LIRE AUSSI :: « McDonald’s au Louvre, un tsunami dans la presse internationale » et « McDonald’s et les mensonges du Louvre »
27.09.09 | LA RUMEUR ENFLAIT. La nouvelle a été confirmée récemment par LE FIGARO [1] : à la fin de l’année, en novembre décembre prochain, un MCDONALD’S ouvrira ses portes, non dans le musée du Louvre lui-même qui compte bien en son sein plusieurs espaces de restauration [2] mais dans la Galerie du Carrousel qui le jouxte souterrainement et qui lui appartient.
Cette haute galerie en pierre de Bourgogne et en béton blanc - « le lieu unique d’une rencontre réussie entre culture, tourisme, histoire et shopping » clame la publicité - a été ouverte en 1993 et, pour ne pas nuire à l’image du musée, ne devait accueillir à l’origine que des boutiques de luxe ou à vocation culturelle [3]. Elle s’est rapidement transformée en centre commercial, son appellation faisant presque oublier que le Carrousel est avant tout un monument visible en surface sur l’esplanade menant aux Tuileries, arc de triomphe érigé en 1809 par les architectes Percier et Fontaine sur ordre de Napoléon pour célébrer la victoire de l’armée française à Austerlitz.
Situé dans le prolongement de l’espace d’accueil du musée sous la pyramide dit Hall Napoléon, intégrant une partie de la base de l’enceinte fortifiée de Charles V et un parking [4], le centre commercial du Carrousel du Louvre fit partie du projet du Grand Louvre confié aux architectes Ieoh Ming Pei et Michel Macary au temps du monarque-président François Mitterrand. La violente polémique autour de la pyramide de verre masqua les craintes de ses opposants de voir le Commerce flirter avec le grand Art : « les marchands et les commentateurs n’ont pas à occuper avec tant d’insistance les abords du temple... on n’éveille pas la curiosité pour l’art à travers les cafétérias et une sous-culture de pacotille... Le Louvre est un palais ; on n’a pas à le faire précéder d’un mélange de drugstore et d’aéroport » pouvait-on lire alors dans un pamphlet signé notamment de l’historien Bruno Foucart [5].
Leurs prévisions se sont partiellement réalisées. Sans succès au départ à en croire L’HUMANITÉ qui notait en novembre 1993, le jour de l’ouverture gratuite au public de la nouvelle aile Richelieu du Louvre : « On notera que ceux qui faisaient la queue dans la galerie commerciale pour avoir accès au musée, plutôt que se précipiter dans les boutiques, n’avaient en tête que de voir les trésors exposés, choisissant d’emblée le temple plutôt que ses marchands. Virgin, par exemple, connut une fréquentation très moyenne. Sain réflexe de cette multitude curieuse de tout qui comptait bien s’en jeter plein les mirettes » [6].
Depuis, la galerie qui bénéficie d’une liaison directe avec le métro et d’un flux annuel de 9 millions de passants accueille une cinquantaine d’Enseignes centrées sur le secteur du bien-être et des cadeaux. Les plus renommées sont VIRGIN, ESPRIT et bientôt APPLE. En 2008, le chiffre d’affaires global du centre atteignait les 51 millions d’euros [7]. Reconnue dès le départ zone touristique par la Mairie de Paris [8], sa particularité est d’être ouverte 7 jours sur 7 et 365 jours de l’année. Un rêve sarkozien. Le lieu accueille également salons et congrès gérés par VIPARIS, qui bénéficient de la renommée du musée prestigieux et parfois en jouent. Ainsi un artiste d’aujourd’hui peut dire qu’il expose au Louvre sans presque mentir. Certains ne s’en privent pas.
Les terrains appartenant à l’Etat, depuis janvier 2000 il en a confié l’exploitation à la société ESPACE EXPANSION filiale 100% d’UNIBAIL, spécialiste européen de l’immobilier commercial, qui gère le centre à travers la SAS du Carrousel du Louvre [9]. Cette société reverse des dividendes au musée comme l’ensemble des concessionnaires présents sur le site [10]. Le musée est chargé de faire respecter les accords passés avec l’Etat et notamment « la nature et la qualité des commerces » autorisés, tel que défini par le cahier des charges du bail à construction qu’on serait curieux de voir.
La direction du musée suit de près l’activité de la galerie commerciale, à travers, depuis 2005, son service Valorisation du domaine [11]. Le musée mène des actions conjointement avec ses Enseignes : offres exclusives, permanentes ou d’ordre événementiel, réservées au personnel du musée ou aux Amis du Louvre. Elle observe avec intérêt le développement économique de ce qui, pourtant, n’a strictement rien à voir avec l’objet de sa mission culturelle, comme les campagnes de communication de la galerie pour en « promouvoir la dimension shopping », le succès de l’implantation de telle ou telle Enseigne ou encore la tenue de soirées shopping privé « de plus en plus reconnues et fréquentées » organisées par exemple par le magazine MARIE CLAIRE [12].
APRÈS LE CADÉ DOC, LE MCDO D’ART
En décembre 2006, il y eut un certain émoi et même parait-il une pétition, quand le Louvre concéda un emplacement à STARBUCKS COFFEE - le McDo du café - dans l’allée du Grand Louvre, jusqu’alors réservée aux boutiques et services annexes du musée, à deux pas de l’espace dédié à l’honorable Société des Amis du Louvre [13]. Un accord fut trouvé avec la marque d’origine américaine à la très mauvaise réputation sociale pour en faire assez hypocritement un « café documentation » selon la terminologie officielle : un « nouveau concept conçu pour répondre à la double attente des visiteurs d’un lieu convivial et d’un accès à l’information » [14]. La clientèle a gratuitement à sa disposition guides et catalogues édités par le musée. C’est vrai, nous l’avons constaté, quelques exemplaires défraîchis et cornés se battent sur des étagères presque vides.
Qu’un restaurant McDonald’s voit le jour prochainement dans l’élégante Galerie du Carroussel du Louvre, c’est par l’entremise de l’entreprise italienne AUTOGRILL, propriété de la famille Benetton, qui gère depuis février 2007 les 1 800 m² d’espaces de restaurations situés en mezzanine et distribuant chaque année 2 millions de repas. A l’époque, Roberto Colombo, directeur général d’Autogrill France s’enflammait, un peu à la Benigni : « C’est une formidable opportunité de développement pour Autogrill en France. Nous allons créer une offre totalement originale. Elle sera adaptée à un lieu à la fois commercial, culturel et international répondant aux besoins d’une clientèle cosmopolite de touristes venus du monde entier (sic) et de la clientèle « branchée » de la capitale » [15].
Totalement original ? Disons qu’on y trouve pêle-mêle un restaurant français, italien, marocain, oriental, japonais... De quoi satisfaire les visiteurs du monde entier. Le tout sur le mode d’un food-court encore partiellement en travaux, concept d’espace de restauration venu des Etats-Unis, qui fonctionne un peu à la manière d’un grand fast-food. La clientèle s’approvisionne, en libre service, au comptoir thématique de son choix avant de venir s’asseoir dans un espace commun, comme dans une cafétéria. Ou comme un hall d’aéroport. En revanche, la clientèle branchée de la capitale, pas vu. Fait rare, en août 2008, la quasi majorité des 200 employés du site se mit en grève selon la CFDT pour réclamer de meilleures conditions de travail et le respect du droit syndical. Il est vrai que dans la liste du DG, il manquait le mot « social ».
En avril 2009, Autogrill, plus connu pour ses restaurants le long des autoroutes françaises, a signé un accord de partenariat exclusif pour l’ouverture de restaurants McDonald’s sur ses propres emplacements, merveilleuses « zones de flux intensifs et captifs » selon Vincent Quandalle, chargé du développement de McDonald’s France [16]. Depuis, entre les deux groupes, c’est le grand amour. L’accord prévoyait également « des opportunités de développement de l’enseigne McDonald’s dans les autres univers où Autogrill opère : les aéroports, les gares et certains sites prestigieux »... McDonald’s qui possède un point de vente pas loin, au 184 rue de Rivoli, lorgne depuis très longtemps vers le Louvre, pour tout ce que cela comporte en terme de fréquentation et surtout d’image. Pour la firme toujours pour certains synonyme de malbouffe et qui fête cette année ses trente ans de présence en France, ce sera la consécration et une valorisation inespérée [17].
Henri Loyrette, président du musée du Louvre, soucieux, lui, de l’image du plus beau musée du monde jusqu’à Abu Dhabi, n’avait qu’un mot à dire pour empêcher que des effluves de frites flottent jusque sous le nez de la Joconde. Il en a décidé autrement. Sur place, les employés nous ont indiqué que ce nouveau McDonald’s sera situé un peu en retrait, dans une allée aujourd’hui déserte juste après le restaurant Puro Gusto. Rendez-vous en décembre pour un menu Maxi Best Of Mona Lisa. Ou pour manifester, juste histoire de contredire LE FIGARO qui conclut son article par cette phrase : McDonald’s « s’est si bien acclimaté à la France que son installation prochaine au Louvre ne devrait pas faire de vagues... ». Vraiment ?