors du circuit marchand (comme les bibliothèques qui ont globalement conservées ce principe), esprit qui s’est prolongé ensuite par une politique de tarifs abordables [5] ? Est-ce seulement conciliable ? Mais le principal reproche qu’on pourrait faire à Michel Draguet serait non pas de vouloir créer de « nouveaux » musées aux thèmes porteurs mais de mobiliser le maximum de moyens et d’attention sur eux-seuls et d’en négliger les autres, pénalisant ainsi leur public, tant local qu’international, parce que jugé en nombre insignifiant. C’est bien ce qui se passe dans les faits, ici comme ailleurs. Nous avons voulu interrogé Michel Draguet sur ces sujets, lui envoyant quelques questions par mail, nous n’avons reçu aucune réponse.
L’une des premières réalisations de sa gouvernance a été d’ouvrir en juin 2009 à grand renfort de publicité un musée Magritte dédié au célèbre peintre surréaliste belge (1898-1967). Un musée ayant bénéficié de travaux importants et d’une muséographie élaborée - complétés en janvier 2011 par de nouveaux travaux, ce qui a entraîné sa fermeture durant tout le mois - quand certaines salles du musée d’Art ancien auraient besoin d’un bon coup de fraîcheur et que le musée d’Art moderne est, lui, tout bonnement sacrifié provisoirement comme on va le voir. Disposant de suffisamment de personnel, un musée Magritte ouvert plus largement au public en amplitude horaire que les autres musées royaux dont certains sont carrément inaccessibles à la visite individuelle le week-end [6] ! Un musée doté d’un site Internet dédié digne de ce nom quand les autres musées royaux se contentent d’un site commun au design vieillot avec très peu de contenu. Un musée en réalité pas si nouveau que ça puisque constitué des tableaux de Magritte exposés jusque là dans le département d’Art moderne mais isolés ici sur trois étages du musée des Beaux-Arts de Bruxelles [7]. Ce qui a permis d’en faire payer l’accès 8€, 13€ avec l’ensemble des collections anciennes et modernes qui jusque là se visitait pour 5€, elles-même passant, dans le même élan, à 8€. Une belle entourloupe tarifaire signalée en son temps par le seul Bernard Hennebert, qui risque de se reproduire avec le nouveau chantier en vue.
Depuis février 2011, le département ou musée d’Art moderne est fermé pour travaux sans que d’ailleurs le prix d’entrée du musée des Beaux-Arts amputée de sa moitié ne baisse pour autant. L’ensemble des collections des XXe et XXIe siècles riches de Delvaux, Cobra, Broodthaers, Bacon, Moore, Cragg etc. pourraient bien n’être plus visibles avant 15 ans ! Car, à leur place, début 2012, ouvrira un nouvel espace dénommé « Musée Fin de siècle » où seront mis-en-scène les courants artistiques belges de la fin XIXe - début XXe, en résonance avec le riche patrimoine Art nouveau de la ville [8]. Un projet muséographique - et touristique - alléchant monté en partenariat avec la Bibliothèque royale et la Région bruxelloise, où l’on retrouvera les travaux d’artistes fantastiques comme Ensor, Horta, Rops, Van Rysselberghe ou Spilliaert. A quoi viendra se rajouter la fabuleuse collection Art Nouveau Gillion-Crowet acquise par dation. En soi, l’idée de ce musée Fin de siècle est on ne peut plus séduisante. Le musée d’Orsay, à Paris, n’a-t-il pas été créé en 1986 à partir des collections de plusieurs musées [9] ? Si ce n’est que celui-ci tient son identité non seulement de ses collections mais aussi du bâtiment emblématique qui les abrite, l’ancienne gare d’Orsay inaugurée en 1900. Or, le musée Fin de Siècle belge va se retrouver en sous-sol, aux niveaux - 6 et - 8 de l’actuel musée d’Art moderne. Pas très glamour. Draguet l’aurait bien imaginé dans le splendide immeuble Art nouveau « Old England », mais celui-ci abrite déjà le MIM, musée des Instruments de musique rattaché aux MRAH [10]. N’aurait-il pas mieux valu trouver d’abord un bâtiment adapté ? Et, d’un point de vue financier, est-ce raisonnable et cohérent de créer un tel remue-ménage quand, dans peut-être quelques années, tout sera à nouveau déplacer ?
Pendant ce temps, les collections modernes et contemporaines, faute de lieu pour se poser - là encore, Draguet ne manque pas d’idées mais aucune pour l’instant n’est viable [11] [12] -, feront l’objet d’expositions itinérantes à l’autre bout du monde - à Taïwan, en Chine et en Australie (sous forme de locations ?) - et d’expositions partielles au musée des Beaux-Arts, aux niveaux - 3 et - 4. Une mise au rencart d’une partie des collections qui révolte au premier chef les artistes belges vivants comme Luc Tuymans qui s’étonne, au regard de ce qui se passe ou ne se passe pas et bientôt ne se passera plus du tout au musée d’Art moderne, du dynamisme du Palais des beaux-arts de Bruxelles, autre institution plus connue sous le nom de BOZAR qui n’est pas sous la tutelle de Michel Draguet. Un collectif de protestation s’est créé : Musée sans musée. D’autant que d’autres musées en Belgique deviennent invisibles au public comme le rapporte le journaliste Guy Duplat : « le musée des Beaux-Arts d’Anvers est fermé jusqu’en 2017 ; celui de Tervuren fermera jusqu’en 2015 ; le Cinquantenaire va fermer, durant six mois, ses salles temporaires ; le BPS 22 est quasi à l’arrêt à cause d’un conflit avec la province ; etc. » [13]...
[1] Musées de la Communauté française de Belgique : Musée royal de Mariemont (Mariemont), Musée de la Photographie (Mont-sur-Marchienne), Centre de la Gravure et de l’Image imprimée (La Louvière), Musée Bruxellois de l’Industrie et du Travail - La Fonderie (Molenbeek), Centre de la Tapisserie, des Arts du tissu et des Arts muraux (Tournai), Musée international du Masque et du Carnaval (Binche), Espace gallo-romain (Ath), Préhistosite de Ramioul (Flémalle), Ecomusée du Centre (Bois du Luc - Houdeng-Goegnies), Musée en Piconrue (Bastogne), Musée en Plein Air du Sart Tilman (Liège), Musée juif de Belgique (Bruxelles), Domaine de Seneffe – Musée de l’Orfèvrerie de la Communauté française.
[2] Licencié en Histoire de l’Art et Archéologie et Docteur en Philosophie et Lettres de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), il est par ailleurs directeur du Centre de Recherche René Magritte et du Centre de Recherche COBRA de l’ULB.
[3] « Draguet en interim au Cinquantenaire » par Guy Duplat, LA LIBRE | 28.07.10.
[4] « Relayant des positions plus ou moins avisées de spécialistes en chambre, certains articles de presse de l’été brandissaient la menace d’une marchandisation de la culture inhérente à une démarche qui rabaisserait la culture au rang d’outil touristique. J’avoue ici mon scepticisme. Non devant la prétention d’une critique qui, sous le mot tourisme, entend stigmatiser la prétendue vulgarité de »l’homme sans qualité« , de l’homme ordinaire et de ses motifs à revendiquer sa part de culture. Ce qui me surprend ici, c’est le fondement intellectuel qui nie à la culture une signification économique que celle-ci a toujours recouvert. Illusion d’un art pur sinon aristocratique - parce que hors de tout commerce - que négoce et industrie souilleraient. Sans sortir de nos frontières, que l’on se reporte au cas d’Anvers au XVIe siècle et à son marché d’art florissant dont les modalités influèrent sur le contenu même d’une création ouverte désormais aux attentes du public le plus large. L’illusoire pureté de la culture drapée dans la noblesse du »non-marchand« est une vieille lune ! Elle situe l’art hors des enjeux de société qui sont les nôtres alors que, comme l’eût dit André Breton, l’avenir de notre société comme de son économie sera culturelle ou ne sera pas. » Michel Draguet, éditorial Agenda & Lettre aux Amis des MRBAB, déc. 2010 janv. fév. 2011.
[5] Ancêtre des musées royaux, le Musée des Beaux-Arts de Bruxelles alors française a été fondé en 1801 par le Premier consul Bonaparte par le fameux Arrêté Chaptal instituant quinze musées en province, premier acte de décentralisation. Il ouvrit ses portes en 1803. Sur le modèle du Louvre, « il était accessible au public le jeudi et le samedi, les artistes étant autorisés à y travailler les autres jours » (« Chronique d’un musée - Musées royaux des Beaux-Arts/Bruxelles » par Françoise Robert-Jones-Popelier, éd. Pierre Mardaga, 1987).
[6] Ouvert du mardi au dimanche, de 10h00 à 17h00, comme le musée des Beaux-Arts (ancien et moderne), le musée Magritte est le seul à proposer un nocturne le mercredi jusque 20h00 quand les musées gratuits Wiertz et Meunier, faute de personnel, ne sont pas accessibles à la visite individuelle le week-end mais seulement à la visite de groupe sur réservation.
[7] Si des oeuvres ou des documents ont été prêtés par des collectionneurs et des institutions publiques et privées, l’essentiel des toiles exposées provient des collections des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique.
[8] Le Cercle des XX (1883-1894), la Libre Esthétique (1894-1914), le Wagnérisme, le Symbolisme, le Néo-impressionnisme.
[9] Les collections du musée d’Orsay s’échelonnant entre 1848 et 1914 ont été constituées à partir de celles des musées du Louvre, d’Art moderne et du Jeu de Paume.
[10] « Un nouveau musée Fin de siècle » par Guy Duplat, LA LIBRE | 12.02.11.
[11] Michel Draguet imaginerait bien voir les collections modernes et contemporaines s’installer dans les anciens Magasins Vanderborght, l’actuel Dexia Art Center, à deux pas de la Grand-Place, typique de l’architecture fonctionnaliste des années 1930. Ou, mieux encore, de construire un édifice contemporain, « un geste architectural fort », à même d’exprimer le dynamisme de la Belgique. Mais faute de crédits, dans une période d’austérité, tout ceci n’est pour l’instant que rêves.
[12] « Plus de musée d’Art moderne ! » par Guy Duplat, LA LIBRE | 08.02.11.
[13] « Wiels et Bozar » Par Guy Duplat, LA LIBRE | 09.02.11.