28.02.2010 | L’ACTION CLANDESTINE s’est déroulée le 19 janvier dernier. Dans l’obscurité du petit matin ou de la nuit de Saint-Pétersbourg. Pas n’importe où. Sur les murs extérieurs du Musée de l’histoire politique de la Russie abrité depuis cent ans dans l’hôtel particulier de Kchessinskaïa du nom de la danseuse étoile maîtresse du Tsar Nicolas II. Ce musée retrace toute l’histoire du pays de 1918 jusqu’à nos jours et sa mission, pour la population autochtone, est « la formation de la culture politique dans la Russie moderne ». On y trouve notamment le cabinet particulier de Lénine, des documents sur l’assassinat de Raspoutine, des affiches de propagande soviétique, des documents sur le système parlementaire actuel. Il se situe rue Kouibychev du nom d’un ancien militant du parti communiste (1888-1935), ancienne Grande rue de la Noblesse.
C’est là que des activistes du mouvement Autonomous Action signant les artistes anarchistes de Saint-Pétersbourg, en collant une immense fresque de papier, ont décidé de rédiger une nouvelle page de l’histoire contemporaine de la Russie. Celle qui n’apparaît pas dans les sources officielles : le récit de la création d’un « régime autoritaire fondée sur une constitution fictive » disent-ils, des libertés démocratiques élémentaires bafouées, et, « bien sûr, ajoutent-ils dans leur communiqué l’histoire continue d’assassinats politiques ».
Car la date n’a pas non plus été choisie au hasard. Un an jour pour jour après l’assassinat, en pleine rue à Moscou, de Stanislav Markelov et d’Anastasia Babourova. C’était le 19 janvier 2009.
UN DOUBLE ASSASSINAT
Stanislav Markelov, 34 ans, était avocat et militant pour la défense des droits de l’Homme. Président du Rule of Law Institute, il avait à plusieurs reprises collaboré avec Amnesty International. Il avait défendu Anna Politkovskaïa, journaliste abattue à Moscou en 2006, des militants et défenseurs des libertés ainsi que de nombreux civils tchétchènes. Il a été tué d’une balle dans la nuque alors qu’il quittait une conférence de presse. Il venait d’annoncer qu’il allait faire appel de la décision judiciaire de relâcher Iouri Boudanov, officier russe haut gradé condamné en 2003 à dix ans de prison pour avoir violé et étranglé Elza Koungaïeva, une jeune fille tchétchène. Selon le journaliste et spécialiste militaire Pavel Felgenhauer, les détails du meurtre de Markelov portaient la signature des services de sécurité russes. Le Président Dmitri Medvedev a attendu neuf jours pour présenter ses condoléances.
Anastasia Babourova, 26 ans, jeune journaliste qui accompagnait Stanislav Markelov dans la rue, a tenté de lui venir en aide, elle a été blessée mortellement. Anastasia Babourova était une militante anarchiste et écologiste, membre également du mouvement Autonomous Action. Étudiante en journalisme à l’Université d’État de Moscou, elle était stagiaire au quotidien d’opposition Novoïa Gazeta. Ses sujets de prédilections étaient les mouvements informels de jeunes, les actions de rue protestataires, les audiences judiciaires et la montée des mouvements fascistes en Russie.
Le 3 et le 4 novembre 2009, deux suspects ont été arrêtés par le Service fédéral de sécurité (FSB) : Nikita Tikhonov, né en 1980 et Evguenia Khassis, née en 1985. Les deux jeunes gens feraient partie de l’organisation néo-nazie « Front de l’unité russe ». Tikhonov, après avoir avoué le meurtre, s’est rétracté affirmant avoir été victime de mauvais traitements et de menaces de représailles sur sa femme. Reporter sans frontières (RSF) note que « tout en saluant une détermination à lutter enfin contre l’extrême-droite qui trancherait avec le laxisme habituel des autorités, nombre de défenseurs des droits de l’homme ont exprimé leur crainte qu’un bouc émissaire tout trouvé masque une impunité persistante ».
UNE FRESQUE DE 17 MÈTRES
La fresque de papier s’étalait sur 17 mètres. Elle illustrait les moments forts de la vie politique russe récente selon l’organisation anarchiste. Y sont représentés le colonel Boudanov, Alexandre Douguine théoricien de la nouvelle droite russe proche du pouvoir, Alexeï Olesinov militant antifasciste condamné à un an de prison sur de fausses accusations, l’avocat Stanislav Markelov qui a défendu Olesinov et mené l’affaire contre Boudanov, et Anastasia Babourova. L’action artistique sauvage était dédiée à l’avocat et à la journaliste assassinés « parce que nous croyons que leur vie et leur mort sont un moment important de l’histoire politique moderne de la Russie » déclarent les militants anonymes.
Ce même jour, des rassemblements à la mémoire de Markelov et Babourova se sont tenus dans plusieurs villes de Russie, parfois avec des heurts, et partout dans le monde. L’oeuvre street art, par nature éphémère, a disparu rapidement des murs du musée de l’histoire politique de Saint-Pétersbourg. Effacée par des mains invisibles. Comme une page qu’on arrache.