13.08.2018 | SECOND VOLET d’un entretien réalisé avec Thomas Bastien, directeur de l’éducation et du mieux-être au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). La première partie portait sur son projet innovant de centre d’art-thérapie. Celui-ci aborde la relation de l’institution aux publics LGBTQ+, tellement elle est riche et polymorphe. Le musée collabore avec une multitude d’organismes sociocommunautaires, équivalent de nos associations. De quoi inspirer les musées français...
Le Musée des beaux-arts de Montréal mène de nombreuses actions en direction des publics LGBTQ+, cela correspond à une volonté particulière ?
Thomas Bastien. Je pense que c’est davantage la communauté LGBTQ+ qui considère que le musée lui appartient, ce qui se traduit par la réalisation d’une multitude d’actions ! C’est aussi grâce à Nathalie Bondil qui, depuis son arrivée au musée, a initié plusieurs expositions – consacrées à Robert Mapplethorpe, Jean Paul Gaultier, Yves Saint Laurent et Jean Cocteau, entre autres – qui ont abordé la diversité sous toutes ses formes, qu’elles soient de genre ou sexuelle. Au-delà des expositions, nous avons réalisé des espaces de médiation, un documentaire et même une affiche distribuée dans les écoles, qui invitent à célébrer la différence. On mène avec des organismes LGBTQ+ des projets socio-éducatifs en lien avec les œuvres présentées et nos collections. Et au final, on donne la parole à ces acteurs qui désormais considèrent le musée comme un lieu où ils se sentent bien et où ils reviennent avec leurs amis et leurs familles. Désormais, un peu comme dans l’exposition Love is Love : le mariage pour tous selon de Jean Paul Gaultier, nous consommons le mariage !
Comment les relations se sont-elles nouées ?
Il y a 19 ans, lors de la création de notre programme d’accessibilité, d’inclusion et d’appartenance, le musée rejoignait un à un des groupes sociocommunautaires ayant des besoins particuliers afin de leur offrir une expérience gratuite mêlant visites et ateliers de création sur mesure. Aujourd’hui, le rapport est complètement inversé. Ce n’est plus nous qui décidons des groupes avec lesquels collaborer. Ce sont les organismes qui nous contactent et qui considèrent le musée comme une solution adaptée à leurs réalités et besoins. Le musée ne nous appartient pas : il appartient aux publics qui décident d’en faire leur propre musée ! Et c’est exactement ce qu’a fait la communauté LGBTQ+ avec le soutien de nos équipes. Ça fonctionne !
En 2017, votre musée a défilé à la marche de Fierté Montréal. C’était une première ?
Il s’agissait de notre deuxième participation, mais la première fois que nous avions notre propre char allégorique décoré aux couleurs de l’exposition Love is Love : le mariage pour tous selon de Jean Paul Gaultier, alors à l’affiche. D’ailleurs, nos amis du Consulat de France à Montréal étaient présents à nos côtés ! Pour la prochaine édition, l’équipe du musée sera de la fête avec un char réalisé en collaboration avec l’artiste paysagiste Claude Cormier, dans une ambiance musicale assurée par DJ Tatie au Miel. Avis aux personnes qui seront à Montréal le 19 août : il reste toujours des places pour se joindre à notre groupe.
Qu’un musée soit présent à un événement « communautaire » est-il bien perçu au Québec ?
Tout à fait ! Le Canada est d’ailleurs un pays reconnu pour son ouverture à ce sujet.
En France, aucun musée n’y participe. Pourquoi le faire ?
Nous le faisons car cela symbolise l’ensemble des actions menées par les organismes LGBTQ+ et le musée, à travers des expositions, des oeuvres ou des projets sociaux et éducatifs tout au long de l’année. Il y a trois ans, Nathalie Bondil avait été invitée par la Fondation Jasmin Roy. Désormais, c’est devenu un rendez-vous !
Lors de notre précédent entretien, parmi les projets menés avec la communauté LGBTQ+, vous évoquiez un espace éducatif intégré à la rétrospective Mapplethorpe, vous pouvez nous en dire plus ?
Lorsque l’on a parlé de l’exposition à plusieurs partenaires avec lesquels nous travaillions au sein de la communauté LGBTQ+, l’engouement s’est directement fait sentir. Dans la foulée de l’exposition consacrée à un photographe dont l’œuvre a suscité de nombreux débats sur les questions de genre et de sexualité, nous avons travaillé avec les organismes Arc-en-ciel d’Afrique et Le GRIS-Montréal à la création d’un espace de médiation. L’espace ÊTRE/AIMER – BE/LOVED associait des œuvres de la collection du musée à des témoignages des communautés LGBTQ+ et de leurs alliés, qui ne présentaient pas nécessairement un point de vue sur la diversité sexuelle. La rencontre entre ces témoignages et les oeuvres permettaient de défier les stéréotypes et d’exalter l’universalité du sentiment amoureux.
Cela a été également l’occasion de sensibiliser à la lutte contre le sida, dont est mort l’artiste. A travers quelles initiatives ?
Nous avons collaboré à plusieurs initiatives de sensibilisation : distribution de rubans lors de la Journée internationale de la lutte contre le sida, accueil de plusieurs experts lors de conférences sur ce sujet, sensibilisation au sein de l’exposition à cette réalité, sans oublier les événements créés par des organismes reliés à cette cause. Montréal est à l’origine de recherches majeures en lien avec la lutte contre le sida. C’était important pour nous d’en parler et d’agir.
Et vous avez organisé une visite naturiste dans le cadre de cette exposition ! Comment l’idée est-elle est née ?
L’exposition Focus : perfection – Robert Mapplethorpe abordait les thèmes du corps et de la nudité. L’objectif de l’évènement était d’explorer l’un des modes d’expression du célèbre photographe. Quand on a annoncé cette rétrospective, Fugues, l’un des magazines LGBTQ+ de Montréal, a aussitôt passé un coup de fil au musée. Et, de fil en aiguille, est née l’idée de cette soirée. 85 personnes ont pris part à cette visite de l’exposition en tenue d’Ève et d’Adam, qui s’est déroulée dans le plus grand respect. Il s’agissait pour le musée d’une façon de valoriser une image positive du corps en plus de célébrer la liberté d’expression et l’affirmation de la différence. Notre équipe n’est pas là pour juger. Nous sommes là pour faire en sorte que le musée
accompagne les personnes dans les démarches qui leur conviennent le
mieux.
Finalement, votre mission est de favoriser l’accès à tout le monde...
Exactement, dans le respect des réalités de chacun. Nos équipes et nos espaces sont disponibles pour les organismes citoyens qui expriment le besoin de réaliser un projet au musée. Nous croyons profondément aux bénéfices de la co-création et nous collaborons ainsi avec pas moins de 450 organismes !
Tout ce que vous avez cité semble concerner davantage les hommes gays, rien n’est proposé aux autres publics ?
Heureusement, tous ces projets sont proposés à l’ensemble de la communauté LGBTQ+, qu’importe qu’ils soient gays ou lesbiens par exemple. Être/Aimer comportait autant de témoignages de femmes que d’hommes, de la même manière que le film et l’exposition Tomber dans l’œil réalisé en collaboration avec la Fondation Émergence. Nous travaillons également avec des adultes ou des enfants trans. Personne n’est mis à l’écart.
Dans le futur, vous ne comptez pas créer un parcours LGBTQ+ au sein de vos collections, comme des musées anglo-saxons l’ont fait ?
Tout dépendra de ce que la communauté nous proposera de faire ! Avec la Fondation Jasmin Roy, par exemple, nous avons créé un parcours de sensibilisation portant sur l’intimidation à l’école, incluant un volet destiné à la diversité sexuelle. Nous finalisons également un projet d’art thérapie auprès de jeunes transgenres. Avant toute chose, nous devons répondre à un besoin plutôt que d’en créer un. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les expériences sont souvent si différentes en France, en Angleterre et au Canada. Les réalités n’ont parfois rien en commun.
Pour conclure, quels sont les grands projets à venir au Musée des beaux-arts de Montréal ?
Nous accueillerons notamment la première rétrospective consacrée au couturier visionnaire Thierry Mugler. Nous inaugurerons également une nouvelle aire destinée aux cultures du monde et au vivre ensemble : un grand projet qui célèbrera la diversité et encouragera le dialogue interculturel par l’art. Nous sommes d’ailleurs en train de mettre en place un comité « Art et vivre ensemble » qui nous permettra de bâtir d’autres projets sur mesure. Le musée fêtera également les 20 ans de son programme d’accessibilité, d’inclusion et d’appartenance, avec la publication de recherches réalisées à cet effet. De nombreuses surprises sont à venir !