12.07.10 | LA BONNE NOUVELLE, c’est que Andreï Erofeïev ou Erofeev et Youri Samodourov échappent à la prison en écopant respectivement d’une amende de 150 000 roubles et 200 000 roubles, ce qui équivaut à 9000 euros, une somme très importante en Russie. Quand on connaît la sévérité de la justice de ce pays, le risque était grand pour Samodourov considéré comme un récidiviste pour avoir déjà été condamné pour le même motif. Sans doute les deux hommes ont ils bénéficié des effets de la mobilisation internationale en leur faveur - surtout émanant des pays anglosaxons - et de l’appui des organisations de défense des droits de l’Homme comme Amnesty International. Peut-être aussi y a-t-il eu pression de l’Etat comme cela arrive souvent dans les cours de justice russes, surtout quand il y a risque de nuire à l’image du pays à l’étranger. Erofeïev en est convainvu [1].
La mauvaise nouvelle, c’est que les deux hommes de culture sont reconnus coupables des faits qui leur sont reprochés, la présidente du tribunal estimant qu’ils ont bien « commis des actes visant à attiser la haine », allant jusqu’à qualifier d’« intention criminelle » l’idée même de l’exposition contestée, rapporte l’AFP [2]. Un incident a émaillé la journée quand l’artiste Piotr Verzilov a lâché dans la salle d’audience, juste avant l’énoncé du verdict, des dizaines de cafards. Aussitôt arrêté, traîné jusqu’au fourgon de police, Verzilov n’a cessé de crier des slogans en faveur des deux inculpés, dénonçant un « tribunal de cafards » [3].
C’est évidemment une victoire pour les groupes nationalistes ultra-orthodoxes à l’origine de la plainte, même si leur leader Oleg Kassine, dirigeant du mouvement fasciste Narodny Sobor avait déclaré que la prison, dans leur cas, ne serait pas suffisante. L’agence Reuters rapporte que Mikhaïl Nalimov, chef du mouvement de la Jeunesse orthodoxe unie, a déclaré, dans l’attente du verdict, qu’Erofeïev et Samodourov devraient être envoyés en exil, ajoutant que « le gouvernement doit décider aujourd’hui s’il est du côté de Dieu ou du côté de Satan » [4]. Aussi ont-ils trouvé que la sentence était trop clémente comme l’a déclaré Leonid Simonovitch-Nikchitch, président de l’Union des fraternités orthodoxes décoré en son temps par le Patriarche Alexis II, admirateur d’Hitler et antisémite revendiqué, portant pour l’occasion un tee-shirt sur lequel on pouvait lire « Le christianisme orthodoxe ou la mort ! » (voir vidéo AFP ci-dessus) [5]. A travers ce procès, ces groupes fascistes entendaient défendre le vrai art russe contre un art qu’ils doivent juger dégénéré, comme on peut le comprendre dans la troisième vidéo ci-dessous où apparaissent sur fond de rap Erofeïev et Samodourov.
Le porte-parole du patriarcat de l’Eglise Orthodoxe russe Vladimir Viguilianski avait pour sa part jugée « démesurée » une peine de prison sans pour autant rejeter l’idée de culpabilité. Enfin, on remarquera que ce ne sont pas les artistes qui étaient poursuivis mais les organisateurs de l’exposition, alors que c’était les oeuvres qui faisaient débat. Une forme de censure beaucoup plus subtile et des plus inquiétantes pour l’avenir de la vie artistique russe. En attendant, à voir ces images dignes de rassemblements hitlériens, le fascisme, en Russie, est en pleine santé...
COMMUNIQUÉS ET RÉACTIONS
Amnesty International
Human Right Watch
Article 19, association anglaise qui milite pour la défense de la liberté d’expression dans le monde
[1] « C’est d’abord un jugement de compromis qui grâce à Dieu ne me condamne pas à la prison. La décision vient sûrement du gouvernement ou du Premier ministre (Vladimir Poutine), j’en suis même certain » a-t-il déclaré, rapporté par l’AFP Moscou in « La justice russe condamne deux organisateurs d’une exposition d’art » | 12.07.10.
[2] « Expo d’art en Russie : les organisateurs jugés coupables d’incitation à la haine », AFP | 12.07.10.
[3] « Deux artistes russes condamnés pour offense à la foi orthodoxe » par Nicole Dupont, REUTEURS | 12.07.10.
[4] « Deux artistes russes condamnés pour offense à la foi orthodoxe » par Nicole Dupont, REUTEURS | 12.07.10.
[5] « Art et censure au centre d’un procès à Moscou » par Fabrice Nodé-Langlois, LE FIGARO | 12.05.09.