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Montréal, un musée pour aller mieux

Bernard Hasquenoph | 4/04/2018 | 16:42 |


A l’occasion d’un passage à Paris, nous avons rencontré Thomas Bastien, directeur de l’éducation et du mieux-être au Musée des beaux-arts de Montréal. Il nous parle du rôle social de l’institution québécoise et de son centre d’art-thérapie, projet pilote dans le monde. Un second entretien aborde les liens du musée avec la communauté LGBTQ+.

Le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein, vue extérieure. Musée des beaux-arts de Montréal. Photo © Marc Cramer04.04.2018 | PLAISIR, DÉLECTATION... ce sont des termes que l’on trouve dans les définitions officielles du musée. Ils suggèrent une approche sensible, sensorielle, voire sensuelle d’une institution plus souvent perçue comme édificatrice pour l’esprit. Surtout en France, pays du cartésianisme qui privilégie un rapport cérébral au musée où, aux yeux de leurs gardes autoproclamé.e.s, seule la connaissance aurait droit de cité. Unique débordement (intérieur) autorisé, l’extase mystique façon Malraux, qui en fait un temple... pour certain.e.s de l’ennui.

Pourtant, tout.e habitué.e de musée connaît ses vertus apaisantes et régénératrices, au-delà du savoir ou du choc esthétique qu’il procure. Par quelle magie ? Soustraction temporaire à la trépidation du monde, lieu propice à la méditation et à la rêverie, environnement non-violent, dépaysement spatio-temporel… Chacun.e aurait sans doute son explication. La réponse scientifique viendra peut-être du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), institution fondée en 1860 qui s’est développée depuis en véritable cité. Plus grand musée du Québec et l’un des plus importants au Canada, il travaille sur ces questions depuis des années, sans pour autant négliger ses missions de conservation et de valorisation des oeuvres de toutes façons premières. Encore plus depuis la nomination à sa tête en 2007 de la conservatrice d’origine française Nathalie Bondil, désormais également canadienne, qui porte la vision d’un musée humaniste, en accord avec la conception du Conseil international des musées. Celui-ci ne venant pas supplanter le musée classique tel qu’on le connaît, mais l’enrichir en le faisant entrer davantage en résonance avec le monde qui l’entoure. Un concept qui a irrigué la mission française Musées du 21ème siècle, auquel d’ailleurs N. Bondil a participé et qui a donné lieu à un rapport remis à la ministre de la Culture en 2017, sans trop de suite si ce n’est d’agiter des idées (rencontres Vie des musées / Temps des publics) et de dessiner des tendances. Pressentie pour présider plusieurs de nos grands musées comme le Louvre ou Orsay, Nathalie Bondil aurait décliné à chaque fois, préférant peut-être poursuivre dans ses expérimentations progressistes plus en phase avec la société canadienne.

Le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein, niveau S2 – L'Espace Arc-en-ciel, avec les murales du collectif montréalais MU. Musée des beaux-arts de Montréal. Photo © Marc Cramer

Le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein, niveau S2 – L’Espace Arc-en-ciel, avec les murales du collectif montréalais MU. Musée des beaux-arts de Montréal. Photo © Marc Cramer

Avec ses équipes, la directrice du MBAM développe un foisonnant programme éducatif (on pourrait dire habituel) et de santé (plus original) dans des locaux dédiés exceptionnels, inaugurés en novembre 2016 : l’Atelier international d’éducation et d’art-thérapie Michel de la Chenelière, situé dans le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein. De quoi faire pâlir d’envie les services équivalents des musées français qui sont loin de disposer d’autant de moyens et de soutien. Leurs représentant.e.s ont pu s’en rendre compte, plusieurs étant venu.e.s en voyage d’étude en 2017 grâce à des accords passés entre les deux pays, à l’initiative du MBAM et du Louvre, ainsi qu’à travers FRAME, plateforme d’échanges et de partages d’expériences entre musées français et nord-américains. Il faut dire aussi que le système et l’économie ne sont pas les mêmes là-bas qu’en Europe. Le MBAM, bien que n’étant pas un musée d’Etat, reçoit une subvention annuelle du gouvernement du Québec (15,2 millions de dollars cette année/9,56M€), assurant plus de 50% de son budget (non divulgué) en autofinancement. Pour y parvenir, il s’appuie sur une fondation chargée de recueillir des fonds et sur un club de 122 000 membres, sollicité.e.s chaque année pour soutenir ses activités. Pour comparaison, la Société des Amis du Louvre, musée 8 fois plus fréquenté, compte environ 60 000 membres.


Les visites guidées, comprises dans le billet d’entrée, sont assurées par 250 guides bénévoles rattaché.e.s au musée, qui en “emploie” 400 sur différents postes, via une association. L’aspect social et éducatif est essentiellement financé par des fonds privés comme dans nombre de musées nord-américains, tout en correspondant à une volonté politique forte de l’établissement. Pratique qui existe aussi en France grâce au mécénat d’entreprise, mais de manière extrêmement circonscrite dans le temps, type journée (annuelle) pour publics défavorisés qui rappelle plus les bonnes oeuvres du 19e siècle. Pourtant les initiatives menées en France par les musées vers des populations particulières (prison, hopital, etc) existent mais peu visibles et fragmentaires. Par ailleurs, si le MBAM mène une politique sociale avancée, sa grille tarifaire ne répond pas à la même logique que chez nous. Par exemple, ce qui peut choquer vu de France, les personnes handicapées ne bénéficient d’aucun avantage tarifaire (sauf pour la personne accompagnatrice), ce qui ne le différencie pas des autres musées canadiens. En revanche, tout est gratuit en terme d’animations ciblées et des plages horaires de gratuité existent pour tou.te.s le dernier dimanche du mois et tous les jeudis pour les ainé.e.s comme les Québécois disent, public totalement oublié en France.

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Thomas Bastien ©DR

Pouvez-vous déjà présenter votre fonction à l’intitulé si exotique pour nous autres Français ?
Thomas Bastien. [rires] Je suis directeur de l’éducation et du mieux-être au Musée des beaux-arts de Montréal. C’est-à-dire que je suis directeur des publics comme en France mais que je gère aussi une équipe qui s’occupe uniquement de l’art et la santé, de l’art et du mieux-être. Avec une programmation complète destinée à des personnes qui ont envie d’aller mieux dans leur vie, d’avoir du plaisir dans ce qu’elles font. Un art-thérapeute, Stephen Legari, est en résidence au musée. Il travaille avec nous à temps plein.

C’est nouveau ?
C’est relativement récent. Stephen Legari est là depuis avril 2017 mais ça fait plus de 18 ans que l’on travaille avec le milieu de la santé. Les professionnels nous font confiance parce qu’ils reconnaissent le musée comme un vecteur de mieux-être pour leurs patients. Au départ, avec Le Musée en partage, notre programme gratuit d’accessibilité et d’inclusion, on s’est rendu compte que beaucoup de personnes venaient apprendre le français au musée. Le groupe en francisation reste d’ailleurs le premier groupe. Le deuxième groupe qui venait, c’était des personnes avec des troubles de la santé mentale. C’est comme ça qu’on a commencé à faire évoluer la chose. Ça s’est accentué au cours des dernières années… Par exemple, il y a 6 ans, quand on a créé le projet pour les personnes atteintes d’Alzheimer, on avait 20 participants par année. Aujourd’hui, on en accueille plus de 850. Même chose pour le trouble du spectre de l’autisme. De 10 participants il y a deux ans, on est rendu à 6 à 7 groupes de 10 à 12 personnes par semaine. Avec l’officialisation du poste de Stephen et l’ouverture du musée en matière de mieux-être, ça a fait exploser le nombre de demandes.

Le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein, niveau S2 – Espace Arc-en-ciel, avec les murales du collectif MU. Musée des beaux-arts de Montréal. Photo © Marc Cramer

Le Pavillon pour la Paix Michal et Renata Hornstein, niveau S2 – Espace Arc-en-ciel, avec les murales du collectif MU. Musée des beaux-arts de Montréal. Photo © Marc Cramer

Ca se matérialise comment dans le musée ?
On dispose d’un centre art et santé au sein du musée, équipé de deux studios et d’un bureau de consultation. Plus de 3500 mètres carré destinés à tout ce qui est pédagogie culturelle et art-thérapie. D’ailleurs, au Québec, j’aime dire que c’est le double de la superficie d’un stade de hockey ! Nous évaluons la plupart de nos projets et collaborons avec une multitude de chercheurs. Douze programmes de recherche sur la santé et le mieux-être sont d’ailleurs en cours de réalisation ou donnent déjà le fruit de leurs résultats. Le tout dernier porte sur l’impact d’activités créatives pour des personnes âgées de 65 ans et plus. Un autre exemple : il y a trois ans, on en a en lancé sur les problématiques de santé poids, boulimie, anorexie, avec de très bons résultats. Enfin, l’année dernière, on a mené un projet pilote d’art thérapie avec la Fondation du cancer du sein du Québec, qui sera évalué par la recherche cette année.

Comment s’initie un projet d’art-thérapie ? Par des consultations médicales ?
Tout commence par le désir du participant ou de l’organisme qui nous contacte. Certains projets, dont l’objectif défini est d’aller mieux, sont ainsi encadrés par l’art-thérapie. En compagnie de Stephen Legari, on préfère les séances de groupes même si les consultations individuelles sont possibles. Stephen n’est pas un médecin, mais bien un art thérapeute, au même titre que d’autres professions paramédicales. Il collabore avec une multitude de partenaires du milieu de la santé : des médecins, des infirmiers, des ergo-thérapeutes, etc. Et depuis plus d’un an maintenant, il travaille avec une docteure afin qu’elle lui réfère ses patients pour combiner les pratiques. Ce qui est intéressant, c’est d’arriver à une prescription.

Presque comme une ordonnance…
Exactement. C’est une collaboration entre le personnel hospitalier, l’art-thérapeute et nos médiateurs du musée afin de trouver un programme spécifique pour que les personnes aillent mieux. On établit ensemble un protocole d’action et on décide de qui interviendra : médecins, infirmières... Ce sont vraiment des projets sur-mesure à 100%. Par exemple, les personnes qui vivent avec le trouble de l’alimentation, quand elles viennent au musée, elles visitent, font des ateliers et mangent au musée. Le temps du repas, c’est très important pour elles mais ce n’est pas le cas forcément pour d’autres. A côté de cela, d’autres personnes qui vivent avec le spectre de l’autisme par exemple, ont des besoins particuliers au sein du musée, mais n’ont pas forcément besoin d’art-thérapie. On crée alors pour elles des activités au carrefour du mieux-être, de l’éducation et du ludisme. On le fait également avec les personnes âgées, parmi lesquelles beaucoup sont dans l’isolement, sortent peu de chez elles et ont moins d’activités de manière globale. On les réunit avec d’autres personnes, afin de retisser du lien.

Les Beaux jeudis. Musée des beaux-arts de Montréal. Photo © Mikaël Theimer (MKL)

Les Beaux jeudis. Musée des beaux-arts de Montréal. Photo © Mikaël Theimer (MKL)

Vous vous adressez à tous les publics ou uniquement aux personnes en difficulté ?
On a plusieurs approches. On est en relation avec les milieux sociocommunautaires, ce que vous appelez en France les associations, les organismes à but non-lucratifs... Le musée se transforme grâce à ces groupes qui viennent au quotidien. On est en lien chaque année avec plus de 450 organismes sociocommunautaires. Parmi eux, certains mènent des projets réguliers depuis plusieurs années, d’autres s’arrêtent. On trouve alors des solutions pour que les personnes puissent continuer de venir de manière individuelle.

Vous nous avez cité quelques chiffres, cela touche à peu près combien de monde ?
Au total, nous rejoignons plus de 300 000 participants aux activités culturelles du musée avec une équipe de 50 employés et 170 guides bénévoles, pour une fréquentation de plus d’un million de visiteurs. Parmi ces participants, notre programme d’accessibilité, d’inclusion et d’appartenance, Le Musée en partage, touche plus de 30 000 personnes par an en incluant les 7000 jeunes qui se font payer le bus pour venir au musée et y avoir gratuitement des activités à travers un programme qu’on appelle Une école montréalaise pour tous. Cette année, notre offre d’accessibilité pour les familles rejoindra 60 000 personnes.

Et comment financez-vous toutes ces activités ?
Notre institution est soutenue par sa propre fondation qui nous aide à trouver des fonds auprès de mécènes et de commanditaires. On n’aurait pas pu faire ce qu’on fait là sans Michel de la Chenelière qui est notre grand mécène. Il a été, entre autre, le bailleur de fonds de l’agrandissement de nos différents espaces.

Vous n’avez pas encore parlé des conservateurs. Ont-ils une place dans ce dispositif ?
Les conservateurs sont partout [rires]. On utilise le musée qu’ils ont créé : la scénographie, les oeuvres d’art sélectionnées, toute l’expertise mise à disposition... On collabore sur une multitude de projets. Et depuis trois ans, dans toutes les grandes expositions, on trouve un espace éducatif intégré que l’on conçoit avec eux.

C’est un espace à côté de l’exposition ?
Pas à côté, cela fait partie de l’exposition ! Ce sont environ 100 mètres carré destinés uniquement à l’éducation, en lien avec des thématiques explorés dans l’exposition. Par exemple, pour Napoléon - Art et vie de cour au palais impérial, on parle de l’égoportrait, ce que vous appelez le selfie. C’est une réflexion sur le moi. Avec Il était une fois... le western, on a déconstruit les mythes autochtones tout comme l’exposition. On peut aller sur des thématiques très particulières. Par exemple, avec Focus : perfection – Robert Mapplethorpe, on a travaillé avec la communauté LGBTQ. Ce qu’on essaie de mettre en valeur à travers des projets comme ceux-ci, c’est de laisser un espace à des personnes qui, souvent, ont été brimées dans leur expression.

Musée des beaux-arts de Montréal. Photo : Michel Dubreuil

Musée des beaux-arts de Montréal. Photo : Michel Dubreuil

En France, ce genre d’initiatives peut être mal perçu, comme si le musée ne devait être réservé qu’à l’histoire de l’art...
Le musée a deux missions : préserver et valoriser les oeuvres d’art, et celle, du 21ème siècle qui consiste à trouver une réponse à la multitude de questions que la société se pose. Le musée, à notre avis, est l’endroit où la parole est libre. C’est un milieu sécuritaire, tolérant sur ce qui se dit. Beaucoup de belles choses sortent de ces idées-là.

Vous savez si d’autres musées comme le vôtre existent dans le monde, avec autant de projets sur le mieux-être ?
Au Canada, on est pionnier dans ce domaine. Dans le monde, c’est difficile à dire mais notre modèle est assez unique. Ce qui est intéressant, c’est de savoir que cette question du musée social revient de manière cyclique tous les 30 ans. C’est ce que nous a expliqué un expert au colloque Le Temps des musées organisé justement en France. On serait en train de démarrer un nouveau cycle, comme après la guerre ou dans les années 1960, mais en allant cette fois-ci plus loin dans la démarche de la santé et du mieux-être. Ce qui est fantastique aujourd’hui, ce sont tous les outils de médiation que l’on a à disposition. Et parce qu’on est dans un monde empli de violences, les musées sont certainement ce refuge qu’on ne peut pas trouver autrement.

:: Bernard Hasquenoph | 4/04/2018 | 16:42 |

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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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