15.06.08 | DE SCÈNES DE BATAILLE, le Louvre en regorge. Massacres, décapitations, viols... la guerre et son cortège d’horreurs est un thème majeur de la peinture classique. Jusque là, le musée n’honorait que la vision qu’en avaient les artistes. Depuis quelques années, le premier musée de France déroule le tapis rouge, le temps d’une soirée, à tous les marchands d’arme et décideurs politico-militaires de la planète, les vrais.
Tous les deux ans, se tient, en France, le salon EUROSATORY, « le plus grand rendez-vous international de la défense terrestre, aéroterrestre et de la sécurité », événement économique, mais aussi militaire et politique selon ses organisateurs [1], qui rappellent qu’en 2006, EUROSATORY, c’était 120 000 m² de surface d’exposition pour 1 100 exposants venant de 47 pays ; 110 délégations officielles de 69 pays et des représentants de l’Union Européenne et de l’OTAN ; 600 journalistes pour 48 000 visiteurs du monde entier.
L’édition 2008 intitulée sobrement « LE SALON DE LA DÉFENSE DU FUTUR », au visuel très science-fiction, se tient du 16 au 20 juin au Parc d’Expositions de Villepinte, dans le nord de Paris. On y parlera technique (drones et robots, équipement du cyberfantassin, C4ISTAR...), politique (programmes interarmées, combats asymétriques, opérations de maintien de la paix, contre-terrorisme...), et enfin business avec les « Rendez-vous d’affaires Eurosatory ® ». En 2006, plus de 5 100 rendez-vous d’affaires s’y sont, parait-il, tenus ! Dans l’univers militaire, on compte tout.
SOUS LA PYRAMIDE, LES CANONS
Et comme pour les précédentes éditions, le 17 juin, une soirée de prestige réunira le gratin economico-politico-militaire de la planète sous la pyramide du Louvre qui, pour des réceptions privées, peut accueillir jusqu’à 3000 personnes, avant de faire bénéficier tout ce beau monde d’une visite privée des collections du musée [2]. Vibrera-t-on à la vue de la « Bataille d’Issus » de Brueghel ou devant « Les Sabines » de David ? Le champagne aidant, certainement.
Comme en 2006, la nouvelle a jeté l’émoi parmi le personnel du musée qui, pour ce genre de soirée qui ont lieu le mardi soir, jour de fermeture au public, sont mis à disposition, sur volontariat. Il semblerait qu’en l’occurence, certainement pour éviter tout remous interne, le personnel n’ait été informé que tardivement de la nature réelle de l’événement.
Une nouvelle fois, le syndicat SUD Culture Solidaires s’élève contre « cette manifestation guerrière » et se scandalise que l’administration du musée « loue des espaces prestigieux de notre patrimoine contre des espèces sonnantes, trébuchantes et nauséabondes », rappelant au passage la présence, parmi les délégations officielles, de plusieurs dictatures.
Mais, pour la direction du Louvre, nulles questions morales. On se félicite juste du beau coup commercial. Les « mises à disposition d’espaces » - expression plus neutre que le terme de « privatisation d’espace » utilisé dans d’autres musées - ont rapporté en 2006, 3 324 172 d’euros, soit 184% plus que l’année précédente. Une visite privée des collections du musée se monnayent jusqu’à 44 000€ HT pour 62 000€ HT pour une location du hall Napoléon, sous la pyramide [3]. Flirter avec la guerre et son parfum de mort ? tant pis pour l’image du plus beau musée du monde. Le tiroir caisse est grand ouvert.
Une manifestation de protestation réunissant des personnels du musée à divers mouvements pacifistes devrait se tenir au Louvre - Place du Palais-Royal, métro Palais-Royal -, à 18h, le mardi 17 juin 2008.
Et pour avoir une idée de ce que à quoi ressemble le salon Eurosatory, cette vidéo de Rue 89 :
[1] EUROSATORY est organisé par le GICAT, Groupement des industries françaises de défense, sous le haut patronage du Ministère français de la Défense.
[2] La société NÉOSUD, à qui est confié l’organisation logistique de l’événement donne, sur son site, quelques chiffres qui donne une idée de sa dimension : « 160 mètres linéaires de buffet, 78 000 pièces de cocktail, 800 bouteilles de champagnes, 120 Maîtres d’hôtel, 50 hôtes et hôtesses, 100 voitures officielles avec chauffeurs ».
[3] Ces tarifs sont extraits de la plaquette « Réceptions - Manifestations privées » en ligne sur le site du Musée du Louvre.