30.01.11 | QUAND UN MONSIEUR qui préfère garder l’anonymat nous a transmis une liasse de ses courriers envoyés au ministère de la Culture pour protester contre l’interdiction de faire des photos au musée d’Orsay, on a bien cru qu’on allait enfin connaître la position de Frédéric Mitterrand sur un sujet qui concerne autant les responsables et employés des musées que les visiteurs.
Mais allait-il seulement répondre à un simple citoyen, lui le promoteur de la Culture pour chacun ? Pas sûr car tout ministre de la République qu’il est, il n’a pas même pris la peine de répondre à un député de la majorité auquel son propre gouvernement appartient ! En juin 2010, Patrick Beaudouin, député UMP du Val-de-Marne et maire de Saint-Mandé, interpellait pourtant courtoisement le ministre de la Culture à l’Assemblée nationale, s’étonnant de cette interdiction. Parue au Journal officiel il y a neuf mois, la question attend toujours une réponse. Incroyable. Les responsables de la Réunion des musées nationaux (RMN) avaient été plus courageux quand, interrogés par Le Parisien en juillet, ils avaient rappelé l’évidence... et le droit : « Lors des grandes expositions, nous empruntons des œuvres qui ne nous appartiennent pas ; dans ce cas-là, bien évidemment, les photos sont interdites. Mais les collections nationales publiques, qui sont la propriété de l’Etat ou de la municipalité, appartiennent à chacun ». Le silence gêné de l’occupant de la Rue de Valois serait-il l’aveu de l’impuissance d’une administration à faire respecter des règles de base dans les musées nationaux, tel que dénoncé dernièrement par un rapport secret de la Cour des comptes ?
LE MINISTRE NE RÉPOND PAS
Au courrier circonstancié de Monsieur X (pièce n°1) faisant suite à un mail resté sans réponse, le chef du bureau du cabinet du Frédéric Mitterrand lui fit savoir vingt jours plus tard qu’on l’avait chargé de transmettre la missive à Guy Cogeval, président du musée d’Orsay (pièce n°2). Basta. On ne saura donc toujours rien de ce qu’en pense Frédéric Mitterrand. Pourtant, Monsieur X qui, de colère, a rendu sa carte d’abonnement au musée d’Orsay qu’il détenait depuis des dizaines d’années, développait quelques arguments percutants : « Interdire la propagation de la peinture et de la sculpture à deux visiteurs sur trois qui ont les moyens aujourd’hui de la transporter dans le monde entier vers les familles, les écoles, les usines, me paraît une disposition moyenâgeuse », ou encore « Mes petits-enfants de 10 et 12 ans ont photographié tous les Van Gogh avec leur portable. On n’a pas le droit d’interdire le plaisir immense qu’ils ont à les montrer et à les revoir, car c’est leur propre création »...
Tenace, Monsieur X répondit aussitôt au ministre boîte aux lettres (pièce n°3) le priant, avec humour, d’accepter un DVD de quelques unes de ses photos de l’oeuvre de Brueghel l’Ancien recueillies dans plusieurs musées du monde. En haute définition, il lui proposait de « zoomer à loisirs pour approfondir la connaissance du peintre » et lui suggérait de s’en servir également comme fonds d’écran.
LE MUSÉE D’ORSAY RÉPOND
Mi-août, le service des publics du musée d’Orsay répondit à Monsieur X (pièce n°4), affirmant que la mesure d’interdiction n’était « ni répressive (sic) ni mercantile mais destinée à améliorer les conditions de visite des millions de visiteurs que le musée reçoit chaque année ». La seule raison invoquée était « l’utilisation intensive des flashes malgré leur interdiction » dont se serait plaint nombre de visiteurs. Ce qui diffère sensiblement - pour dire la cohérence de la position du musée d’Orsay ! -, d’une autre raison avancée par la même direction sur le livre d’or virtuel du musée, à savoir « la multiplication des prises de vue »à bout de bras« via des téléphones mobiles » [1]. Un livre d’or submergé depuis des mois par des messages hostiles pour quelques très rares messages favorables à la mesure. D’autre part, le service des publics invoquait la « sécurité des collections » sans qu’on sache trop d’où peut venir le danger ? On sait que ça n’est plus le cas pour les flashes dont on comprend cependant l’interdiction pour la gêne occasionnée tant pour les surveillants que pour les visiteurs. Ou alors la direction faisait allusion à ce qu’elle avait décrit au Parisien : « A cause des grands travaux menés actuellement dans le musée, les galeries Gauguin et Van Gogh sont très chargées. Il suffit d’une bousculade, la personne avec son portable est déséquilibrée et… tombe droit sur le tableau ». Une bousculade ?! Il suffit de mettre en place une « jauge » afin de réguler le nombre de visiteurs dans une même salle, comme ce fut le cas dernièrement pour la rétrospective Monet au Grand Palais. Guy Cogeval le sait bien, il en était le commissaire.
Monsieur X ne résista pas à répondre longuement au musée, avec copie au ministre (pièce n°5), et à en démonter le contenu : « Depuis plus de vingt ans, je fréquente les musées du monde entier (...). Jamais je n’ai rencontré d’hostilité de la part des autres visiteurs, plutôt une connivence sympathique et un petit pas de côté avec le sourire de personnes amoureuses de belles choses ». Remarque intéressante qui recoupe les conclusions de l’étude sociologique réalisée par Mélanie Roustan, chercheur au CERLIS, sur la pratique photographique dans les musées. Quant à l’usage intempestif du flash, il s’agit évidemment d’une question d’information et d’éducation du public. On pense à l’intelligente campagne de sensibilisation aux règles de bonne conduite dans le musée du Louvre (« Les règles de l’art »), qui avait tenté d’interdire également la pratique de la photo dans sa partie la plus fréquentée avant d’y renoncer.
Dans sa réponse, le musée d’Orsay tenait à rappeler également que son site internet met « à disposition gracieusement les photographies d’une très grande partie de ses collections », à quoi Monsieur X répondit avec justesse que, louant l’effort tout en déplorant la piètre qualité de ces reproductions (les photos de plus grand format sont inexploitables car, téléchargées elles sont barrées du sigle EPMO), il rappelait l’évidence : « Si vous avez déjà tenu un appareil, vous savez parfaitement l’attachement que vous apportez à la photographie que vous avez prise (...). D’autant plus que les photographes de musées placent souvent en premier plan leur conjoint ou leur enfant et cela le site internet ne pourra jamais le faire ». A la précision que « le musée d’Orsay prête fréquemment des oeuvres aux musées dans les régions, afin de les rendre accessibles au plus grand nombre », Monsieur X eut la cruauté de rappeler que « la presse spécialisée parlait, elle de »locations« ... », faisant allusion aux toiles Impressionnistes effectivement louées dans le monde entier pour financer des travaux de réaménagement du musée. Enfin, Monsieur X se faisait bien meilleur commercial que les comptables du musée : « Je reste persuadé que sur le plan strictement commercial, la diffusion des photos de vos millions de visiteurs aura un rendement publicitaire bien supérieur à celle d’un site internet ». Cette dernière lettre est restée évidemment sans réponse.
Ultime précision, Monsieur X a dernièrement fait don à l’Ecole du Louvre de sa « collection de près de 10 000 photos d’art de haute qualité » prises dans tous les musées du monde. C’est ce qu’on appelle un geste citoyen. Du pur mécénat.
Dimanche 6 février 2011, rejoignez-nous pour participer à la seconde action de protestation contre l’interdiction de faire des photos au musée d’Orsay... en allant y faire des photos ! Par cette disposition récente de son règlement, le musée national de l’art du XIXe siècle se referme sur lui-même et s’inscrit à contre-courant de notre époque. Empêchant une manière de s’approprier le musée et d’en partager l’expérience, la mesure est de plus illégitime car concernant un patrimoine public.
Rendez-vous : dans le musée, gratuit comme tous les premiers dimanches du mois, au début de l’allée principale, à 11h30, action de 12h à 13h.
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Commentaire un peu en retard... Mais non seulement, on as pas le droit de prendre en photo les œuvres, mais le pire je crois que sur le site les photos sont aussi protégé quand on fait un copié collé on remarque que le photo est marqué avec un gros sigle EPMO, et donc illisible. Étant étudiant en art, je trouve cela inadmissible car j’ai un sujet sur Orsay et je ne peux pas prendre les photos du site mais aller chercher sur google pour une qualité médiocre... INADMISSIBLE
Ce pitoyable résultat où ni le ministre, ni le président du musée d’Orsay ne sont capables de s’engager et de répondre est l’illustration de l’abandon par l’Etat de ses moyens qui devraient normalement être au service d’une politique culturelle cohérente. Mais ne leur jetons pas la première pierre. Cela a commencé dès les années 90 sous la gauche des énarques « libéraux » qui prenaient leurs avis chez des consultants comme les cabinets Bruhnes ou Andersen (avant le scandale Enron) inspirés par l’école libérale de Chicago. Les syndicats du ministère ont eu beau protester pendant des années, rien n’y a fait. Tout a été saucissonné sciemment pour affaiblir la représentation des personnels qui avait en outre à gérer l’immense dossier des emplois précaires particulièrement développés, comme par hasard ( ?) dans ce ministère. Cela a continué de plus belle sous Chirac et encore de plus belle avec la droite ultralibérale incarnée par Sarkozy. Qu’on le veuille ou non, dans notre pays, il n’y a d’expression culturelle forte que si l’Etat s’engage réellement au lieu de se défausser comme il le fait depuis 20 ans. Le ministère de la Culture ressemble à une royauté capétienne primitive et malingre : un minuscule département central réduit à trois ou quatre directions inopérantes, et une multitude de grands vassaux, tous plus indépendants les uns que les autres, que sont les établissements publics placés en principe sous la suzeraineté du ministre en charge de la culture. Après le Louvre, puis Versailles, Orsay est devenu à son tour établissement public comme bien d’autres musées et fait donc ce qu’il veut, ou tout du moins c’est son administration qui décide la réglementation (au nom de quelle politique culturelle ?), le président ayant abdiqué au profit d’un maire du palais qui se contente de répondre en faisant faire la lettre par un subordonné. Faire signer par les pattes du chien pleines de crotte d’un pauvre gardien de nuit intérimaire aurait eu la même valeur tant l’argumentation employée est pitoyable. Courteline n’aurait pas trouvé mieux pour ses Ronds de cuir dont on sait que l’administration des Beaux Arts lui avait servi de modèle ! Mais revenons au ministre. S’il avait joué son rôle, il aurait dû saisir pour enquête et avis son directeur du patrimoine, Philippe Bélaval, puis il aurait dû répondre lui-même à la requête. Au lieu de cela il s’est contenté de transmettre le courrier au musée d’Orsay pour le laisser seul répondre. C’est la preuve flagrante que le ministre n’a pas d’autorité sur le musée d’Orsay, ainsi que sur tous les établissements publics de son ministère ! Il est donc dans l’impossibilité de promulguer une réglementation sur les prises de vues photographiques dans l’ensemble des musées nationaux. La porte est ouverte au tout et n’importe quoi dans chaque établissement relevant soi disant de l’Etat. Au bout du compte, à quoi sert aujourd’hui le ministère de la culture ? on se le demande. Si c’est juste pour distribuer des médailles des Arts et lettres, faire des discours et des visites qui remplissent l’agenda, c’est un peu maigre.
[1] Message complet du musée d’Orsay sur le livre d’or virtuel : « Afin de préserver le confort de visite et la sécurité des oeuvres comme des personnes, il est désormais interdit de photographier ou de filmer dans les salles du musée. Cette mesure est notamment liée à la multiplication des prises de vue »à bout de bras« via des téléphones mobiles. Les reproductions de la plupart des oeuvres des collections peuvent être téléchargées à partir du site (catalogue des oeuvres, oeuvres commentées notamment). »