15.06.2019 | COMMUNIQUÉ / BERNARD HASQUENOPH - Je confirme l’information qui conclut l’enquête de Roxana Azimi dans le Magazine du Monde (n°404 /15 juin 2019) sur « les mécènes encombrants ». Il y a bien une instruction judiciaire en cours en France concernant l’affaire Ahae, j’ai moi-même été sollicité par la police comme “expert” et auteur du livre Ahae, mécène gangster (éd. Max Milo, 2015).
En mai 2018, j’ai été contacté par la Plateforme d’Identification des Avoirs Criminels (PIAC) / French Assets Recovery Office, rattachée à l’Office Central pour la Répression de la Grande Délinquance Financière (OCRGDF) au sein de la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ). Ce service a pour mission, dans le cadre d’affaires liées le plus souvent à la grande criminalité, « l’identification des avoirs financiers et des biens patrimoniaux des délinquants, en vue de leur saisie ou de leur confiscation », au bénéfice par exemple des victimes.
C’est dans ces circonstances que j’ai découvert que la justice française s’intéressait à l’affaire Ahae « à la demande des autorités judiciaires sud-coréennes ». On me sollicitait pour ma connaissance du dossier. Afin d’en savoir plus, répondant à l’invitation, je me suis rendu quelques jours plus tard dans les locaux de la police judiciaire à Nanterre.
J’en appris plus. La justice de Corée du Sud avait saisi la justice française à l’été 2017, souhaitant récupérer les avoirs et biens de la famille Yoo, à travers notamment les activités d’artiste photographe de Ahae considérées comme du blanchiment d’argent.
Le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, en charge du dossier, avait missionné la PIAC pour identifier les biens de la famille Yoo en France. Répondant à quelques questions, j’ai présenté essentiellement le contexte d’une histoire assez compliquée et préciser le rôle des uns et des autres. J’ai eu par la suite quelques échanges à distance sur certains points et y suis retourné une fois. Si je n’ai pas souhaité rendre publiques ces informations, avant de me confier dernièrement à Roxana Azimi, c’était, d’une part pour ne pas entraver le cours de l’enquête (sans qu’on me le demande), et d’autre part parce que la situation me dépasse encore plus qu’en 2014. J’ignore quelles seront les conséquences de cette procédure, si même elle aboutira. Néanmoins, elle corrobore tout ce que j’ai mis en lumière dans mon livre.
Avoirs pouvant être concernés par une confiscation des autorités judiciaires :
1,1 million d’euros : mécénat d’Ahae au Fonds de dotation du musée du Louvre en 2012, sans affectation particulière (ce qui lui vaut d’avoir toujours son nom gravé en lettres d’or dans le musée, salle 5 des Antiquités étrusques et romaines)
environ 2,7 millions d’euros sur les 5 millions promis : mécénat d’Ahae au Château de Versailles en 2013 pour la recréation du bosquet du Théâtre-d’Eau. Versement stoppé après le drame du Sewol. J’ignore à quoi a pu être utilisée cette somme, le nom d’Ahae n’ayant plus été cité au sujet de ce bosquet inauguré en mai 2015.
Comme le signale Roxana Azimi dans son enquête, il semble possible juridiquement de récupérer ces sommes en tant que produits infractionnels (article 131-21 du Code pénal). Pour parler familièrement, comme argent sale. Ce serait totalement inédit pour du mécénat. Une nouvelle fois, cela pose la question de savoir comment des établissements publics de cette renommée ont pu se retrouver dans une telle situation. De quels moyens disposent-ils pour vérifier l’origine des sommes récoltées ? Quel rôle de contrôle et de conseil joue le ministère de la Culture ? Les opérations de mécénat sont-elles assez transparentes et le croisement mécénat/location d’espaces est-il tolérable ? Enfin, les restrictions budgétaires et la nouvelle économie des musées ne favorisent-elles pas ce genre de dérive ?
Autres avoirs ou biens pouvant être concernés :
10 000 euros : mécénat d’Ahae au musée de l’Orangerie, dépendant du musée d’Orsay, en 2012
Comptes de AHAE PRESS France
Hameau de Courbefy dans le Limousin, acquis 520 000 euros le 21 mai 2012 par AHAE PRESS Inc. (New York) pour Ahae afin, officiellement, d’en faire un village d’artistes. Le projet n’a jamais vu le jour. Le maire local, Bernard Guilhem, y croit toujours, en contact encore avec les responsables d’Ahae Press, et même de son fils Keith Yoo qui serait venu sur place, selon lui, fin 2017 (bien que théoriquement sous mandat d’arrêt international).