Interdiction partiellement levée le 4 février 2016. Lire notre communiqué
04.10. 2015 | « VIOLENTÉ ET EMPRISONNÉ POUR UN CROQUIS À L’EXPO VAN GOGH ». Le titre choc barre la Une du journal belge La Dernière Heure. Le 18 avril 2015, au musée des Beaux-Arts de Mons, un architecte français qui visitait l’exposition phare de l’année Mons 2015 - Capitale européenne de la culture, s’est retrouvé placé en garde à vue durant 4 heures, pour avoir voulu simplement faire des croquis d’oeuvres comme il en a l’habitude. Le personnel lui aurait interdit de griffonner dans son carnet, ordre contre lequel il se serait rebellé sans violence. Refusant de sortir, des policiers appelés à la rescousse ont alors plaqué au sol l’homme de 59 ans, l’ont menotté puis sorti de force du musée. Telle est sa version des faits, qu’il relate de manière circonstanciée sur un blog Médiapart.
Le musée a de son côté une autre version, nettement moins détaillée. Devant le bad buzz déclenché sur Internet, la direction du Pôle muséal de la Ville de Mons et de la Fondation Mons 2015 s’est fendue d’un bref communiqué publié sur sa page Facebook près d’un mois et demi plus tard, accusant le visiteur de mensonge : « C’est toujours tellement simple de plaider l’innocence sur les réseaux sociaux ». Ses responsables réfutent toute interdiction de dessiner dans l’exposition, ce que ne comporte effectivement pas le règlement de visite de l’organisme [1], ce que clamait justement l’amateur de croquis pour justifier son attitude. Pourtant, en commentaire du post Facebook, une autre personne témoigne du même type d’interdiction dans l’exposition Van Gogh : « On a demandé à une de mes amies d’arrêter de prendre des notes ».
Bref, version de l’institution : « Le service de gardiennage du musée a simplement demandé à ce visiteur de réaliser son croquis au milieu de la salle pour ne pas gêner le flux des publics devant l’oeuvre mais aussi pour des raisons évidentes de sécurité et de protection des oeuvres ». Dans La Dernière Heure, Juliette Picry, porte-parole de la Ville, précise que ce monsieur se serait tenu trop près des oeuvres, ce que ce dernier réfute : « J’étais à deux mètres des tableaux et il y avait des gens devant moi ». De toutes façons, lui demander de se tenir à distance revenait bien à le lui interdire car on ne voit pas comment on peut réaliser le croquis d’une oeuvre sans en être relativement proche. Ce qui prend par nature peu de temps. Et on aimerait bien connaître les « raisons évidentes » du danger que cela représenterait, ceux qui s’adonnent à cette pratique étant généralement plus que tout autre soucieux de la sécurité de ce qu’ils dessinent.
Sans nier ensuite les circonstances de l’arrestation particulièrement musclée du contrevenant, la direction indique avoir fait « examiner cette affaire de manière contradictoire par le Collège de Police ». L’organisme, qui exerce l’autorité disciplinaire sur son personnel, « a estimé sur base des différents témoignages l’intervention entièrement justifiée et proportionnée ». Le principal intéressé a-t-il été entendu ?... Fermez le ban ! On ne saura donc jamais ce qui s’est réellement passé, si ce n’est qu’aucune charge n’a été retenue contre le visiteur récalcitrant, indique La Dernière Heure, et que son courrier de protestation envoyé à différents responsables - dont le bourgmestre de la ville qui n’est autre qu’Elio Di Rupo, homme politique belge de premier plan et ancien Premier ministre -, n’a reçu pour seule réponse qu’un refus net de remboursement. Ce fait divers heureusement isolé jette la lumière sur une interdiction peu courante dans le monde muséal, mais que l’on trouve étonnamment en Belgique.
UNE PRATIQUE ANCIENNE AUTORISÉE QUASI PARTOUT
En France, nombre de règlements de musées stipulent l’autorisation accordée librement aux visiteurs de dessiner à main levée, c’est-à-dire de réaliser des croquis. Uniquement en technique sèche type crayon à papier, sous réserve de ne pas gêner la vue et la circulation des autres visiteurs. Pas seulement dans les collections permanentes, mais aussi parfois dans les expositions temporaires, comme le précise le Louvre, ce qui est rare. A contrario du musée d’Orsay semble-t-il, comme en témoigne Jérôme, un visiteur averti : « Un jour, lors de la formidable exposition Degas [en 2012, NDLR], une dame très respectable, avait sorti un petit carnet, et très dignement faisait une copie d’un dessin. Un agent de surveillance l’a vertement interpellée pour lui interdire de dessiner » [Rajouté le 05.10. Selon un tweet du musée d’Orsay, la pratique serait autorisée également dans ses expositions « si il n’y a pas de gêne pour les autres visiteurs ».]. Seul varie le format de papier autorisé, différent selon les lieux sans qu’on sache trop pourquoi : A4 ici, A3 là, 30 x 60 cm pour le musée d’Orsay, 50 x 40 cm pour le Louvre ou le Quai Branly, « d’un format dont le plus grand côté n’excède pas 40 cm de long » pour les musées de la Ville de Paris… La prise de notes n’est nulle part mentionnée, car autorisée tout naturellement. On imagine bien que si un visiteur se met à pointer dangereusement un tableau avec un stylo, il sera aussitôt rappeler à l’ordre par le personnel de surveillance. C’est d’ailleurs pour cette raison que les objets contondants type cannes et parapluies sont traditionnellement interdits dans les musées, et plus récemment les perches à selfie.
En revanche, le dessin en groupe et le travail de copiste amateur ou professionnel nécessitant matériel et temps, exigent une autorisation expresse de la direction. Ce qui se comprend aisément. Toutes ces pratiques rappellent l’origine même du musée à la fin du XVIIIème siècle : servir de lieu d’inspiration et de formation pour les artistes, comme l’a représenté sur de nombreuses toiles le peintre Hubert Robert qui accompagna la naissance du Louvre.
Récemment à Lyon, le musée des Confluences en a fait un thème d’exposition, proposant à l’auteur de bande dessinée Boulet de croquer la vie de l’établissement. A cette occasion, les visiteurs ont eux-mêmes été invités à venir dessiner au musée, puis à partager leurs croquis sur Twitter, avec un dessin dédicacé par l’artiste à gagner.
A l’étranger, l’autorisation est également de mise dans la grande majorité des musées. Au point qu’il est difficile de trouver des contre-exemples ( voir liste ci-dessous). Dans les pays anglosaxons, la pratique est même souvent encouragée. Comme au British Museum. « You are welcome to draw and sketch in our galleries », peut-on lire dans son règlement. Dans d’autres musées londoniens, on prête des tabourets comme l’indique ce blog qui prodigue conseils et astuces aux amateurs. Même chose au Danemark, à la Glyptothèque Ny Carlsberg qui met à disposition planches et pliants à l’entrée du musée, seule une section restant interdite de dessin dans ces conditions pour une question d’espace. A Los Angeles, le Getty Museum confère une dimension pédagogique à la réalisation de croquis, dédiant une salle spécifiquement à l’activité. La Sketching Gallery est accessible gratuitement à tous sans réservation, avec fournitures fournies pour ceux qui découvriraient la proposition sur place (voir cet album Flickr). Une idée à importer en France ! La meilleure façon de regarder une oeuvre n’est-elle pas de la reproduire, qu’on soit doué ou non ? Même chose avec un appareil photo si l’on se met à prendre des détails.
Nombreux sont les musées, tout en autorisant les croquis, à demander juste courtoisement aux amateurs de ne pas entraver le flux des visiteurs. A New York, c’est le cas du Metropolitan Museum of Art - « While sketching, please do not hinder visitor traffic flow in the galleries » - qui se réserve le droit d’ajuster son règlement, c’est-à-dire d’interdire la pratique en cas de forte affluence. Comme au MoMA : « If galleries are crowded, guards may ask visitors to stop sketching or writing ». On ignore si cela se produit. Au Canada, même chose au musée royal de l’Ontario et à celui des Beaux-Arts de Montréal en période d’achalandage comme l’on dit là-bas. Cependant, pour tous ces musées, nulle trace d’interdiction de prendre des notes. Plus restrictif, l’Art Institut de Chicago demande de « consulter un agent de surveillance » avant de « réaliser des esquisses au crayon à l’intérieur du musée » mais l’interdit dans ses expositions. En Italie, aux musées du Vatican, il faut faire la demande auprès de la direction, même pour de simples croquis.
A BRUXELLES, PAS DE CRAYON AU MUSÉE
Il demeure cependant rare de trouver une interdiction totale, au-delà des expositions temporaires. Sans qu’on sache quelle en est l’origine, c’est le cas de grands musées belges, équivalents de nos musées nationaux français. Le règlement du visiteur des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MrBAB) qui s’applique aux musées réunis dans le même ensemble de bâtiments à Bruxelles - Art ancien, Art moderne (fermé), Fin-de-Siècle et Magritte -, interdit « de gêner les visiteurs ou de présenter un risque pour les oeuvres en prenant des notes ou des croquis devant celles-ci » (art.18-13) [Rajouté le 06.10 : l’interprétation de cet article semble plutôt vague, d’après des témoignages contradictoires reçus après la publication de cette enquête. Toujours est-il qu’aucune autorisation n’est mentionnée comme dans les règlements des autres musées, français ou étrangers.]. Ce qui suscite des témoignages réguliers de visiteurs stupéfaits. Seuls les groupes peuvent le faire avec autorisation. Même les ordinateurs portables, sorte de calepins modernes, sont prohibés, clause inconnue ailleurs. « Le refus de déférer aux dispositions du présent règlement entraîne l’éviction immédiate des Musées par les services de police », précise aimablement le document.
Delphine, une visiteuse, en a fait l’expérience en avril 2015 au musée Fin-de-Siècle [2] : « J’étais avec une amie et nous prenions des photos. Nous avions aussi un petit carnet pour prendre des notes. Quand un surveillant de salle est arrivé vers nous, nous avons pensé que les photos étaient interdites. On s’est donc excusé d’en avoir pris. En réalité, il est venu car nous n’avions pas le droit de prendre des notes au stylo. C’était aberrant. Apparemment il faut demander une autorisation particulière pour avoir le droit de prendre des notes et celles-ci doivent être effectuées au crayon de papier. Je n’ai pas compris la raison de cette interdiction puisqu’avec les informations prises en photo, on avait le même contenu… » [Rajouté le 10 oct. Témoignage corroboré par les déclarations d’Isabelle Bastraits, responsable de la communication du musée Magritte / MrBAB sur la RTBF le 8 octobre. Pour croquis et notes dans les MrBAB hors Magritte, « il faut juste pour des questions d’encadrement se signaler au préalable ». Donc ce n’est pas autorisé librement.]
[Hommage] A #Bruxelles, un #crayon géant de plus de 5 m créé par l'artiste belge Nicolas de Meeûs à @FineArtsBelgium pic.twitter.com/1KFUg3MAuW
— Tourisme belge (@tourismebelge) 8 Juillet 2015
Au musée Magritte, l’interdiction est totale. Pour les groupes « en raison du manque d’espace et de mesures de sécurité plus sévères exigées par les prêteurs », mais aussi pour les individuels. Une exiguïté des lieux qui n’empêche pas le musée de proposer des audioguides (payants) aux visiteurs. Service qui, comme l’on sait, crée partout des encombrements devant les tableaux, plus que ne peuvent le faire les quelques dessinateurs de croquis et preneurs de notes [3]. Sur place, la consigne est explicite, comme le montre ce panneau pris en photo par le militant culturel belge Bernard Hennebert (Consoloisirs).
Une interdiction plutôt mal perçue. Sébastien se souvient que lors de sa visite, le livre d’or du musée « débordait de commentaires mécontents » sur le sujet. Certains vont même jusqu’à rédiger une plainte, ce que permet un dispositif belge original. Comme celle-ci que Bernard Hennebert relaya, d’une visiteuse qui exigea le remboursement de son billet, sans succès et sans obtenir non plus de réponse claire à sa demande d’explications : « J’ai visité dans le courant du mois de janvier 2012 le Musée Magritte Museum. Ma visite a été interrompue car alors que j’inscrivais dans un petit carnet au crayon une note personnelle, un garde m’a apostrophé et m’a interdit d’écrire dans le musée. L’intervention de ce garde constitue pour moi une violation de mes droits personnels dans un pays démocratique. J’ai quitté l’exposition et je suis allée parler au responsable du musée qui m’a confirmé qu’il était interdit d’écrire. Suite à cet « incident » j’ai écrit une réclamation remplie de colère tant j’étais hors de moi. J’ai demandé le remboursement de mon billet. »
La même année, une autre visiteuse témoignait, en commentaire d’un blog plutôt critique sur ce musée : « Lorsque nous visitons des musées avec mon fils de 5 ans, j’ai l’habitude de lui faire choisir un tableau qu’il aime et de le lui faire dessiner. Il adore ça. Au Musée Magritte, c’est bien sûr impossible. Très déçue ! »
Un visiteur s’insurgeait de même sur Tripadvisor en novembre 2014 : « Voilà un magnifique musée monographique. Et tellement mal géré. Nous étions en famille avec mes petits enfants avec lesquels nous visitons régulièrement des musées. Et nous dessinons. Une bonne manière d’apprendre et de retenir ce que nous voyons. Quelle ne fut pas notre surprise lorsqu’un garde s’approcha de nous et nous interdit de prendre des notes et de dessiner. « Pas permis par le règlement » nous dit-il. Et c’est vrai. Le règlement l’interdit. Du surréalisme, ridicule. Qui prend des initiatives aussi stupides ? Evitez ce musée !!! »
Au printemps 2013, la blogueuse française Johanna Daniel (Orion en aéroplane) avait subi le même type de mésaventure, toujours au musée Magritte. Elle se souvient d’une situation particulièrement absurde : « Je prenais des notes au crayon à papier dans un carnet, on m’a interdit la chose. J’étais juste autorisée à prendre des notes sur mon téléphone, alors même qu’il était interdit de photographier ou de téléphoner ! » Pas le droit non plus de prendre en photo textes et cartels. Le gardien justifie l’interdiction du crayon par la mise en danger des œuvres. Johanna, grande habituée des musées, vérifie. Tout est sous verre ! Deux ans plus tard, elle ne décolère pas : « Je considère que ça va à l’encontre des missions premières des musées (enseignement, partage du savoir) et que ce genre de règlement devrait être sanctionné par l’ICOM », le Conseil international des musées, autorité morale de la profession.
Une situation absurde qui rappelle celle vécue ailleurs par Sarah Catala, une historienne de l’art qui tient également un blog (Bella Maniera) : « Pour l’expo « François-André Vincent » au musée Fabre de Montpellier et « Théodore Rousseau » à la Pierpont Morgan Library [à New York, NDLR], je prenais des notes de mes réflexions sur les dessins que je voyais, non pas pour mon blog mais pour mon travail d’historienne de l’art intéressée par tout ce qui a trait au dessin. Bref, on m’a demandé de ne pas le faire pour la sécurité des oeuvres pourtant sous vitres... En faisant remarquer que mon stylo n’en n’était pas un, mais un critérium, on m’a laissé continuer... Absurde. Depuis, je prends ma tablette… »
L’AYANT DROIT DE MAGRITTE N’A RIEN INTERDIT
Comment le musée Magritte justifie-t-il une interdiction si radicale ? Si l’on peut admettre un manque d’espace empêchant la pratique en groupe, en quoi cela gêne-t-il pour un visiteur individuel ? Nos demandes - polies - d’explication par mails aux MrBAB n’ont reçu aucune réponse. Contrairement à l’Observatoire des publics des Etablissements scientifiques fédéraux, organisme d’Etat qui nous a répondu aimablement, mais nous renvoyant vers les musées pour les questions de règlement [4].
L’unique réponse « officielle » que l’on a pu recueillir l’a été sur Twitter, dans une conversation suite à l’incident de Mons où le musée Magritte justifiait l’interdiction par le respect des conditions imposées par les prêteurs des oeuvres, précisant plus loin « droits de reproduction au sens large ».
.@louvrepourtous Ns respectons simplement conditions de nos prêteurs grâce à qui nos musées sont si beaux @lnk75 @Fadhlaoui2 @MonsPolemuseal
— MuséeMagritteMuseum (@museummagritte) 22 Mai 2015
Or, il se trouve que l’essentiel des 250 oeuvres et archives du Musée Magritte Museum (c’est son nom officiel) ouvert en juin 2009, appartient aux collections des MrBAB. « La plus grande collection au monde d’oeuvres de Magritte », selon leur directeur Michel Draguet. Auparavant, une partie était présentée dans le musée d’Art moderne, complétées de prêts de collectionneurs pour ce nouvel espace muséographique. De toutes façons, du fait que l’oeuvre de Magritte décédé en 1967 ne soit pas dans le domaine public - c’est-à-dire, selon la législation européenne, soumise au droit d’auteur qui court 70 ans après la mort de l’artiste -, ses droits de reproduction appartiennent, non aux propriétaires publics ou privés des oeuvres, mais aux ayants droit [5]. Seuls ceux-ci sont fondés juridiquement à interdire ou autoriser quoi que ce soit dans ce domaine et si des prêteurs, ici minoritaires, imposent cette restriction, comme on le voit aussi en France pour des expositions autorisant la photo et qui de ce fait l’interdisent pour ces seules oeuvres par signalement d’un logo (appareil photo barré), c’est tout à fait illégal. Juste du chantage.
Surpris par la raison donnée par le Musée Magritte, nous avons contacté la Fondation Magritte, partenaire privilégié du musée dès sa création. Ayant « pour objet d’assurer la pérennité et la protection de l’œuvre et de la renommée de René Magritte », cette association a été fondée à l’initiative de Charly Herscovici, l’unique ayant droit du peintre depuis qu’il a été désigné légataire universel de tous ses droits patrimoniaux, en 1986 à la mort de Georgette Magritte, la veuve dont il était secrétaire. A notre grand étonnement, il nous a répondu personnellement, nous signifiant très clairement au sujet de la prise de notes et de croquis : « Nous n’avons jamais et en aucun cas interdit quoi que ce soit dans un sens ou dans un autre ».
La justification du musée est d’autant plus absurde qu’elle s’applique encore moins pour les oeuvres du musée d’Art ancien et Fin-de-Siècle, pour l’essentiel dans le domaine public. Enfin, un croquis peut-il être considéré comme la reproduction d’une oeuvre ? Cela se discute. A contrario d’une copie qui, pour cette raison, doit être réalisée d’une taille différente de l’originale, d’au moins un cinquième dans les musées nationaux français.
PAS DE PHOTOS NON PLUS
Au musée Magritte, se double l’interdiction d’y prendre des photos (sauf aux toilettes et dans le hall d’entrée, ironise un visiteur), de même que dans les expositions temporaires des autres musées royaux où, sinon, elle est autorisée, sauf mention contraire. « Pour l’usage privé de l’opérateur » est-il noté dans le règlement (art. 25), avec la précision suivante : « Ces images ne peuvent en aucun cas être diffusées ». Ce qui est juste redondant et totalement infondé pour des oeuvres du domaine public. Clause, du reste, que l’institution ne respecte pas elle-même en retweetant allègrement des photos de visiteurs, y compris - et c’est le plus comique - de sa propre responsable de la communication, même quand il s’agit d’oeuvres encore sous droit comme Bonnard !
La première restriction est courante aussi en France dans les règlements de musées, bien que tout aussi illégale, donc à ignorer, ce que la plupart des visiteurs photographes font avec raison. Elle n’a qu’un seul but, tenter de garder le monopole sur l’exploitation commerciale des reproductions d’oeuvres du domaine public (dont les droits ne leur appartiennent donc pas), comme le reconnait explicitement une responsable du Louvre dans le dernier numéro de la revue du musée : la photo oui, « à la condition que ce soit pour un usage privé, précise Anne Krebs. Car, dans un contexte de raréfaction de la ressource publique, on voit apparaître, dans de très nombreux musées à travers le monde, le souci de développer les ressources propres à travers des services et des produits culturels annexes, ceux que l’on qualifie aujourd’hui d’actifs immatériels des musées » [6]. Un abus de droit assumé par un musée national...
Mais même encore protégée par le droit d’auteur, il est bon de rappeler, ce que beaucoup ignorent, que rien ne s’oppose juridiquement à la reproduction d’une oeuvre exposée, par photo ou autre, si l’usage qui en est fait reste privé justement. C’est même un droit [7]. C’est donc bien cette disposition restrictive qui aurait convenu au musée Magritte. Cependant, s’ils le souhaitent, l’artiste ou ses ayants droit peuvent autoriser la diffusion de ces images non encore tombées dans le domaine public, comme c’est le cas, par exemple, au musée national d’Art moderne du Centre Pompidou à Paris qui accorde « une tolérance […] pour les amateurs qui souhaitent photographier des œuvres » à quelques exceptions près (après accord sans doute des sociétés de gestion de droits d’auteurs [8]). On y trouve des Magritte librement photographiables.
Là encore, nous avons demandé à Charly Herscovici si l’interdiction photo dans l’établissement belge était de son fait. Réponse : « Non, je n’ai rien à voir avec l’interdiction photo pour les visiteurs au sein du Musée ». Ainsi donc, le musée Magritte interdit autoritairement prises de notes, croquis et photos, contre l’avis même de l’unique ayant droit du peintre !
Jusqu’à quand ses responsables vont-ils s’arquebouter sur ce point de règlement aussi absurde qu’inique ? Faut-il qu’un vent de révolte se lève comme aux Etats-Unis, au Philadelphia Museum of Art qui finit par lever en 2009 son interdiction à la suite d’une pétition ? De même en 2004 en Australie, un mouvement de protestation réunissant artistes, étudiants et visiteurs baptisé Free Pencil Movement fit reculer la National Gallery of Victoria, après avoir organisé des actions de désobéissance à l’intérieur du musée avec pour seules armes, petits carnets et crayons à papier, ce qui rappelle le mouvement parisien Orsaycommons quand le musée d’Orsay interdisait la photo. L’institution australienne limite désormais la restriction aux expositions temporaires, et seulement quand l’exigent des prêteurs, ce qui, dans ce cas, doit être spécifié à l’entrée. Ce que certains visiteurs continuent de contester. A juste titre.
MUSÉES DANS LE MONDE INTERDISANT CROQUIS ET/OU NOTES
BELGIQUE
Musée d’art ancien, Bruxelles
Musée d’art moderne, Bruxelles
Musée Magritte Museum, Bruxelles
Musée Fin-de-Siècle, Bruxelles
COSTA RICA
Museo del Jade / Témoignage
JAPON
Adachi Museum of Art
UNIQUEMENT DANS LES EXPOSITIONS TEMPORAIRES
CANADA
Musée royal de l’Ontario, Toronto
ETATS-UNIS
Jardin botanique de New York / Témoignage
Bonjour
Je reviens du musée Magritte ou j,ai pris des photos et personne ne m’a fait de remarque
Il y a un mois, j’étais au même musée des beaux-arts à Bxlles mais aux maîtres anciens. Aussi pris des photos - pas en cachette avec telephone mais avec appareil.
Je marche avec une canne : on m’a autorisé à la garder.
Il y a règles et application de regles
Merci pour votre message. Cet article date d’avant l’autorisation qui est intervenue, grâce à notre mobilisation, en février 2016 : Le musée Magritte autorise enfin photos & notes. Bien à vous
Où avez-vous lu qu’il était interdit de prendre des notes ou croquis dans les musées d’Art ancien, Art moderne et Fin-de-Siècle ??? C’est faux, tout comme la pseudo affirmation de l’ayant-droit de Magritte. J’imagine que si tous les éléments contenus dans votre article sont à l’avenant de la crédibilité de ceux sus-mentionnés, on ira loin. Ou pas.
Quel dommage que vous ne teniez pas compte des réponses pourtant fournies ! Quel dommage que votre intérêt pour les musées ne se cantonne qu’à des critiques ! Il y a tellement de beaux projets à partager... Et si votre but avouable est de servir objectivement le visiteur, où étiez-vous quand les dotations des musées ont été rabotées ? Quand une des entités a été menacée en décembre dernier d’une fermeture arbitraire et insensée ? Quand on travaille en permanence en sous-effectif ? Ces combats ne sont-ils pas prioritaires ? Vous intéressez-vous seulement à la politique culturelle belge et à ses conséquences ?
Je me suis faite poursuivre dans le musée archéologique de Skopje (capitale de la Macédoine) par un gardien, vous pouvez rajouter ce lieu dans la liste. La première fois je dessinais, et ensuite je prenais des notes. Il m’a tendue une embuscade avec sa collègue pour m’obliger à rayer mes croquis. Tout était sous verre, à part des tableaux modernes d’un goût douteux qui reconstituait des scènes antiques (d’une valeur de 0centimes). C’est la première fois que cela m’arrivait, je ne savais même pas que ça pouvait être interdit dans un lieu sensé promouvoir la culture et l’apprentissage. J’ai laissé un mot doux dans le livre d’or pour dire à quel point c’était inacceptable, j’étais toute simplement choquée, frustrée, en rage pendant tout le reste de la journée, j’étais prête à les menacer de payer un gang d’enfants de rue pour qu’ils aillent saccager leurs tableaux à la c*n. Rien que d’y repenser ça m’énerve.
[1] Hormis une demande d’autorisation pour, suppose-t-on, les copistes tel que cela se pratique dans tous les musées du monde, à contrario de la photo interdite unilatéralement dans ses 13 sites.
[2] Témoignage recueilli, comme d’autres qui suivent, après un appel lancé sur les réseaux sociaux en septembre 2015.
[3] On se souvient du même paradoxe durant la période d’interdiction de la photo au musée d’Orsay (2010-2015) qui la justifiait pourtant par la volonté de lutter contre le stationnement devant les oeuvres.
[4] Mails envoyés à différents services des MrBAB, notamment à Isabelle Vanhoonacker, directrice des Services aux Publics, sur recommandation de l’Observatoire des publics des Etablissements scientifiques fédéraux. Auparavant, le musée Magritte n’avait pas plus répondu à notre simple demande d’obtention de son règlement de visite, contrairement à d’autres musées belges. Pas de réponse non plus de la part des Musées royaux d’Art et d’Histoire de Belgique.
[5] Code de droit économique (BE), art. XI.173. Code de la propriété intellectuelle (FR), art. L111-3.
[6] « La Joconde sourit dans les smartphones », Grande Galerie n°33, sept. / oct. / nov. 2015. Anne Krebs est chef de service en charge des études et de la recherche sur les publics et les pratiques des visiteurs à la direction de la recherche et des collections du Louvre.
[7] Code de droit économique (BE), art. XI.190. Code de la propriété intellectuelle (FR), art. L122-5.
[8] Charly Herscovici a confié la gestion de ses droits d’auteur aux sociétés SABAM en Belgique ou à l’ADAGP en France.