04.05.09 | AVERTISSEMENT - Il n’est bien sûr pas anodin de notre part de publier une enquête historique sur la liberté d’accès des jardins de Versailles alors que nous militons actuellement pour son maintien. Notre intention n’est pas d’instrumentaliser l’Histoire afin de nourrir notre cause mais de montrer comment celle-ci s’enracine dans un usage patrimonial aux résonnances certainement très profondes. Nous n’avons pas cherché à travestir les faits, en masquant par exemple ce qui n’irait pas dans notre sens mais, à l’évidence, certains d’entre eux résonnent avec la situation d’aujourd’hui.
Sans être historien, nous avons tenté de traiter notre sujet le plus honnêtement possible, sur la base d’informations dispersées dans de multiples ouvrages puisque, à notre connaissance, le sujet reste étrangement inexploré. En effet, malgré nos recherches, nous n’avons trouvé aucune étude publiée, parmi les centaines ayant pour objet les jardins de Versailles, sur leur usage et pratique populaire. Nous ne prétendons pas couvrir le sujet de manière définitive mais juste ouvrir quelques pistes. Nous sommes bien sûr ouverts à la critique, à toute correction d’erreurs et preneur de toutes informations qui compléteraient notre enquête. Le sujet est si vaste que nous l’avons scindé en trois parties : les Jardins de Versailles jusqu’à la Révolution (terrasse, bosquets et Orangerie) que nous publions ici, les Jardins de Trianon jusqu’à la Révolution (moins accessibles et plus privés) et le tout de la Révolution jusqu’à nos jours que nous publierons ultérieurement. BH
JARDINS DE VERSAILLES, TROIS SIÈCLES DE GRATUITÉ
PREMIÈRE PARTIE - Des jardins ouverts à tous
On le sait, selon la tradition royale française Louis XIV vivait en public du lever jusqu’au coucher. Comme le soleil. Extrêmement fier de ses jardins connus de l’Europe entière, sans doute même plus que de ses bâtiments, le roi les voulait grands ouverts au peuple qui s’y pressait en nombre. Si, à l’intérieur du château, la seule restriction, pour les hommes, était de porter l’épée au côté, les convenances voulaient, dans les jardins, qu’on ôtât son chapeau au passage du roi « où lui seul était couvert » comme le note Saint-Simon [1].
En ouvrant ses jardins versaillais au peuple, le roi ne faisait que perpétuer un usage en cours dans son jardin des Tuileries, à Paris, ouvert à tous à l’exception des « gens en haillons » et des laquais, ce qui, pour les seconds, ne sera pas le cas à Versailles. Vers 1671, après leur réaménagement par Le Nôtre, Colbert, contrôleur général des finances, voulut fermer les Tuileries au public par crainte des déprédations. Charles Perrault, contrôleur général des Bâtiments, plaida la cause du peuple et gagna (à lire ici).
Loin d’être un caprice, l’accès direct à l’environnement du souverain revêtait un caractère politique profond : « D’aussi loin que nos historiens nous en peuvent instruire, s’il y a quelque caractère singulier à cette monarchie, c’est l’accès libre et facile des sujets au prince » écrivait, en 1661, Louis XIV à son petit-fils pour l’instruire au métier de roi.
Cette liberté qu’il nommait encore « cette douceur, et, pour ainsi dire, cette facilité de la monarchie » avait pour but de mieux lier le sujet à son roi, notamment lors des fêtes publiques : « Les peuples, d’un autre côté, se plaisent au spectacle, où au fond on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu’ils aiment, ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là nous tenons leur esprit et leur cœur, quelquefois plus fortement peut-être que par les récompenses et les bienfaits... ». Eblouir pour mieux dominer ou l’art de la gouvernance. Pour Louis XIV, tout était spectacle. Pouvoir admirer sans obstacle les beautés des appartements royaux et se promener dans ses jardins répondaient à la même logique.
LA GRATUITÉ, UN PRINCIPE POLITIQUE
Aussi, tout le long de son règne, Louis XIV demeura-t-il très attaché à la liberté de circulation de tous dans son domaine de Versailles, humbles comme nobles, français comme étrangers. Mais cette conception politique du libre accès se heurtait à la difficulté pour sa personne d’être confrontée en permanence à une foule lors de ses promenades. Et parfois à des réactions violentes de certains de ses sujets. Ainsi, cette scène que les historiens situent traditionnellement dans les jardins : « Une femme qui avait perdu son fils d’une chute pendant qu’il travaillait aux machines de Versailles, et qui avait été taxée à la chambre de justice, outrée de douleur, présenta un placet en blanc pour être remarquée : et, en effet, on lui demanda en riant ce qu’elle prétendait ; en même temps, elle dit des injures au roi l’appelant putassier, roi machiniste, tyran, et mille autres sottises et extravagances, dont le roi surpris demanda si elle parlait de lui. A quoi elle répliqua que oui et continua. Elle fut prise et condamnée sur-le-champ à avoir le fouet et menée aux Petites-Maisons » [2], c’est-à-dire à l’asile de fous.
Les jours de fêtes et les dimanches, c’était pire. Les jardins de Versailles, avec leurs bosquets plein de surprises et d’amusements, constituaient pour le peuple venu essentiellement de la capitale un véritable parc d’attractions. Une espèce de Versaillesland bien avant l’heure... mais gratuit. Très appréciées et rares, les Grandes eaux qui ne jouaient publiquement qu’aux fêtes de la Pentecôte et de Saint-Louis. Pour le spectacle qui durait environ trois heures, les mille quatre cents jets s’animaient contre moins de sept cents aujourd’hui. Les fontaînes, elles, fonctionnaient durant la belle saison de huit heures du matin jusqu’à huit heures du soir [3].
Un auteur d’aujourd’hui décrit l’arrivée massive des parisiens sur Versailles un jour de fête au point de créer tout le long un embouteillage Grand Siècle : « Ils arrivent en voiture, à cheval, à pied, en prenant le bateau jusqu’au pont de Sèvres. Dès la sortie de Paris, au Cours-la-Reine, la route est encombrée » avant de préciser : « Il ne serait venu à l’idée de personne de faire payer quelque droit d’entrée, ni même d’exercer un contrôle » [4].
Les jardins étaient réservés aux promeneurs à pied, les carosses n’y étant pas autorisés, à quelques exceptions près. Pour les empêcher d’y pénétrer, des barrières « laissant de place en place un vide occupé par un tourniquet pour le passage des piétons ». Les carosses, venant de la cour Royale, « ayant traversé le passage, suivaient le pavé descendant la rampe, contournaient le bassin de Neptune et de là filaient vers Trianon » [5]. A noter la présence de pavés de bois aux passages pour diminuer le bruit des carosses.
Les célèbres fêtes de 1664, « Les Plaisirs de l’île enchantée », avaient été réservées à la cour. Quatre ans plus tard, celles du « Grand Divertissement royal » seront ouvertes à tous. Ce sera une « cohue épouvantable » selon le mot de Mademoiselle d’Armentières. Le marquis de Saint-Maurice note qu’il n’y a jamais eu si grande aflluence de peuple et jamais de si grands désordres« , il parvient enfin jusqu’à la fête »après avoir eu difficulté d’entrer dans le jardin à cause du monde que je rencontrai à la porte" [6]. Les élégants en perdront plumes et rubans, des ambassadeurs seront bousculés, la reine elle-même ne pourra accèder à la comédie que grâce à l’intervention personnelle du roi. La Gazette de France annoncera trois mille personnes.
DES DÉGRADATIONS EN NOMBRE
Mais cette fréquentation haute des jardins n’allait pas sans dégâts. De nombreuses dégradations et de vols étaient constatés dont la statuaire et les fontaînes étaient les premières victimes. Les responsables de l’entretien du domaine s’en plaindront constamment. Mais le roi semblait faire la sourde oreille, placant au-dessus de tout l’accès libre de son domaine à son peuple, fut-il voleur [7].
Or, les dégradations commises dans les jardins semblaient moins résulter de la forte affluence des visiteurs que d’une surveillance inefficace. Pendant le règne de Louis XIV, le plus grand soin était apporté à leur entretien sous la direction du jardinier en chef Henry Dupuis qui comptait sous ses ordres une douzaine de « valets », plus des aides à la journée pour ratisser les allées [8].
Mais l’administration des Bâtiments disposait de si peu de gardes pour l’ensemble du domaine qu’une protection minimale s’avérait quasi impossible. Les Jardins, s’étendant sur quatre vingt treize hectares [9], étaient clos de murs et ceint de grilles ponctuées de petits pavillons de brique où logeait dans chacun, de façon très précaire, un garde suisse censé veiller sur les allées et venues [10]. Mais, affectés à la surveillance proprement dite des Jardins, on dénombrait seulement deux gardes bosquets qui, selon les archives de l’administration des Bâtiments, « n’osaient même pas, par crainte de représailles, réprimander les sottises des pages des Ecuries, qui s’amusaient à casser les treillages, à enlever les clés et soupapes des fontaînes, à vider les bassins avec leurs bottes » comme le rapporte Vincent Maroteaux [11]. Voilà donc les coupables d’une partie des déprédations, des jeunes gens chamailleurs et familiers des lieux ! Un autre auteur évoque aussi les bêtes sauvages comme responsables possibles de dégâts dans les plantations [12]. Sinon, il semblerait que l’essentiel des dégradations ait été constitué par des vols de métaux, surtout des conduites en plomb, ce qui pouvait coûter la vie à leurs auteurs quand ils étaient appréhendés [13].
DES GRILLES AUX BOSQUETS
Excédé, après plus vingt ans de travaux et d’embellissements, trois ans seulement après l’installation officielle de la cour à Versailles, Louis XIV décida subitement de restreindre l’accès de ses jardins. Le 13 avril 1685, le marquis de Dangeau note dans son journal : « Le Roi, ne pouvant plus se promener dans ses jardins sans être accablé par la multitude du peuple, qui venait de tous les côtés et surtout de Paris, ordonna aux gardes de n’y plus laisser entrer que les gens de la Cour et ceux qui y mèneraient avec eux ; la canaille qui s’y promenait avait gâté beaucoup de statues et de vases ».
En réalité, la restriction d’entrée visait uniquement l’accès aux bosquets qui, au début du règne du Grand Roi, étaient beaucoup plus sophistiqués et fragiles que dans la seconde partie de son règne. On installa des grilles pour les protéger et dix ans plus tard, en 1696, on renouvela leur jeu de quatre-vingt quatre clefs [14], signe peut-être d’un trafic qui ne fera que croître.
Les dispositions prises par Louis XIV eurent-elles un quelconque effet sur la protection des jardins ? On l’ignore. Toujours est-il que vingt ans plus tard, en 1704, au cours d’une promenade, alors que certains des bosquets avaient été éliminés et la plupart simplifiés, il ordonna « qu’on ôtât toutes les grilles qui enferment tous les bosquets et [voulut] que tous les jardins et toutes les fontaînes soient pour le public. » [15]. Dix jours plus tard, il confirmait sa décision : "Le Roi partit de Meudon à deux heures et demie pour venir ici [à Versailles], où il se promena jusqu’à la nuit dans ses jardins ; il fait ouvrir beaucoup d’allées nouvelles dans ses bosquets, qui embelliront fort le jardin qu’il abandonne au public ; il n’y aura plus rien de renfermé que le Labyrinthe [16]. Comme si le monarque presque septuagénaire avait voulu laisser en héritage à son peuple l’accès totalement libre à ses jardins tant aimés [17].
Pour assurer la tranquillité les promenades personnelles du Roi-Soleil, on semble avoir adopté une nouvelle méthode comme pourrait le laisser penser l’allemand Nemeitz dans un guide pour voyageurs écrit vingt ans plus tard : « Quand le Roi était dans le Parc, il ne fut permis à personne d’y entrer, si non qu’à sa suite, & ceux qui se trouvaient déjà dedans par hasard furent avertis par les Suisses, qui patrouillaient de tous côtés, afin de se retirer » [18].
DES JARDINS TOUJOURS LIBRES
En 1715, Louis XIV décède. Ces successeurs perpétuent la tradition de libre accès aux jardins. Tout à chacun peut parfois aperçevoir le roi. Ainsi, le 3 septembre 1722, l’avocat Barbier, de retour de Versailles, note dans son journal qu’il a vu le jeune Louis XV « se promener à pied dans les jardins, son chapeau sous son bras, quoiqu’il fit vent & froid ». Sous le règne du Bien-Aimé, la foule est toujours aussi dense à se presser dans les jardins. Les voyageurs étrangers aussi, qui viennent en touristes, guide à la main, sachant que : « Il faut plus d’un jour, pour considérer tout ce qu’il y a de rare & de beau dans ce Parc, avec l’attention qu’il mérite, à cause de la grande quantité d’objets qui dissipent les sens, quand on les voit tout à coup », comme l’indique l’allemand Nemeitz.
Pour le feu d’artifice clôturant les fêtes versaillaises du mariage de la fille aînée du roi, le 26 août 1739 [19], le commissaire de police Pierre Narbonne comptabilise dans son journal au moins « six à sept mille personnes » sur des gradins, presque autant sur les combles du château et « plus de quatre-vingt mille personnes se pressaient sur la terrasse (...) et dans les parterres du nord de l’Orangerie (...) Il était venu à Versailles une si grande quantité de personnes de Paris, que beaucoup ne purent trouver de voitures pour le retour et furent obligées de rester jusqu’au samedi suivant ». Il relève, à chaque grande occasion, la forte affluence des parisiens.
En mai 1770, le mariage du Dauphin avec la jeune Marie-Antoinette est l’occasion de fêtes sompteuses dont celle du samedi 19 mai, au soir, est le summum. Dans les jardins, on compte deux cent mille personnes, venues de Paris et des environs, écrit Pierre de Nolhac : « On danse aux orchestres installés dans les bosquets. Un cortège de bateleurs du Roi, en habit blanc, avec écharpe rouge et bleue, parcourt les bosquets, musique en tête, dansant et mettant l’entrain partout ». Le soir, on tire un feu d’artifice extraordinaire tandis que les jardins sont illuminés de cent soixante mille lampions, les douze principaux bosquets étant reliés « par des allées de feu ». « La foule se promène toute la nuit. La Cour entière est dans les jardins, mêlée au peuple » [20].
Sous Louis XVI, Pierre Verlet évoque des « foules énormes » envahissant les « jardins publics » comme les nomment explicitement Madame Campan dans ses mémoires [21]. Le dimanche, les parisiens continuent de venir en nombre ainsi que l’été, où on note aussi une forte présence de provinciaux. Le voyage, depuis Paris, n’est pas des plus commodes mais que de souvenirs rapportés comme le raconte Louis-Sebastien Mercier (A lire ici). Après avoir circulé dans les allées des Jardins, être descendu jusqu’à l’Orangerie, les visiteurs poussent généralement la promenade jusqu’à la Ménagerie, à l’extrémité sud du Grand Canal. Construite sous Louis XIV, cet ancêtre de nos zoos abrite des bêtes exotiques : pélicans, autruches, dromadaires, lions, tigres et même un rhinoceros [22]. Les jeux d’eau sont toujours très populaire. En août 1789, Louis XVI les interdit à la demande des meuniers des vallées environnantes, la sécheresse ayant entraînée la grave crise des farines.
LES NOCTURNALES DE LA REINE
Les jardins peuvent parfois aussi être autant encombrés la nuit que le jour, et d’innocentes promenades virer à l’affaire politique. C’est ce que Marie-Antoinette apprendra à ses dépends. Durant l’été 1778 qui fut particulièrement chaud, enceinte de sa fille, elle « passait les jours entiers dans ses appartements exactement fermés et ne pouvait s’endormir qu’après avoir respiré l’air frais de la nuit » rapporte Madame Campan. La reine se promène alors le soir « sur la terrasse au-dessous de son appartement », accompagnée d’un entourage restreint. Ces dames, selon la mode, sont toutes « vêtues de robes de percale blanche avec de grands chapeaux de paille et des voiles de mousseline ». Pour agrémenter le plaisir de profiter de « ces belles nuits d’été », on installe un gradin « au milieu du parterre » où prennent place des musiciens, le tout éclairé par les nombreuses bougies des appartements restés ouverts et par des « terrines placées dans le parterre ».
Mme Campan raconte la suite : « Rien de plus innocent que ces promenades, dont bientôt Paris, la France, et même l’Europe furent occupés de la manière la plus offensante pour le caractère de Marie-Antoinette. Il est vrai que tous les habitants de Versailles voulurent jouir de ces sérénades et que bientôt il y eut foule depuis onze heures du soir jusqu’à deux et trois heures du matin ». La promiscuité de la reine avec le petit peuple ne lui déplait pas, elle s’en amuse même, trouvant du plaisir à se fondre dans la foule, incognito. Du moins le pense-t-elle. On s’asseoit sur un banc, un inconnu vous aborde, on échange quelques propos. La reine et ses dames s’amusent beaucoup de ces situations incongrües qui violent l’étiquette sans avoir conscience qu’elles sont épiées de toute part par des yeux malveillants et sans compter qu’il arrive que la rencontre d’un soir - de quelques minutes - reconnait parfois la reine et s’en vante ensuite partout. Scandale.
Peu de temps après, la reine donne un « concert particulier » dans le bosquet de la Colonnade. Les invités sont triés sur le volet, le peuple, lui, n’est pas admis ce qui est très mal perçu. La calomnie court sur la vraie nature de ce concert et sur le comportement de la reine lors de ces « nocturnales » [23]. Des chansons outrageantes circulent jusqu’à qu’un manuscrit entier ostensiblement abandonné dans le Salon de l’Oeil-de-Boeuf arrive entre les mains du roi qui s’en offusque [24].
TRAFICS EN TOUS GENRES
Depuis la mort du Grand Roi, les dégradations dans les jardins n’ont jamais cessé. En 1730, on a rétabli les grilles autour des bosquets. L’architecte Jacques-François Blondel déplorera vingt ans plus tard qu’on ait attendu si longtemps : « Il eût été à désirer qu’on eût pris plus tôt ce parti ; bien des figures de marbre, mutilées aujourd’hui, auraient été conservées dans leur entier. D’ailleurs, celle de métal, les conduites de plomb, les robinets de cuivre, rien n’était en sûreté et, malgré l’attention des fontainiers à cet égard, il est arrivé plus d’une fois que plusieurs pièces d’eau rendaient imparfaitement leur effet, la plupart des tuyaux qui étaient à découvert ayant été enlevés la veille. » [25].
Mais les actions malveillantes ne sont pas à elles seules la cause du « dépérissement général » des jardins que dénonce, en 1750, Le Normant de Tournehem, directeur général des Bâtiments du roi Louis XV. La négligence, le manque d’entretien, des travaux toujours repoussés et finalement la dépréciation de l’oeuvre de Le Nôtre passée de mode - une « nature étouffée, ensevelie sous un appareil de symétrie et de magnificence » écrit par exemple le jésuite Laugier [26] - auront raison notamment de l’extraordinaire Labyrinthe de verdure qu’on finira, sous Louis XVI, par supprimer totalement [27] pour le remplacer par le Bosquet de la Reine qui sera le théâtre d’une des scènes trouble de l’Affaire du collier mettant en cause Marie-Antoinette. Louis XVI, lui à qui l’on reprochera son indécision chronique pour les questions politiques, ordonne courageusement qu’on replante entièrement le parc arboré entre 1774 et 1776, lui donnant provisoirement des airs de champ de ruines et qu’on remette en état toutes les conduites des bassins.
Mais, en réalité, les grilles n’empêchent pas grand chose puisque se développe un véritable trafic de clefs qui permettent à qui veut de pénétrer dans les bosquets et de se livrer, en dehors de la simple promenade, à toutes les forfaitures.
En 1764, un certain Turmeau de la Morandière qui réclame une réforme de la police en donne une vision apocalyptique : « Le Château même, le séjour du plus puissant Monarque de l’Europe, est le réceptacle de toutes les horreurs de l’humanité : ses bosquets, dont un tas de polissons et de valets a fait fabriquer des fausses clefs pour y gâter tout, plutôt que pour s’y promener ; le parc, les jardins, le château même, font soulever le coeur par les mauvaises odeurs. Les passages de communication, les cours des bâtiments en ailes, les corridors sont remplis d’urines et de matières fécales : il semblerait qu’on aurait abandonné le château, les jardins, les promenades et la ville à l’indiscrétion des soldats et de la plus vile populace... ». A l’en croire, Versailles est « inondé » par les vagabonds - « une foule de fainéants » - qui harcèlent et mendient jusque dans les jardins devenus très dangereux : « Si la Police s’était faite à Versailles telle que je la demande (...) un jeune Cornette n’aurait pas été égorgé, et son visage défiguré il y a environ sept ans, près de la cascade de Latone... ».
Des bosquets qui sont aussi le théâtre de pratiques plus pacifiques mais tout aussi inconvenantes... En juin 1722, après sept ans de relatif abandon, Louis XV âgé de douze ans réintègre Versailles, y attirant toute la cour. A peine arrrivé, le jeune monarque se précipite dans les jardins pour une visite pleine de souvenirs avant de s’allonger dans la Galerie des glaces pour en admirer la voûte peinte par Le Brun, toute sa suite l’imitant.
Durant la Régence, on a assisté à un relâchement des moeurs qui en choque plus d’un, tel l’avocat au parlement Mathieu Marais qui note, dans son journal, qu’à la cour « on vit en débauche ouverte » [28]. L’entourage même du roi semble concerné. Un mois après le retour de Louis XV dans le château de son arrière-grand-père, l’Affaire des palissades éclate. Un scandale vite étouffé qui, sur le coup, fait grand bruit. Il met en cause six jeunes gens de la plus haute noblesse, proches du roi et d’à peine vingt ans [29]. « Scandales à Versailles » comme le titre Edmond-Jean-François Barbier, un autre avocat tenant journal. Effectivement : « Au clair de lune, dans un bosquet de Versailles, il plaisait à ces Jeunes seigneurs, qui sont presque tous nouvellement mariés, de faire des débauches assez publiquement ». Entre eux bien entendu. C’en est trop de cette vie tapageuse que mènent ces jeunes hommes tandis que leurs épouses délaissées s’affichent ouvertement avec des amants. Tous seront bannis de la cour, expédiés manu militari en province, l’un échouant à la Bastille. L’affaire de moeurs masque en partie la disgrâce prochaine du vieux marquis de Villeroy, gouverneur du roi en conflit avec le Régent, lié par le sang à plusieurs de ces jeunes débauchés.
Signe d’une pudibonderie naissante, « quand le Roi a demandé pourquoi tous ces exils contre ces jeunes seigneurs, on lui a dit qu’ils avaient arraché des palissades dans les jardins, et à présent on ne donne d’autre nom à ces jeunes seigneurs qu’arracheurs de palissades » précise M. Marais [30].
JARDINS DES PLAISIRS
Rien d’étonnant de trouver dans les fourrés royaux quelques sodomites en pleine action. Les Jardins de Versailles avec leurs bosquets propices à l’intimité ont vraisemblablement été depuis le début le théâtre d’ébats en tous genres, avec une prédilection pour les plus moralement répréhensibles. Une relative tolérance due au statut particulier des jardins royaux. Tout territoire relevant de la Maison du Roi - châteaux, résidences et parcs - était soumis à l’autorité de la Prévôté de l’Hôtel beaucoup moins regardante sur les comportements que la Lieutenance générale de police qui n’avait le droit de n’y procéder à aucune arrestation. Ainsi, à Paris, le jardin royal des Tuileries devint un territoire privilégié pour les rencontres homosexuelles ainsi qu’un haut lieu de la prostitution, du raccroc disait-on. De même au Luxembourg.
Cependant, pas sûr qu’à Versailles, sous les fenêtres mêmes du roi, on toléra les mêmes pratiques. Tout du moins jusqu’à une telle ampleur et encore moins sous le règne de Louis XIV. Intransigeant vis-à-vis de la prostitution, le monarque « absolu » rêvera d’éradiquer toute forme de vagabondage, y compris sexuel, par la mise en oeuvre d’une politique ultra-répressive. Sans vraiment de résultat. Versailles, ville de garnison et de domesticité, ne pouvait qu’attirer de nombreuses professionnelles du sexe. En 1687, en réaction à un meurtre avec, pour toile de fond, une rivalité entre soldats pour plusieurs d’entre elles, le roi promulgua une ordonnance « pour faire condamner les filles de mauvaise vie qui se trouveront avec des soldats à deux lieues aux environs de Versailles et des camps de l’Eure à avoir le nez et les oreilles coupées ». La peine spectaculaire ne sera quasi jamais appliquée, pas plus que l’ordonnance ne sera suivie d’une quelconque vague répressive [31].
Dans les Jardins, seuls les Suisses et les gardes bosquets étaient en droit d’arrêter les délinquants mais la faiblesse de leur nombre devait les rendre plus qu’impuissants à lutter contre ce type d’agissements. Mais, à l’époque du Roi Soleil, cette surveillance déficiente devait être compensée par le fait que le domaine en entier était surveillé en permanence par un réseau important d’espions à la solde de l’Intendant du roi, Premier valet de chambre, constituant une véritable police secrète d’ordre et de renseignements. La situation semble s’être relâché aux règnes suivants. Dans les cinquantes années qui précèderont la Révolution, la plupart des prostituées versaillaises arrêtées le seront de nuit, place d’Armes ou dans les avenues proches qui comptaient de nombreux cabarets. La journée, on signale leur présence jusque dans le château, arpentant corridors ou galeries et dans le parc.
Les Jardins pouvaient bien servir au « raccroc » du client mais la consommation, elle, devait s’effectuer certainement plutôt dans le vaste parc. De même pour les pédérastes comme on les appellera à la fin du XVIIIème sièce qui, fuyant, l’insécurité des jardins royaux de la capitale où des « mouches », jeunes aguicheurs travaillant pour la police, cherchaient à les piéger en les attirant au dehors de leurs enceintes afin de procéder à leur arrestation. D’autant qu’à Versailles, il n’y avait aucune restriction d’entrée, pas même pour les laquais. Ainsi, Antoine Guy, vingt-deux ans, laquais sans condition, témoigne dans un rapport de police signé d’une de ses mouches : « Il m’a dit que la promenade du Luxembourg n’était pas aussi favorable que celle de Versailles, parce qu’au Luxembourg, on était vu de tous côtés, qu’on ne pouvait pas se divertir sans être vu, que mercredi soir, dans le parc de Versailles, il avait trouvé un jeune homme avec lequel il s’était bien diverti... qu’il connaissait encore un petit bardache qui se promenait tous les soirs sur la terrasse de Versailles, qui était un fort beau garçon et qu’il l’aimait fort... » [32]. Cette vie homosexuelle de plein air, à Versailles, est corroborée par le témoignage d’un certain Jean-Baptiste François, prostitué, qui évoque une clientèle abondante qui le fait rester là-bas des mois : « Je n’y reste pas une demi-heure sans étrenner » indique-t-il [33]. On peut supposer qu’il en était de même pour les prostituées femmes.
JARDIN, ESPACE ÉGALITAIRE
A l’aube de la Révolution, les jardins de Versailles, au bout de deux siècles d’existence, étaient, on le voit, plus que jamais ouverts à tous. Dans son guide, Nemeitz l’indiquait on ne peut plus clairement avec une pointe de surprise et d’émerveillement : « le Parc ou Jardin de Versailles est ouvert jour et nuit, et tout le monde a la liberté d’y entrer dedans, sans discernement de sexe, d’âge ni de condition. ». En cela, les jardins royaux de Versailles constituaient un rare exemple d’espace démocratique où toutes les classes d’une société ultra-hiérarchisée pouvaient se croiser et se confondre. Mais n’est-ce pas là l’utilité profonde d’un jardin public ?
Ironie de l’Histoire, cette « facilité de la monarchie » que théorisait Louis XIV comme outil de domination, aidera l’invasion du château le 6 octobre 1789 au petit matin, telle une faille dans le système : « …une troupe de bandits armés, accompagnés de quelques femmes, fit, par des passages intérieurs du jardin, une irruption soudaine dans le château... » établit l’enquête criminelle qui suivit l’événement [34]. Le jour même, la famille royale quittait Versailles précipitamment, abandonnant château et jardins, pour ne plus jamais y revenir.
Documents publiés à l’occasion de notre enquête :
L’ouverture des Tuileries au public sauvée par Charles Perrault
Des inconvénients d’aller à Versailles en carrabas
OUVRAGES CONSULTÉS
Ouvrages et récits d’époque :
« Mémoires pour l’instruction du dauphin » par Louis XIV, texte présenté par Pierre Goubert, éd. Imprimerie nationale, 1992
« Journal des règnes de Louis XIV et de Louis XV » par Pierre Narbonne, 1866
Mémoires du duc de Saint-Simon
Journal du marquis de Dangeau
Journal de l’avocat Barbier, éd. Paleo, 2002
Journal de Mathieu Marais
Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson
« Séjour de Paris, c’est-à-dire instructions fidèles pour les voyageurs de condition qui veulent faire un bon usage de leur temps et argent à Paris » par J.-C. Nemeitz, 1727
« Police sur les mendians, les vagabonds, les joueurs de profession, les intrigans, les filles prostituées, les domestiques hors de maison depuis long-tems, et les gens sans aveu » par Denis-Laurian Turmeau de La Morandière, Paris, 1764
« Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI » par Jean-Louis Soulavie, éd. Treuttel et Würtz, 1801
« Mémoires de Madame Campan », éd. Mercure de France, version de poche, 1988
Ouvrages contemporains :
« Versailles résidence de Louis XIV » par Pierre de Nolhac, éd. Louis Conard, 1925
« Versailles au XVIIIème siècle » par Pierre de Nolhac, éd. Louis Conard, 1926
« Marie-Antoinette dauphine » par Pierre de Nolhac, éd. Louis Conard, 1929
« Versailles » par Pierre Verlet, éd. Fayard, 1961
« Promenades dans Versailles et ses jardins » par Bernard Champigneulle, éd. Club des Libraires de France, 1961
« La vie quotidienne à la cour de Versailles aux XVIIe et XVIIIe siècles » par Jacques Levron, éd. Hachette, 1965
« Libertinage et prostitution à Versailles dans la seconde moitié du XVIIIe siècle » par Jacqueline Tricoire, Hachette, 1973
« Versailles au temps de Louis XIV » par Alfred et Jeanne Marie, éd. Imprimerie nationale, 1976
« Les bûchers de Sodome » par Maurice Lever, éd. Fayard, 1985
« La Cour de France » par Jean-François Solnon, éd. Fayard, 1987
« La prostitution et la police des moeurs au XVIIIe » par Erica-Marie Benabou, éd. Perrin, 1987
« Soldats et prostituées : un couple indissociable dans la société de Louis XIV » par Nadine Roger, Revue historique des armées, 1995, n°198
« Jardins et jardiniers de Versailles au grand siècle » par Dominique Garrigues, éd. Champ Vallon, 2001
« Versailles, le roi et son domaine » par Vincent Maroteaux, éd. Picard / Château de Versailles, 2001
« Histoire de Versailles » par Jean-François Solnon, éd. Perrin, 2003
« Le règne de Louis XIV » par Olivier Chaline, éd. Flammarion, 2005
« Versailles, le pouvoir de la pierre » présenté par Joël Cornette, éd. Tallandier, 2006
[1] Un usage contraire se pratiquait dans les jardins de Marly, toujours selon Saint-Simon : « Ce lieu avait encore un privilège qui n’était pour nul autre. C’est qu’en sortant du château, le roi disait tout haut : Le chapeau, messieurs ! et aussitôt courtisans, officiers des gardes du corps, gens des bâtiments se couvraient tous, en avant, en arrière, à côté de lui, et il aurait trouvé mauvais si quelqu’un eût non seulement manqué, mais différé à mettre son chapeau ; et cela durait toute la promenade... ».
[2] Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, juillet 1668.
[3] « Versailles résidence de Louis XIV » par P. de Nolhac, p.209.
[4] « Promenades dans Versailles et ses jardins » par B. Champigneulle, p.169.
[5] « Versailles au temps de Louis XIV » par A. et J. Marie, p.442.
[6] « Lettres - La cour de Louis XIV » par le marquis de Saint-Maurice, éd. Calmann-Lévy, 1910 - lettre du 20 juillet 1668
[7] Il en allait de même dans le château où les vols étaient très fréquents. L’anecdote la plus célèbre et la plus savoureuse concerne un morceau bordé d’or du dessus de lit du roi qui avait été découpé et volé en même temps que des franges provenant d’une antichambre ! Saint-Simon raconte leur surprenante réapparition en plein repas royal public : « Vers l’entremets, j’aperçus je ne sais quoi de fort gros et comme noir en l’air sur la table, que je n’eus le temps de discerner ni de montrer par la rapidité dont ce gros tomba sur le bout de la table. Le bruit que cela fit en tombant, et la pesanteur de la chose fit bondir les plats, mais sans en renverser aucun, et de hasard cela tomba sur la nappe et point dans les plats. Le Roi, au coup que cela fit, tourna la tête à demi, et sans s’émouvoir en aucune sorte : »Je pense, dit-il, que ce sont mes franges...« Cela dit un moment de murmure... »Voilà, dit le roi, qui est bien insolent« , mais d’un ton tout uni et comme historique. »
[8] Henry Dupuis fut jardinier à Versailles de 1664 jusqu’à sa mort en 1703. A la fin de sa longue carrière, il était responsable de l’Orangerie, du Petit Parc dont les Jardins proprement dits et des allées contournant le Grand Canal. « Jardins et jardiniers de Versailles au grand siècle » par D.Garrigues.
[9] Les Jardins recouvrent l’actuel « Petit Parc » allant du château jusqu’au Bassin d’Apollon à l’ouest, en bas de l’Orangerie au sud et au Bassin de Neptune au nord.
[10] Quand le château de Versailles se transformera en musée après la Révolution, d’anciens gardes suisses deviendront les premiers gardiens.
[11] « Versailles, le roi et son domaine » par Vincent Maroteaux, p.177.
[12] « Le règne de Louis XIV » par Oliver Chaline, p.111
[13] En 1699, les dénommés Coulon et Féron furent « condamnés à quelque peine capitale » et exécutés à Paris pour avoir volé du cuivre et du bronze dans les bosquets. « Jardins et jardiniers de Versailles au grand siècle » par D.Garrigues, p.204.
[14] « Jardins et jardiniers de Versailles au grand siècle » par D.Garrigues, p.290.
[15] Journal du marquis de Dangeau, 16 novembre 1704.
[16] Journal du marquis de Dangeau, 29 novembre 1704.
[17] De fait, quand nous défendons le principe de libre accès et de gratuité aux jardins de Versailles, nous ne faisons que défendre la volonté de Louis XIV. Une réflexion en forme de boutade pour répondre aux invectives dont nous sommes parfois l’objet sur des forums de discussions de certains « passionnés » de Versailles qui se vivent comme les vrais défenseurs de l’oeuvre de Louis XIV. Parce que nous défendons le principe de libre accès, certains nous font passer pour une espèce de Robespierre qui ne souhaiterait que la destruction d’oeuvres auxquelles nous sommes attachés tout autant qu’eux. Spécial dédicace à un certain « Père de La Chaise » dont le pseudo convient bien à son intégrisme plein de morgue et de suffisance. Exemple : « Les jardins de Versailles sont un musée en plein air, pas un ensemble de squares servant de champ de manoeuvre aux landaus versaillais ou de dépôt de crottes pour le chichien à sa mémère (...) Gageons qu’un certain site trotsko-anarcho-syndicaliste va pousser des hurlements hystériques et appeler à la lutte des classes pour empêcher l’entrée payante. Il y a un petit progrès car en 1794 les maîtres à penser de ces gens-là voulaient »passer la charrue« sur Versailles... ». Ces gens-là... « trotsko-anarcho-syndicaliste », un aspect ignoré de la personnalité du Roi-Soleil !
[18] « Séjour de Paris, c’est-à-dire instructions fidèles pour les voyageurs de condition qui veulent faire un bon usage de leur temps et argent à Paris » par J.-C. Nemeitz, 1727.
[19] Mariage entre Louise-Elisabeth, Madame Première, fille aînée de Louis XV, avec l’infant d’Espagne, don Philippe.
[20] « Marie-Antoinette dauphine » par P. de Nolhac, p.104.
[21] « Mémoires de Madame Campan », p.30.
[22] Des bâtiments de la Ménagerie, seuls subsistent aujourd’hui deux pavillons d’angle. Tout proche, le pavillon de La Lanterne édifié en 1787 par le prince de Poix, gouverneur de Versailles et Capitaine des chasses. Nicolas Sarkozy, à peine élu président de la République, s’est « approprié » cette résidence d’Etat au détriment des Premiers ministres auxquels elle était réservée depuis 1960.
[23] L’expression est de Jean-Louis Soulavie, « historien » pro-Révolution qui en fait la description suivante scandalisant Mme Campan : « Les nocturnales de la terrasse du château donnèrent les plus vives sollicitudes à toute la France. On savait que le roi était retiré, et que le comte d’Artois, Monsieur, et la reine, se répandaient de nuit, dans la foule. La curiosité m’a porté en arrivant à Paris, à me convaincre de la vérité d’un pareil concours. Il n’était que trop vrai que des femmes de tout état, descendaient du château, cachées sous des capotes. Les hommes étaient couverts de grands chapeaux rabattus et d’amples redingotes. Les grands, fatigués de la représentation et des contraintes de la journée, jouissaient le soir d’une liberté dégénérée en licence. Les petits se jetaient dans l’orgie, dans l’espérance des aventures. Tous s’étaient fait un tel besoin de ces divertissements, que les libertins parmi les princes et les gens distingués et en place, ne s’en passaient plus. Un beau garde-du-corps, de qui je tiens l’anecdote, osa concevoir des espérances, II voit la reine, l’accoste, et d’un ton décidé il lui dit : » madame, pardonnez à mon égarement, mais ou…… ou mourir « . La reine, sans se déconcerter, lui répond : » ni l’un ni l’autre , monsieur « . Elle le fit suivre, et lui procura de l’avancement. Le roi, averti et indigné, montra du dépit et des inquiétudes. » in « Mémoires historiques et politiques du règne de Louis XVI », par Jean-Louis Soulavie, éd. Treuttel et Würtz, 1801, p.50.
[24] « Mémoires de Madame Campan », p.163-171.
[25] « Architecture française », t. IV, cité par Pierre de Nolhac.
[26] « Essai sur l’Architecture » par le P. Laugier, 1753.
[27] Créé en 1665 par Le Nôtre, le Labyrinthe est remanié dix ans plus tard pour en faire, sur les recommandations de l’auteur Charles Perrault, un parcours de « leçons et de maximes pour la conduite des amants ». En effet, chacune des 39 fontaines aux nombreuses sculptures animales peintes au naturel est accompagnée de textes inspirés des fables d’Ésope. Bossuet y emmène le Grand Dauphin et s’en sert comme support pédagogique et manuel de lecture à ciel ouvert.
[28] Journal de Mathieu Marais, 31 juillet 1722.
[29] Le marquis de Meuse, le marquis d’Alincourt petit-fils du maréchal de Villeroy, le comte de Ligny, le duc de Boufflers, le marquis de Rambures et le duc de de Retz.
[30] Journal de Mathieu Marais, août 1722. L’Affaire des palissades est racontée dans « L’amour philosophique - L’homosexualité masculine au siècle des Lumières » par Didier Godard, éd. H&0, 2005, p.130.
[31] « Soldats et prostituées : un couple indissociable dans la société de Louis XIV » par Nadine Roger, Revue historique des armées, 1995, n°198. Dans cet article, l’auteur rapporte seulement cinq cas d’application de la peine au cours du long règne de Louis XIV.
[32] Dans le langage du XVIIIème sièce, bardache signifie homosexuel passif. Il peut prendre aussi le sens de prostitué.
[33] « Les bûchers de Sodome » par Maurice Lever, p.309.
[34] « Procédure criminelle instruite au Châtelet de Paris, sur la dénonciation des faits arrivés à Versailles, dans la journée du 6 Octobre », Chez Baudouin, imprimeur de l’Assemblée nationale, 1790. Plusieurs versions existent sur le scénario de cette matinée. Franck Ferrand affirme que les gardes ont tout simplement appliqué la consigne ordinaire en ouvrant les grilles de la cour des Princes à cinq heures et demie, « Ils ont sauvé Versailles », éd. Perrin, 2003, p.26.