15.07.08 | « SOULIGNER UNE IMAGE de démocratisation du château », c’est l’expression employée par Laurent Brunner, directeur de la filiale Spectacles du Château de Versailles, pour donner sens à ce « déjeuner sur l’herbe » [1] organisé le long du Grand Canal et voulu par le patron des lieux, Jean-Jacques Aillagon, comme un « rendez-vous républicain confraternel » dans un domaine dont il rappelle qu’il est avant tout national. Pourtant, depuis bien longtemps, le Domaine de Versailles n’est plus réservé à une élite distinguée mais plutôt livré, toute l’année, aux hordes de touristes venus du monde entier. Alors, démocratiser quoi ?
Un paravent buccolique pour faire oublier une politique tarifaire à l’opposé, justement, de toute démocratisation ? Avec un prix d’entrée ne cessant, depuis quelques années, d’augmenter ; la suppression d’espaces de gratuité comme, depuis 2006, les jardins du Trianon ; sans compter des spectacles pas spécialement bon marché [2]… élève Versailles : peut mieux faire ! D’autant que, paradoxalement, au temps des Rois, le Domaine était plus, à certains égards, la maison du peuple qu’aujourd’hui. Palais et jardins, accessibles à tous, sans payer, chacun pouvant venir y déambuler librement, à la seule condition de porter épée et chapeau. Ses actuels dirigeants qui se targuent, à grand coup de restitutions, de vouloir retrouver le Versailles d’Ancien Régime, feraient bien de s’en inspirer.
Ou alors, un pique-nique géant, certainement sympathique pour les mêmes qui aiment à s’entasser sur les plages l’été, résumé à une opération grand public pour faire parler de Versailles à tout prix ? Le nouveau directeur de Château de Versailles Spectacles [3] n’avoue-t-il pas vouloir « impulser une dynamique » en multipliant événements et spectacles avec l’ambition affichée de réunir 800 000 spectateurs pour toutes les manifestations en fin de saison [4] ? Démocratisation, dans l’esprit de cet entrepreneur, signifierait alors faire du nombre pour au bout du compte, faire du chiffre.
En ce sens, l’événement du 14 juillet 2008, a été, semble-t-il, un grand succès, on parle de 7000 à 10 000 participants [5]. Les participants, en ce jour de fête BBR, se virent distribuer une cocarde tricolore [6], la plupart ayant respecté le dress code : venir simplement habillé de blanc. Selon Laurent Brunner, le rouge était trop difficile à trouver dans sa garde-robe - plutôt trop Fête de l’Huma - et « le bleu [aurait fait] vraiment trop Versailles » - les Versaillais apprécieront - trop UMP selon nous. Restait le blanc. Classe pour un déjeuner sur l’herbe à Versailles, quoique salissant. « Pour que, visuellement, ce grand rendez-vous festif prenne de vrais allures de fête » selon la municipalité qui relaya l’information dans son magazine, confirmée par J.J. Aillagon. Curieux choix quand on sait que le blanc de notre drapeau national était précisément la couleur du roi, symbole de la monarchie ! Tout aussi ironique ou de mauvais goût que d’avoir choisi cette même date, 14 juillet, célébration de la prise de la Bastille, pour rouvrir une partie du Petit Trianon, demeure de prédilection de la reine Marie-Antoinette, victime collatérale de la Révolution.
Mais, devant un tel succès, le citoyen Aillagon, arborant lui-même la cocarde, l’a promis : la manifestation populaire sera reconduite l’année prochaine. D’ici là, pour bien rappeler que Versailles est à la Nation, pourquoi ne pas remplacer, dans les boutiques du château, toutes ces breloques monarkitsch par des bonnets phrygiens, des piques ?... Pourquoi ne pas commander à Jeff Koons, qui doit exposer prochainement à Versailles, une guillotine chromée ? Fantastique non, entre son homard géant et son caniche gonflable ?! Et en vendre, format porte-clefs, à la place de ces infâmes fleurs de lys…
Voir le reportage de FRANCE 3 : « Pique-nique géant au château de Versailles »
[1] L’appellation officielle était un « déjeuner sur l’herbe », pique-nique devant être jugé trop peuple, in « Défilé militaire et pique-nique républicain » par Mehdi Gherdane et Matthieu Suc, LE PARISIEN | 14.07.08.
[2] Spectacle sur le Bassin de Neptune : places de 35 à 85 euros. http://www.chateauversaillesspectacles.fr/
[3] Laurent Brunner, dans une autre vie, fut conseiller pour le spectacle vivant auprès de Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la Culture, les intermittents s’en souviennent.
[4] « Trois mois de fête au château » par Matthieu Suc, LE PARISIEN | 26.06.08.
[5] EUROPE 1 donne ces chiffres sans citer ses sources, probablement fournis par les dirigeants du Domaine.
[6] « Sept à dix mille personnes pour un »pique-nique« géant au château de Versailles », AFP | 14.07.08.