30.09.12 | SI VOUS VOULEZ PRENDRE EN PHOTO ce célèbre tableau de Fantin-Latour issu des collections du musée d’Orsay qui en interdit la pratique, rendez-vous en ce moment au Grand Palais puisqu’il fait partie de la très belle exposition « Bohèmes » où, à l’inverse, c’est possible. Évolution discrète mais notable, la Réunion des musées nationaux (RMN) vient d’autoriser depuis début septembre photos et films au sein de ses expositions temporaires parisiennes, que ce soit aux Galeries nationales du Grand Palais ou au musée du Luxembourg dont le Sénat lui a confié la gestion en 2011. Ce n’est pas le premier établissement national à le faire puisqu’il en est de même au Centre Pompidou, sur décision de son président Alain Seban, avec l’accord des artistes, des ayants droit ou des prêteurs [1]. A la RMN, on explique cette décision par la prise en compte de l’évolution des modes de visite. Depuis mai 2012, cet établissement public participe, au ministère de la Culture, au groupe de travail sur les nouvelles pratiques photographiques et filmiques des visiteurs dans les musées et monuments, groupe qui s’est constitué suite à une lettre ouverte dont nous avons été co-signataire, en réaction à la position du musée d’Orsay. L’autorisation photo de la RMN n’est pas pleine et entière mais sous conditions et, on le notera, formulée par la négative :
Dans les faits, comment cela se passe-t-il ? « Bohèmes » qui a démarré le 26 septembre est la première exposition organisée par la RMN au Grand Palais à se voir appliquer la nouvelle réglementation. Lors de notre visite, nous n’avons vu aucune information à l’entrée [2]. Nous l’avons découverte par hasard parce qu’un visiteur, à côté de nous, a pris une photo au flash. Un agent de surveillance venu lui signifier l’interdiction du flash, nous a alors confirmé que la photo était en revanche autorisée, sans signaler aucune restriction. En réalité, comme le règlement l’indique, l’autorisation est partielle. Quand aucune mention contraire ne le signale sur le cartel de l’oeuvre, la photo est permise. A l’inverse, quand apparait le pictogramme d’un appareil photo (rayé), elle est interdite. Mais, le choix graphique du picto prête ici à confusion car assez curieusement, la rayure (noire) a été placée derrière l’appareil, ce qui peut être compris comme une permission. C’est d’ailleurs ainsi qu’un autre gardien nous a expliqué le principe quand un troisième nous a soutenu le contraire. Mais tout cela est nouveau et demande à être clarifié pour tous, visiteurs comme personnels (et graphistes).
Même principe au musée du Luxembourg où a démarré le 19 septembre l’exposition « Le Cercle de l’art moderne ». Très peu d’oeuvres sont concernées par l’interdiction, signifiée ici très clairement par le pictogramme universel d’un appareil photo entouré et barré d’un trait rouge [3]. L’information, discrète, apparaît bien à l’entrée, au niveau du contrôle de billet, par une phrase inscrite au mur associée au pictogramme d’interdiction (voir photo ci-dessous) [4]. Mais le message n’est pas forcément clair, un visiteur inattentif, dont l’oeil ne serait attiré que par le picto, pourrait croire à une interdiction totale. Pourquoi ne pas expliciter la règle par deux pictogrammes associés à une phrase d’explication, un d’autorisation qui pourrait être un appareil photo entouré d’un cercle vert et un d’interdiction, seul à être repris dans l’exposition pour les oeuvres concernées ?
L’information n’ayant fait l’objet d’aucune publicité de la part de la RMN, très peu encore de personnes prennent des photos, au musée du Luxembourg comme au Grand Palais. Mais il y a de fortes chances qu’une fois la nouvelle règle connue, la pratique se développe. Comment alors sera-t-elle gérée par les agents de surveillance ? Faire respecter la distinction entre photos autorisées et photos interdites sera difficile, à moins de mettre un gardien devant chaque tableau. L’interdiction ciblée est-elle juste symbolique, comme c’est le cas pour les expositions d’art contemporain au Château de Versailles [5] ?
INTERDICTION PARTIELLE OU TOTALE
Si certaines oeuvres sont interdites de photos, que ce soit au Grand Palais ou au musée du Luxembourg, ce n’est pas, dans la majorité des cas, pour une question de droit d’auteur mais juste une exigence du prêteur, musée ou collectionneur. Car, que l’auteur de l’oeuvre soit vivant ou mort, il y a plus de 70 ans ou pas selon la législation européenne, cela ne change rien. Son propriétaire public ou privé ne l’est que de l’objet matériel, pas des droits patrimoniaux qui s’y rattachent, encore moins du droit moral. A l’exception rare du cas où il y a eu cession des droits d’exploitation, ou que les ayants droit ou l’artiste encore vivant restent toujours propriétaires de l’oeuvre exposée. Mais, même s’il n’y a aucune base légale à la plupart de ces restrictions, les organisateurs d’une exposition sont bien obligés d’accepter les conditions du propriétaire, sous peine de se voir refuser un prêt. Pour les mêmes raisons, la limitation au seul usage privé des photos prises, qu’on retrouve dans quasi tous les règlements de musées, est largement sujet à caution. D’autant plus pour des photos d’oeuvres du domaine public dont, légalement, rien ne s’oppose à la libre utilisation commerciale [6].
La RMN, comme l’indique le règlement de visite du Grand Palais, se réserve le droit de « limiter » l’autorisation photo « en cas de forte affluence ». En clair, l’interdire. Ce sera probablement le cas pour la rétrospective prochaine d’Edward Hopper dont l’oeuvre n’est pas dans le domaine public. Outre que la grande majorité des tableaux prêtés a fait l’objet de restriction en ce sens de la part des propriétaires, l’exposition drainera sans doute des foules très importantes. Dans ce cas précis, on peut comprendre la décision de la RMN, mais alors pourquoi tolérer les audioguides dont l’usage ralentit les flux et qui constituent souvent une gêne sonore pour l’entourage ? La décision de la RMN n’a rien à voir avec l’interdiction photo du musée d’Orsay qui, même dans ses salles les plus fréquentées, n’atteint pas le degré de saturation que peut connaître une grande expo. Et la problématique de présentation au public de collections permanentes, au coeur des missions des musées nationaux et des musées en général, est différente de celle d’une exposition temporaire.
Il est trop tôt pour savoir comment l’initiative de la RMN va se concrétiser mais elle nous semble intelligente et en phase avec son temps. Mais, pour que les choses se passent dans les meilleures conditions, autant pour les visiteurs que pour les agents de surveillance, peut-on s’abstenir d’informer clairement le public des règles applicables sans oublier, celles, essentielles, de civilité pour que cohabitent les différentes pratiques de visite, dans le respect des uns et des autres.
A cette déclaration de Robert Carsen, scénographe
Les musées, comme les théâtres, restent des lieux – dans notre monde où l‘on fait les choses de plus en plus individuellement, avec nos petits ordinateurs, téléphones et autres –, où on se retrouve pour partager une expérience ensemble.
Dans le dossier de presse, Guy Cogeval, président des musées d’Orsay et de l’Orangerie réponds justifiant ainsi l’interdiction des photos :
C‘est une des raisons pour lesquelles nous avons interdit de prendre des photos dans les salles. Les visiteurs ne regardaient plus... et empêchait les autres de voir.
Photographier empêche donc de voir ? je pensais « innocemment » que cela aiguisait le regard.
La pédagogie par l’interdiction, on rêve de mieux de la part d’un dirigeant de musée. Quel sens du public !
[1] Dernièrement, il a été possible de photographier au Centre Pompidou la quasi totalité des oeuvres des expositions d’artistes vivants comme Gerhard Richter ou François Morellet mais pas dans celle de Jean-Michel Othoniel. Voir le règlement de visite, articles 6, 19 et 20.
[2] Les règles de prises de vue n’apparaissent pas non plus à l’entrée des expositions temporaires du Centre Pompidou, hormis la présence d’un pictogramme d’interdiction du flash, ce qui sous-entend l’autorisation photo. Les oeuvres interdites de prises de vue sont signalées, sur le cartel, par le pictogramme d’un appareil photo barrée d’un trait rouge, comme on a pu le constater lors de l’exposition Richter.
[3] Merci aux agents du musée du Luxembourg de nous avoir autorisé, après appel à leur hiérarchie, à prendre en photo l’un de ces cartels.
[4] Le règlement de visite en ligne du musée du Luxembourg n’a pas encore été modifié.
[5] Pour les expositions Takashi Murakami et Joanna Vasconcelos, l’interdiction de prises de vue était explicitement signalée, mais, dans les faits, tolérée, sans remarque du personnel de surveillance dans l’incapacité matérielle de la faire appliquer.
[6] Sur toutes ces questions, consulter le Guide pratique du droit d’auteur par Anne-Laure Stérin, éd. Maxima, 2011.