09.11.09 | Jean-Jacques Aillagon a réagi vivement sur son blog à l’article qui suit. Nous prenons acte de son « droit de réponse » daté du 2 novembre mais seulement mis en ligne le 9, et lui répondons ici.
02.11.09 | SIX MILLIONS DE DOLLARS, un peu plus de quatre millions d’euros, c’est l’estimation haute pour « Large Vase of Flowers », l’une des trois oeuvres de Jeff Koons que la maison d’enchères Christie’s s’apprête à mettre en vente le 10 novembre prochain à New-York parmi une cinquantaine d’oeuvres post-war and contemporary signées Warhol - dont un portrait de Michael Jackson très attendu -, Rauschenberg, Basquiat ou De Kooning.
Le kitchissime bouquet koonsien en bois polychrome datant de 1991 a été jugé suffisamment alléchant pour être choisi comme visuel promotionnel. Il apparaît donc en couverture du catalogue de la vente du jour. Comme toutes les pièces que réalise Koons (ou plutôt ses équipes), il est l’un d’une série de trois. En l’occurence le premier : « signed, dated and numbered ’J. Koons 1991 1/3’ (on the base) ».
Mais la vraie valeur ajoutée, c’est son dernier lieu d’exposition, le Château de Versailles [11.11.09 | Cette information n’était pas exacte bien que ne changeant pas fondamentalement la donne. Nous tenons à présenter nos excuses à nos lecteurs et nous en expliquons dans cet article : « Versailles fait vendre du Koons chez Pinault »]. Certainement en état de sublimation, l’auteur de la fiche chez Christie’s recensant tous les lieux d’exposition de l’oeuvre indique une durée erronée pour l’événement versaillais : « October 2008-April 2009 » quand celui-ci s’est déroulé très exactement du 10 septembre 2008 au 4 janvier 2009. Mais bon, dans le fond, ça ne change pas grand chose. Incontestablement le fait que l’oeuvre ait été exposée dans le palais du Roi-Soleil, en l’occurence dans la chambre de Marie-Antoinette, rajoute à son aura spéculative à voir la double page quadrichromique que consacre le catalogue à l’oeuvre in situ.
Si « Large Vase of Flowers » n’est pas la propriété du collectionneur François Pinault qui, sur les dix-sept Koons exposés à Versailles, en avait prêté six, il en est ici le marchand puisque Christie’s appartient à Pinault le milliardaire [1].
On le sait, l’exposition Jeff Koons Versailles n’aurait pas été possible sans son investissement personnel, lui qui en plus d’avoir prêté des oeuvres a financé l’événement pour une grande part, apportant 800 000 € sur les 1,9 million du budget total. Plus qu’une bonne affaire, la vente prochaine d’un des Koons « versaillais » chez Christie’s serait quelque part, pour François Pinault, un bon retour sur investissement.
De quoi nourrir, par la preuve, la critique adressée à Jean-Jacques Aillagon, président du domaine national de Versailles, d’augmenter la cote d’artistes contemporains en les y exposant.
Ce qui mécaniquement se produit, Versailles étant une vitrine internationale exceptionnelle pour un artiste en pleine carrière. Tant mieux diront certains quand cela profite à l’un d’eux, connu du monde de l’Art mais pas forcément du grand public, comme actuellement Xavier Veilhan. Pour Koons, il s’agissait plutôt d’une consécration, l’artiste américain n’ayant pas attendu Versailles pour exploser le marché, certaines de ses oeuvres ayant battu bien avant tous les records en millions de dollars. Mais cela ne peut évidemment que continuer à lui profiter, en notoriété et en valeur marchande.
J.-J. Aillagon le reconnaît d’ailleurs honnêtement lui-même en prétendant que la critique pourrait être tout autant adressée pour des oeuvres d’Art anciennes appartenant à des collectionneurs privés et exposées dans les mêmes conditions, ce qui alors ne choque personne [2]. Certes mais ces objets ne possèdent-ils pas une valeur intrinsèque, indépendamment du lieu qui les accueille ? Pour exemple, le précieux cabinet de Domenico Cucci présenté actuellement dans l’exposition « Louis XIV, l’homme et le roi », propriété privée du duc de Northumberland, a-t-il plus de valeur parce qu’exposé à Versailles, son lieu d’origine ? Evidemment non. Sa valeur, il la tient de son ancienneté, de sa qualité esthétique reconnue et de l’histoire qui lui est attachée, à savoir d’avoir appartenu à Louis XIV en personne.
Mais plus que de valoriser des artistes vivants - si tant est que le public reconnaisse unanimement cette qualité à ceux exposés à Versailles ce qui est loin d’être le cas - il est reproché à J.-J. Aillagon de favoriser le business qui les entoure, en l’occurence une fois encore celui de son ami François Pinault pour qui il travaillait comme directeur de sa fondation d’art contemporain, au Palazzo Grassi de Venise, avant d’être nommé à Versailles.
À l’époque de Jeff Koons Versailles, si certains ont dénoncé la collusion d’intérêt entre les deux hommes, peu ont relevé que J.-J. Aillagon siégeait toujours au conseil d’administration de l’institution privée italienne tout en étant président de l’établissement public français. Depuis, son nom a discrètement disparu de la courte liste des membres qui le composent sans qu’on sache s’il reste par ailleurs conseiller culturel d’ARTÉMIS, poste qu’il occupait dans la holding de la famille Pinault avant de prendre la direction du Palazzo Grassi [3]. C’est ce qui se murmure toujours et ce que laisse entendre encore un récent article de la presse italienne [4]. Qu’en est-il réellement ? Lui seul pourrait lever le doute.
Et, comme si cela ne suffisait pas, d’aucuns croient deviner l’ombre de François Pinault derrière le galeriste Emmanuel Perrotin, incarnation de l’art business selon le très sérieux JOURNAL DES ARTS [5] et qui, étrangement, est l’agent de Xavier Veilhan et des deux artistes contemporains choisis pour exposer à sa suite à Versailles : le japonais Takashi Murakami et l’italien Maurizio Cattelan. Un hasard, selon Aillagon. Tous trois « ont une présence forte dans la collection de François Pinault » remarque LIBÉRATION [6]. Si l’homme d’affaires est bien client de ce galeriste incontournable sur le marché de l’art d’aujourd’hui, il est cependant loin d’être le seul. La galerie Perrotin n’est-elle pas tout autant fréquentée par Bernard Arnault de LVMH ?
Une chose est sûre, le 10 novembre, « Large Vase of Flowers » a d’ores et déjà perdu un client. Le prince Charles-Emmanuel de Bourbon-Parme qui, lointain descendant du Roi-Soleil, porta l’année dernière le fer jusqu’en justice, horrifié par ces innocentes fleurs comparées par Jeff Koons lui-même de « 140 culs ». En or.
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:: JEAN-JACQUES AILLAGON AU PALAZZO GRASSI | 2006 ::
[1] Depuis 2000, « Large Vase of Flowers » fait partie de la collection Ludwig et était jusque là exposé au Ludwig Forum für Internationale Kunst à Aix-la-Chapelle en Allemagne. Cette fantastique collection privée est l’oeuvre du couple Peter et Irene Ludwig. Cette dernière est la veuve depuis 1996 d’un historien de l’art de formation, qui, devenu dirigeant de l’affaire familiale de sa belle-famille, fit fortune dans le chocolat, ce qui permit au couple de vivre pleinement leur passion commune pour l’Art.
[2] Dans une interview publiée le 29 septembre 2008 sur le site Internet LA TRIBUNE DE L’ART, J.-J. Aillagon à ce sujet a répondu : « Vous savez bien qu’à chaque fois qu’on présente une œuvre provenant d’une collection privée dans une exposition, d’art ancien, d’art moderne ou d’art contemporain, on la valorise. Après l’exposition du mobilier d’argent, certains propriétaires privés se sont posés la question de l’opportunité de proposer leurs objets au marché. Je crois même que l’un d’entre eux l’a fait. Pour ce qui est de Jeff Koons, j’observe qu’il n’a pas attendu cette exposition pour se hisser aux sommets du marché de l’art. Mais elle est incontestablement valorisante pour l’artiste et lui a donné une visibilité supplémentaire incroyable. Faudrait-il ne plus organiser d’expositions pour ne plus valoriser aucun artiste et aucune œuvre ? non évidemment !... ».
[3] J.-J. Aillagon, avant de prendre la direction du Palazzo Grassi en avril 2006, occupait la fonction, depuis septembre 2004, de conseiller d’ARTÉMIS pour les « affaires culturelles du groupe au sens large, telles que le mécénat, la fondation... » (selon l’AFP | 01.07.04) avec un contrat de consultant à durée indéterminée (selon LIBÉRATION | 08.07.04). Depuis 2003, ARTÉMIS est présidée par François-Henri Pinault, fils aîné de François Pinault. La FINANCIÈRE PINAULT, maison-mère de la holding est co-gérée par le père et le fils. Dans son conseil de surveillance, on y trouve la fille Laurence Pinault et son second fils Dominique Pinault.
[4] « Tra gli invitati figurano an che Gerard Depardieu, Pierre Cardin, amico di vecchia data di Carlà, l’attrice Adriana Asti e naturalmente il vicino di « ri va », François Pinault, il suo consigliere culturale Jacques Aillagon (ex direttore di Palaz zo Grassi diventato direttore del museo di Versailles e il grande amico - di Pinault Jacques Chirac). » in "Carla e Sarkozy sbarcano a Venezia Visita lampo con buffet e concerto" par Sara D’Ascenzo, CORRIERE DEL VENETO | 30.10.09. Merci à M. Aillagon d’avoir signalé sur son blog la faute de frappe qui nous a malencontreusement fait écrire Corriera au lieu de Corriere.
[5] "Emmanuel Perrotin Galeriste" par Roxana Azimi, LE JOURNAL DES ARTS | 08.10.04.
[6] « Versailles, résidence royale d’artistes » par Vincent Noce, LIBÉRATION | 22.09.09.