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La Philharmonie de Paris maintiendra-t-elle une expo Ahae malgré l’affaire du Sewol ?

Bernard Hasquenoph | 14/05/2014 | 08:12 | 1 commentaire


La France lui a déroulé le tapis rouge, acceptant son argent et exposant ses photos au Louvre et à Versailles. Le milliardaire sud-coréen Yoo Byung-Eun alias Ahae est aujourd’hui compromis dans l’affaire dramatique du naufrage du Sewol. Cerné par la justice, les médias coréens ont exhumé des pans fétides de son passé : sectes, détournement de fonds, prison… Pendant que son fils, qui gère ses affaires « artistiques » depuis l’étranger, est recherché par le FBI. Malgré cela, la future Philharmonie de Paris maintient une expo Ahae. Inconscience ou cynisme ? L’affaire pourrait virer à l’incident diplomatique, d’autant que, par ailleurs, le président pour la partie française de l’Année France-Corée toute proche, n’est autre qu’Henri Loyrette, ex-président du Louvre, le premier avoir exposé Ahae dans notre pays • Article traduit en partie en coréen par Paris Copain, le site de la communauté coréenne de France : 아해, 유병언의 2015년 파리 전시, 강행될 것인가 ?.


27.05.14 | EXPO ET CONCERT ANNULÉS - Contacté, le service presse de la Cité de la musique dont dépend la Philharmonie de Paris, nous a confirmé que l’exposition Ahae et le concert qu’il devait produire en 2015 ont été annulés, « les conditions [n’étant] plus réunies pour la poursuite des discussions », ajoutant : « Évidemment, nous laissons la justice coréenne faire son travail ». Cela nous semble être la plus sage décision. A la question Par ailleurs Ahae est-il mécène de la Philharmonie ?, il nous a été répondu que non. Enfin, le service presse n’a pas souhaité commenter la lettre que Laurent Bayle, président de la Philharmonie, avait écrite en soutien à Ahae le 27 avril 2014, évoquant une affaire personnelle, lettre publiée sur le site ahaenews.com vers le 10 mai et toujours en ligne.

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© Bladsurb CC BY-NC-ND 2.0

14.05.14 | C’EST UN DOCUMENT CONFIDENTIEL qu’on nous a aimablement transmis, qui nous a alerté. Le futur établissement public de La Philharmonie de Paris, grand équipement musical qui doit ouvrir ses portes début 2015 dans le parc de la Villette (Paris XIXe), a programmé une exposition de photographies d’Ahae pour son année d’ouverture. L’exposition est annoncée dans le programme de la première saison qui sera rendu public ce 15 mai, à moins que sa mention ne soit supprimée au dernier moment [Ajouté le 15 mai : sur le site avec la mention « Sous réserve de confirmation » (page supprimée le 19 mai) et dans la brochure en ligne, p.158-159 (pages supprimées le 19 mai mais pas dans sa version papier) + la symphonie n°6 « Ahae » de Michael Nyman, par le London Symphony Orchestra, sous la direction d’Alexandre Bloch, concert produit par Ahae Press p.145.]

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Site de la Philharmonie. Captures d’écran 15 & 19 mai, même page.

Le bâtiment conçu par l’architecte Jean Nouvel comprend des espaces destinés à la présentation d’expositions temporaires « en rapport avec la programmation musicale », pour permettre « d’explorer les liens entre la musique et les autres expressions afin d’éclairer sa dimension artistique et ses implications sociales » nous explique, dans un long paragraphe, le dossier de présentation du projet [1]. Ce sera le cas pour les expositions consacrées à David Bowie (3 mars-31 mai 2015) et à Pierre Boulez (17 mars-28 juin 2015).

En revanche, le lien est plus obscur pour Ahae. Intitulée Les échos du temps de près et de loin (« Echos of Time : Far and Near »), son exposition traitera de « l’écoulement du temps à travers l’espace » par des photos de paysages, de nuages, d’arbres et d’animaux… Le rapport avec la musique ? Les petits oiseaux peut-être. Elle proposera « des photographies d’un vaste éventail de formats, d’impressions et de styles de présentation, associant notamment des cadres avant-gardistes et un affichage numérique cinématographique aux côtés d’images statiques traditionnelles ».

Prévue pour se tenir gratuitement à la galerie rez-de-jardin de la Philharmonie du 5 mai au 28 septembre 2015, l’exposition Ahae sera placée sous le commissariat d’Anne-Marie Garcia, conservatrice des estampes et de la photographie à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Celle-ci est connue pour avoir déjà collaboré avec l’artiste milliardaire sud-coréen. On s’en étonnait déjà en 2013 vu ses grandes compétences et l’intérêt de photos plutôt banales, lors de l’exposition Ahae du Château de Versailles, succédant à celle du musée du Louvre dans le Jardin des Tuileries en 2012.

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Comme toutes les expos d’Ahae dans le monde, celle de la Philharmonie de Paris sera produite, c’est-à-dire financée, par la société AHAE PRESS, présidée par Keith H. Yoo (Yoo Hyuk-ki), l’un de ses fils et porte-parole dans les médias [2]. Reste à savoir si, parallèlement, comme il l’a fait pour le Louvre et Versailles pour 1,1 million d’euros pour l’un et 1,4 pour l’autre, Ahae a fait don d’argent à l’établissement de la Philharmonie comme mécène, ce qui est plus que plausible vu sa pratique et le contexte.

En effet, la Philharmonie de Paris, financée selon son dossier de présentation pour 336 millions d’euros par le ministère de la Culture (158M€), la Ville de Paris (158M€) et le soutien de la région Ile-de-France (20M€), a explosé son budget, ce qui a donné lieu à de nombreuses polémiques. Initialement évalué à 204 millions d’euros, son coût devrait finalement atteindre les 381 millions d’euros comme l’indiquait Laurent Bayle, son président, en janvier dernier. Celui qui est également directeur général de la Cité de la musique et de la Salle Pleyel, est depuis à la recherche de mécènes. « Si on peut raboter de plusieurs millions le coût final de la Philharmonie, croyez-moi, ce sera plus qu’avec plaisir », déclarait-il alors. Aucun nom de mécène n’a été révélé depuis.

NAUFRAGE, SECTE ET PRISON
Mais l’exposition peut-elle encore se tenir ? Car Yoo Byung-eun (유병언) alias Ahae (아해), dont nous avions révélé en exclusivité mondiale l’identité et le curieux profil en 2013, ce qui nous vaut aujourd’hui d’être sollicité par des médias sud-coréens, se retrouve compromis dans l’affaire dramatique du Sewol. Le 16 avril, en Corée du Sud, le naufrage du ferry a entraîné, dans des circonstances atroces, la mort de 300 personnes, pour majorité des lycéens de 17 ans en voyage scolaire, à la suite de nombreux dysfonctionnements : sécurité négligée en amont par la compagnie maritime par recherche de profit, surcharge du navire, cargaison mal arrimée, incompétence de l’équipage dont le capitaine a fui le navire sans procéder à son évacuation… Le gouvernement mis en cause pour sa gestion des secours, le Premier ministre a démissionné, ce qui n’a pas calmé l’opinion qui demande des comptes.

Le milliardaire de 73 ans, soupçonné d’être le propriétaire de facto de la compagnie maritime du ferry, la Cheonghaejin Marine Company, est, depuis, interdit de sortie du territoire. La justice sud-coréenne a ouvert une instruction pour évasion fiscale, détournements de fonds et corruption concernant les multiples sociétés auxquelles il est lié avec sa famille, dans son pays et à l’étranger. Y compris en France pour ses affaires artistiques qui elles-mêmes intriguent la justice pour de curieux transferts d’argent, soupçonnant un trafic autour de la vente de ses photos. Dernières nouvelles, le 9 mai les enquêteurs ont déclaré être en possession de preuves montrant que Yoo était le véritable propriétaire du ferry Sewol, ce qui pourrait lui valoir d’être tenu responsable pénalement du naufrage.

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Séoul, hommage aux victimes du Sewol © Republic of Korea CC BY-NC-ND 2.0

De plus, les médias coréens présentent unanimement l’Eglise évangélique qui lui est liée (Evangelical Baptist Church) et dont nous avions découvert l’existence avec surprise au cours de nos recherches, comme une secte, dont la majeure partie de l’équipage du ferry faisait partie. Ahae, son nom d’artiste, y trouverait sa source. Par ailleurs, en 1987, Yoo Byung-Eun a été considéré comme suspect dans un drame concernant une autre secte, la Odaeyang : 32 adeptes, avaient été retrouvés morts, ligotés et étranglés, dans une entreprise près de Séoul. Suicide collectif ou meurtre, l’affaire, jamais totalement élucidée, avait fait la Une des journaux en Corée. La mort du groupe était liée à une sombre histoire d’argent qui conduisait à la société de Yoo Byung-Eun, la Semo, ancêtre de la Cheonghaejin Marine Company. S’il n’a finalement pas été impliqué dans le meurtre, en 1992 Yoo a finalement été condamné à quatre ans de prison pour détournement de fonds. Aujourd’hui, des transactions suspectes relevées entre la secte évangélique et la compagnie maritime, ont entrainé des perquisitions de la police. Autre personnage clef inquiété pour ses liens avec la secte et son business, une célèbre actrice coréenne proche de Yoo. Si les circonstances n’étaient pas si dramatiques, on croirait au scénario d’un film.

Quant au fils d’Ahae, Yoo Hyuk-ki (ou Yoo Hyuk-Gi) qui organise et gère ses expositions à l’étranger et qui a été accueilli à bras ouverts par les présidents du Louvre, de Versailles et maintenant de la Philharmonie de Paris, il est actionnaire majoritaire, avec son frère Dae-gyun, de la Cheonghaejin Marine Company. Actuellement à l’étranger, probablement aux États-Unis, particulièrement visé dans le drame du Sewol, comme d’autres membres de sa famille, il n’a pas répondu aux convocations de la Justice coréenne qui a délivré un mandat d’arrêt contre lui, faisant directement appel au FBI. Enfin, aux dernières nouvelles, père et fils seraient introuvables.

POUR SUIVRE L’AFFAIRE DU SEWOL
Agence de presse Yonhap (en français)
KBS, chaîne publique (en français)
The Sewol Tragedy (en anglais), blog Ask a Korean ! (3 parties)
DOCUMENTAIRE DE LA CHAÎNE SBS SUR AHAE
Diffusé le 17 mai 2014. J’y apparais vers la 34mn.


En France, rares sont les médias à avoir rendu compte des implications de cette terrible affaire dans notre pays, à travers les expositions et le mécénat d’Ahae au Louvre et à Versailles et de sa société AHAE PRESS basée à Paris, hormis La Croix grâce à son correspondant à Séoul et Arrêt sur images [3]. Et ce n’est pas du passé car la recréation du bosquet du Théâtre d’Eau qu’Ahae a financé à Versailles - son nom apparait en bas de sa page de présentation - doit être inauguré cet été. Cela choque énormément les Sud-coréens qui ne comprennent pas comment des lieux aussi prestigieux d’un pays comme la France, haut symbole de culture, aient pu ouvrir leurs portes à un tel personnage. Car, là-bas, personne ne connaissait vraiment l’artiste qui n’y a jamais exposé.

LE PRÉSIDENT DE LA PHILHARMONIE DE PARIS DÉFEND AHAE
Le Dong-a Ilbo, l’un des trois grands quotidiens sud-coréens, a interrogé des professionnels locaux du monde de l’art, spécialistes de la photo et galeristes, qui sont tombés des nues. Si quelques-uns avaient vaguement entendu parler de lui, ils trouvent honteux de considérer Ahae comme un artiste professionnel, jugeant sa production amateure. « Ce sont des photos que n’importe qui peut prendre avec un bon appareil. Il est impossible de donner une estimation à ce genre de travail », a répondu l’expert d’une maison d’enchères. Nous sommes bien d’accord, nous qui écrivions en 2013 : « Élevé au rang d’artiste, au-delà du genre documentaire auquel se rattache la plupart de ses clichés, Ahae n’a ni agent, ni galeriste qui l’aurait découvert, et aucun talent particulier tellement ses photos, certes belles parfois et techniquement de qualité, sont confondantes de banalité au regard de ce qui se fait dans le genre ».

Pourtant c’est l’intérêt artistique des photos d’Ahae qui, selon Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris, justifie la future exposition, comme l’avaient exprimé avant lui ses « collègues » Henri Loyrette, président à l’époque du musée du Louvre et Catherine Pégard, toujours présidente du Château de Versailles qui tous deux lui avaient dresser des éloges... en même temps qu’accepter son argent pour leurs étbalissements, c’est un fait. Et c’est bien là tout le problème car, au-delà même de la discussion sur la qualité de ses photos, il est difficile de ne pas considérer l’autorisation d’exposer dans des lieux aussi prestigieux un amateur, inconnu du monde de l’art - j’entends par artiste professionnel quelqu’un qui expose dans des galeries ou musées, sans tout payer - comme une « contrepartie » d’un don censé être, au regard de la loi française, un acte désintéressé. Etonnant que le ministère de la Culture se taise et que la Justice française laisse faire cela.

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Expo Ahae à Versailles, 2013 © Bernard Hasquenoph

Quand le 1er mai nous avons eu connaissance de l’expo Ahae à venir à la Philharmonie de Paris, nous avons envoyé dès le lendemain un mail à M. Bayle pour lui demander si l’exposition était maintenue, ce que l’on ne comprendrait pas compte tenu de l’affaire du Sewol et de la gravité des soupçons pesant sur Yoo/Ahae. Celui-ci nous a répondu très rapidement et très poliment… pour nous reprocher - c’est ainsi qu’on l’a perçu -, d’avoir « dénoncé les récentes expositions du photographe Ahae programmées ces dernières années aux Etats-Unis, en Europe et en France - au Louvre et au Château de Versailles -, mettant en cause à la fois sa crédibilité artistique et sa probité » (sic). Il poursuivait ainsi : « Votre position relative à l’authenticité de la démarche artistique de Ahae ne semble pas relayée par les médias occidentaux. Des journalistes qui ont vu ces expositions ont même émis des jugements positifs ou beaucoup plus nuancés que les vôtres. ». Tout en partageant « l’émotion collective que suscite le dramatique naufrage du ferry Sewol », il estimait que « le respect des victimes et la gravité de la situation imposent de faire confiance à la justice coréenne qui est la seule habilitée à déterminer les responsabilités concernant les faits incriminés ». Aussi, concluait-il, « la position que la Philharmonie de Paris sera amenée à prendre au cours des prochains mois se conformera à l’évolution juridique du dossier ».

Peu importe donc les révélations des liens d’Ahae avec des sectes et sa condamnation passée, ni l’implication directe de son fils Yoo Hyuk-ki dans la compagnie maritime du Sewol. Autant d’éléments connus pourtant à cette date. Pour notre part, nous pensons que le respect des victimes et le minimum de décence vis-à-vis du peuple coréen imposeraient plutôt de suspendre toute collaboration avec Ahae, tellement aussi les soupçons qui pèsent sur lui sont gravissimes. Ce n’est pas la première fois qu’une exposition serait annulée. Où est le problème ?

Le 6 mai, nous avons renvoyé un mail à Laurent Bayle pour une demande d’interview dans le cadre de cet article. Il l’a déclinée [4]. Nous avons insisté pour obtenir réponse à une unique question, essentielle dans ce dossier : Ahae est-il mécène de la Philharmonie de Paris ? M. Bayle a confirmé ne pas vouloir « communiquer (…) sur le sujet à ce stade ». Un établissement public étant soumis à un devoir de transparence, nous ne comprendrions pas un silence prolongé sur cette question.

Mais, en échangeant par mails avec le président de la Philharmonie de Paris, nous ignorions que le 27 avril précédent, soit 11 jours après le naufrage, celui-ci avait adressé une longue lettre de soutien à Ahae déjà en pleine tourmente. Mais pourquoi donc ?! Le même jour que la publication du portrait déjà bien corsé de Yoo Byung-Eun par le correspondant de La Croix à Séoul. Nous avons découvert cette lettre publiée en anglais, signée de sa main, sur le site ahaenews.com lancé très récemment, avec d’autres textes de personnalités dont ceux d’Henri Loyrette, ex-président du Louvre, et Catherine Pégard, présidente du Château de Versailles. A la différence que leurs deux textes sont antérieurs au drame du Sewol, rédigés et publiés à l’époque des expositions Ahae dans leurs établissements respectifs.

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Lettre de Laurent Bayle pour Ahae, 27 avril 2014. Capture d’écran

Le texte de M. Bayle a clairement pour but de défendre l’image de Yoo Byung-Eun alias Ahae dans les circonstances actuelles, avec un titre explicite : « La Corée du Sud peut être fière d’un artiste comme Ahae » (South Korea Can Be Proud of an Artist Like AHAE) [5].

Dans cette lettre, Laurent Bayle dit avoir découvert les photos d’Ahae lors de l’exposition organisée par le musée du Louvre en 2012 puis à Versailles, et en fait l’éloge, conforté par la lecture de « quelques critiques très intéressantes de spécialistes dans les grands périodiques internationaux, français et européens, qui ont démontré sa crédibilité artistique bien mieux que [il] ne saurai[t]. ». Puis il raconte avoir fait la connaissance du fils d’Ahae, Keith Yoo (celui recherché par le FBI) qui, partageant avec lui le goût pour la musique, a montré un grand intérêt pour le projet de la Philharmonie. C’est ainsi qu’a germé l’idée d’une exposition Ahae en relation avec plusieurs concerts liés au thème de la nature. Il n’est nulle question d’argent, à aucun moment du texte, pas même que l’expo à venir sera produite par Ahae Press. Laurent Bayle témoigne de la grande exigence artistique de Keith Yoo, de ses qualités, de son honnêteté et humilité profonde à l’égard de l’art et du public.

Puis il s’attaque à nous sans nous nommer : « Certains commentaires émanant de sources françaises, isolées mais relayées par Internet, ont remis en cause la légitimité des deux expositions au Louvre et à Versailles, sous le prétexte que ces initiatives n’auraient jamais vu le jour sans la contrepartie du mécénat d’Ahae Press. Derrière ces accusations, il faut lire la dénonciation d’un monde culturel censé être complice des forces du marché dans la promotion des artistes qui en seraient intrinsèquement indignes. ». Il faudra qu’il nous explique. Enfin, reconnaissant ne pas être un spécialiste des arts plastiques, il dit avoir « confiance dans le jugement des administrateurs et des conservateurs du Louvre, du Château de Versailles et d’autres sites tout aussi prestigieux en Europe, où les expositions Ahae se sont tenues avec succès », et s’appuyer sur la presse abondante favorable à l’oeuvre d’Ahae. Pour conclure on ne peut plus lyriquement : « Je suis fier du dialogue que j’ai eu avec Keith Yoo durant ces mois et je pense que la Corée du Sud peut être fière qu’un artiste comme Ahae transmette au monde entier les valeurs artistiques et humanistes qui reposent sur des fondements universels ».

Les Coréens, plongés dans le drame depuis des semaines et qui, chaque jour, découvrent avec effarement le système de la famille Yoo, apprécieront. A sa lecture édifiante, en tant que Français, c’est plutôt la honte qui nous submerge.

LE CAMP D’AHAE PASSE À L’OFFENSIVE
14.05.14 | Le camp d’Ahae est passé à l’offensive. Le site vitrine de l’artiste - ahae.com - a disparu au profit d’une nouvelle adresse ahaenews.com, renouvelant son contenu dans le but de défendre son image [07.06.14 | L’ancien site est à nouveau accessible, parallèlement au nouveau.]. On y trouve textes et vidéos de quelques personnalités liées à Ahae, pour la plupart dirigeants de musées ayant accueilli ses expositions payées par sa société Ahae Press [6]. Le nom de domaine ahaenews.com a été acquis le 7 mai 2014 depuis les États-Unis, l’adresse postale correspondant à une société d’Ahae à Mount Kisco, dans l’État de New York [7].

Au même moment, en France, la page Wikipedia d’Ahae, mise à jour depuis le drame et nous citant, faisait l’objet « de multiples suppressions de contenus complètement injustifiées » comme le signalait un Wikipédien. Pour les mêmes raisons, un autre faisait une demande de blocage d’un contributeur anonyme dont l’IP 71.125.37.162 conduisait… à Mount Kisco, dans l’État de New York (voir historique de la page). Il serait sans doute intéressant de mener les mêmes recherches pour les pages Wikipédia dans d’autres pays, concernant Ahae et l’affaire du Sewol (la page anglaise fait l’objet des mêmes manipulations).

HENRI LOYRETTE, PRÉSIDENT DE L’ANNÉE FRANCE-CORÉE
14.05.14 | Quand on arrive sur la page d’accueil du site ahaenews.com, on tombe directement sur une vidéo où, Henri Loyrette, personnalité importante du monde culturel en France, chante les louanges de l’artiste Ahae.


Historien de l’Art, conservateur général du Patrimoine, Henri Loyrette a été directeur du musée d’Orsay (1994-2001) puis président du musée du Louvre durant douze ans (2001-2013). Nommé conseiller d’Etat à sa sortie, le Président de la République François Hollande lui a confié une mission de suivi du projet du Louvre Abou Dhabi qu’il avait initié. Il a par ailleurs pris la présidence d’Admical, la plus importante association française privée pour le développement du mécénat, et est à la tête du Conseil scientifique des Musées de France rattaché au ministère de la Culture.

La vidéo date d’avant l’affaire du Sewol, probablement de 2013, puisqu’Henri Loyrette se présente comme encore président du Louvre et qu’il évoque l’exposition Ahae à Versailles. Est-il seulement d’accord qu’on utilise aujourd’hui ces images ? Avant d’être intégrée au site, cette vidéo ainsi que celles des autres personnalités ont été publiées sur la chaîne Youtube d’Ahae le lendemain des pires informations pour lui, la justice coréenne affirmant détenir des preuves de son implication directe dans la compagnie maritime du Sewol, ce qui pourrait le rendre pénalement responsable du naufrage.

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C’est sous la présidence au Louvre d’Henri Loyrette que l’exposition Ahae s’est tenue durant l’été 2012, dans le Jardin des Tuileries dépendant du musée. Henri Loyrette ne s’est pas contenté d’accueillir cette fastueuse privatisation, il a chanté les louanges du photographe, préfaçant un livre à sa gloire publié aux éditions Assouline. L’expression « L’extraordinaire dans l’ordinaire » pour qualifier l’oeuvre d’Ahae, c’est de lui. La même année, comme on peut le voir sur le document officiel ci-joint ou en ligne ici, il accepta plus discrètement un don de 1,1 million d’euros de la part de « l’entrepreneur et artiste coréen AHAE » versé au fond de dotation du musée du Louvre créé pour recevoir l’argent des Émirats arabes unis pour le projet du Louvre Abu Dhabi. L’information n’a jamais été mentionnée dans la presse française. Curieux croisement quand le même Henri Loyrette, prêt à quitter ses fonctions au Louvre, disait qu’« on peut être inventif (...) sans vendre son âme » et qu’un mécène n’intervient jamais dans les choix artistiques du musée : « On définit un projet puis on le propose à un mécène, qui l’accepte ou pas. C’est toujours dans ce sens que ça fonctionne. », déclarait-il au Monde (21 mars 2013). Sans qu’on sache pour quoi, le don Ahae ne concernait lui aucun projet. « Sans affectation particulière » précise le document. C’est au titre de mécène qu’Ahae a eu le privilège d’avoir son nom gravé à l’intérieur même du Louvre. A peu près au même moment, du 5 juin au 30 septembre 2012, s’est tenue en Corée du Sud, au Seoul Arts Center, l’exposition « Myths and Legends : Exhibition of Louvre Museum » pour laquelle Henri Loyrette a fait le déplacement.

Mais si la vidéo date de 2013, elle a été comme actualisée, puisque, écrit en coréen à son démarrage, il est fait mention d’une nouvelle fonction d’Henri Loyrette qui donne à l’affaire une dimension diplomatique inattendue qui pourrait tourner à l’incident entre les deux pays. En effet, Henri Loyrette est président, pour la partie française, du comité de l’Année France-Corée qui s’étalera sur 2 ans, en 2015 et 2016, dans le but de célébrer le 130ème anniversaire des relations diplomatiques entre les deux pays [8].

Comme l’indique l’ambassade française à Séoul, l’Année croisée, organisée sous l’égide du ministère des Affaires étrangères, « a été décidée au plus haut niveau de l’Etat des deux pays, notamment lors de la visite officielle de Mme Park Guen-hye en France en novembre dernier  » [actuelle présidente de la Corée du Sud].

En janvier 2014, Henri Loyrette a passé une semaine là-bas dans le cadre de la préparation de l’événement et y a rencontré « des responsables de la culture, dont le ministre de la Culture, M. Yoo Jinryong, des conservateurs et directeurs d’établissements culturels et de musées, des artistes et des sponsors ». À la Résidence de France, il s’est également entretenu avec la presse comme on le voit sur une photo. Une première réunion mixte devait se tenir à Paris au Quai d’Orsay... le 16 avril, étonnante coïncidence, jour même du naufrage du Sewol. On ne s’est pas du coup si elle a eu lieu.

L’enjeu de cette année croisée est important car « la France est aujourd’hui le dixième investisseur étranger en Corée, où près de 200 entreprises françaises y emploient plus de 20 000 salariés comme l’indique le site du ministère des Affaires étrangères. Comment les Coréens réagiront-ils quand ils réaliseront que le président, pour la partie française, du comité de l’Année France-Corée n’est autre que le premier exposant d’Ahae en France ?

:: Bernard Hasquenoph | 14/05/2014 | 08:12 | 1 commentaire

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22.05.2014 | zenplay |

According to the Korean media and the prosecutors investigating crimes of AHAE, he forced his subsidary companies to purchase his so called art pictures, which earned him about fifty million dollars.

It is also reported that he named the ship ’Sewol’ and have received $1000 per each voyage as its royalty, which amounts to a hundred thousand dollars per year. So far he has received about fifty million dollars from his subsidary companies including Chunghaejin Marine Co. which owns Sewol as a pretext of naming royalties. From his subsidary companies he also has received another fifty million dollars as a pretext of consulting.

In comparison, the total budget for safety training of employees of Chunghaejin was about $500 last year.


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NOTES

[1] « En rapport étroit avec la saison de concerts de la Philharmonie, les expositions temporaires, essentielles pour le succès du lieu et son image d’ouverture, permettront d’explorer les liens entre la musique et les autres expressions afin d’éclairer sa dimension artistique et ses implications sociales. À raison de deux expositions par an, elles reprendront les axes forts de la programmation des concerts et couvriront un large champ musical. Elles se déclineront à partir de thématiques variées : de l’accrochage plus historique consacré à un pays, une époque ou un genre musical jusqu’à la monographie d’un musicien mis en regard du contexte de son temps, voire le parcours d’un artiste plasticien, chorégraphe ou cinéaste fortement influencé par la musique. Elles pourront tout aussi bien aborder des sujets ayant trait à la musique classique (du baroque au contemporain) ou aux musiques actuelles (variétés, jazz ou musiques du monde). » Dossier de présentation de la Philharmonie de Paris, p.94.

[2] « Nous finançons tout avec l’argent de nos différentes sociétés. Nous ne sommes pas intéressés par les pressions extérieures et souhaitons jouir d’une totale liberté », Keith H. Yoo (A Nous Paris, 25 juin 2012). En dehors de la France, Ahae a exposé à New York, Prague, Londres, Moscou, Florence, Venise.

[3] Et aussi France Info.

[4] Questions que nous souhaitions posées à Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris :
- Comment est né le projet d’exposer Ahae à la Philharmonie de Paris ?
- Quel rapport entre ses photos et l’univers de la musique ?
- Comment jugez-vous ses photos ?
- Qui finance cette exposition ?
- Par ailleurs, Ahae est-il mécène de la Philharmonie de Paris ? Si oui, pour quel montant ?
- Dans le contexte dramatique du naufrage du Sewol en Corée du Sud, les poursuites judiciaires dont fait l’objet Beung Eun Yoo alias Ahae et sa famille ainsi que les révélations de la presse sud-coréenne sur son passé judiciaire et son lien avec une secte ne vous freine pas ?

[5] Les extraits du texte sont traduits par nos soins. Se reporter à la version originale pour plus de sûreté.

[6] Mike von Joel, rédacteur en chef de la revue State Magazine, Londres, vidéo et texte (23 avril 2014) joint au communiqué du 25 avril ; Henri Loyrette, ex-président du musée du Louvre (expo + mécénat Ahae en 2012), vidéo et texte (mars 2012) ; Catherine Pégard, présidente du Château de Versailles (expo + mécénat Ahae en 2013), vidéo et texte (non précisé mais juin 2013) ; Milan Knizak, ex-directeur (très controversé) de la Galerie nationale de Prague (expo Ahae en 2011), vidéo et 2 textes (récents), dont l’un joint au communiqué du 25 avril ; Laurent Bayle, président de la Philharmonie de Paris (expo Ahae en 2015), texte (27 avril 2014) ; Dr. Claudio de Polo Saibanti, président du Alinari National Museum of Photography, Florence (expo Ahae en 2011), vidéo et texte (janvier 2012) ; Dr. Joseph Backstein, directeur de Institute of Contemporary Art, Moscou et commissaire de Moscow Biennale of Contemporary Art (expo Ahae en 2011, texte (janvier 2012) ; Anne-Marie Garcia, conservatrice de la photographie à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, a déjà collaboré avec Ahae, texte (31 mars 2013).

[7] Le nom de domaine a été enregistré par une certaine Linda Yoon le 7 mai 2014, l’adresse indiquée correspondant au siège d’Ahae Products Inc. (merchandising d’Ahae), à Mount Kisco, dans l’État de New York : 333 N. Bedford Rd. Suite 155.

[8] Cho Yang-ho, président de la compagnie Korean Air, préside le comité de l’Année France-Corée pour la partie coréenne. En France, l’événement sera soutenu par un comité des mécènes dirigé par Stéphane Israël, président-directeur général d’Arianespace.



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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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