15.09.2006 | LES AMOUREUX DU HAMEAU de la reine font aujourd’hui grise mine. Car ce havre de paix est devenu payant à l’initiative de la présidente de l’établissement public de Versailles. À peine nommée, Christine Albanel, sans compétences connues pour la fonction, déclarait faire de ce trésor national, « une PME », le propulsant dans « une logique d’entreprise » avec " obligation de résultat [2]. On en a ici la preuve. Pour justifier la mesure, deux types d’arguments sont mis en avant : nouveauté et authenticité. Faux et illusoire…
L’accès au Hameau devient payant, parce qu’il s’inscrit dans un nouvel espace de visite, « Le Domaine de Marie-Antoinette ». Or, seul le nom est nouveau puisqu’il recouvre des lieux connus, presque tous jusque-là accessibles au public. Cependant sa publicité de lancement se révèle assez subtile pour en donner l’illusion, régle n°1 pour être relayée dans les médias. La pièce maîtresse du domaine est le Petit Trianon. Ouvert auparavant à la visite, libre et payante, il justifierait à lui seul, selon la logique des concepteurs, l’accès payant aux autres sites qui, pour la grande majorité d’entre eux, était gratuit. Il sera pourtant fermé au public fin 2006, pour près de deux ans, pour restauration. Sans que ne soit rétabli l’accès gratuit au Jardin anglais avec ses fabriques, ni au Hameau de la reine avec ses maisonnées. Le seul endroit accessible qui le soit de manière inédite est une grotte minuscule. Cela fait cher la nouveauté.
Pour le reste, l’accès à « des lieux magiques » s’avère limité au seul droit d’y jeter un coup d’œil puisqu’une rambarde au seuil en empêche tout accès véritable. C’est le cas pour le petit Théâtre de la reine qui était accessible en visite-conférence sans avoir à payer en plus l’entrée au Domaine. Cette restriction se comprenait aisément compte tenu de sa fragilité. Alors, des lieux « trop peu connus » jusque-là ? Non, juste protégés parce qu’impropres à la visite de masse. Et pourquoi donc une accessibilité plus intelligible des lieux - qui se limite en fait à plus de publicité -, leur entretien, préservation et restauration, devrait-elle entraîner un surcoût pour le visiteur quand ce sont les missions mêmes du musée public ? Curieuse manière de prétendre rendre plus accessible un site en y dressant une barrière tarifaire.
« Faire revivre dans leur unité et leur cohérence » des lieux « attachés à Marie-Antoinette »... Ce qui est tu, c’est qu’on y trouve le le Grand Trianon. Et pour cause, il n’a historiquement rien à voir avec elle. Comment accorder encore un crédit scientifique à un tel projet ? Si des restaurations ont effectivement été menées sur certains éléments des jardins pour en retrouver leur état initial comme le vante l’information officielle, ce qu’elle tait encore, c’est ce qui n’est pas tout à fait d’origine, comme le Hameau. Malgré son sauvetage de la ruine en1953 grâce aux dons des Rockfeller, il est en grande partie le fruit des modifications et destructions datant de Napoléon. Comme les marbres intérieurs de la seule maisonnée (entr)ouverte, la Laiterie, disparus à la Révolution. Les jardinets attenants aux maisonnées ne sont que des re-créations datant de 1934, ce qui révolta tant Pierre de Nolhac.
Ainsi l’authenticité du domaine Marie-Antoinette est en grande partie un leurre, comme tous les lieux chargés d’histoire, fruits de mille et un réaménagements successifs. Pourquoi abuser le visiteur ? La comm’ qui donne à Marie-Antoinette une image de fashion-victim, sexiste et dépassée, permet, lui, de valoriser un marchandising associé au lancement du Domaine : la vente de son parfum, hors de prix. Pour la bonne cause, puisqu’il est proposé en souscription pour l’acquisition d’un meuble lui ayant appartenu. Peu importe que celui-ci ait été déjà acquis ! Cela confère une aura historique à la vente d’un produit qui n’est qu’une création inspirée des goûts de l’époque. L’argument de l’authenticité du produit jouant sur le faux-semblant est une pratique publicitaire bien connue. Problématique pour un établissement public qui devrait avoir pour mission de préserver l’historicité de ce qu’elle présente sans semer le doute. L’illusion se transforme en tromperie quand on découvre, sur les terres mêmes du Hameau, une vigne plantée il y a trois ans à des fins commerciales. Pour la bonne cause toujours.
Le but du lancement sur le marché culturel de ce pack Marie-Antoinette ne semble donc être que recherche d’argent frais au détriment d’une mise en lumière rigoureuse du patrimoine. Plutôt inquiétant. Et il est plutôt contradictoire de se vanter d’un côté de bénéficier toujours plus du mécénat privé, en sus des subventions d’Etat, et d’accroître toujours plus le prix d’entrée comme y succombe à son tour Versailles, pas seulement pour ce nouvel espace de visite. La logique d’une démocratisation culturelle qui fonde le musée en tant que service public, ne devrait-elle pas naturellement tendre à alléger au maximum la part financière supportée par le visiteur pour tendre vers la gratuité ?
Certes, si les études indiquent que le prix d’entrée n’est pas l’obstacle majeur à la venue au musée d’une partie réfractaire de la population, il n’en demeure pas moins évident qu’en augmenter toujours le montant ne peut pas non plus en faciliter l’accès. Et pourtant, c’est le contraire qui se passe, dans nombre de musées nationaux. Voilà bien les effets pervers du désengagement de l’Etat qui poussent les plus emblématiques d’entre eux à user des pratiques les plus contestables du secteur privé pour financer leur fonctionnement. Au prix de la mise en danger, morale puis matérielle, des œuvres. Inévitablement.
Bientôt donc le vin Marie-Antoinette ! J’ai déjà le slogan « le vin qui fait tourner la tête ». Trop fashion !
Cet article a déclenché un certain nombre de réactions, de personnalités et d’amoureux du Hameau.