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Karl Lagerfeld épingle Versailles

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Bernard Hasquenoph | 6/07/2008 | 13:22 |


L’homme au catogan expose au château de Versailles des photos sans autre intérêt que d’en être l’auteur, sur invitation de son président Jean-Jacques Aillagon décidément très bling bling

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Sur les grilles du Château de Versailles
© Louvre pour tous

06.07.08 | UNE SUCCESSION DE CLICHÉS, jamais expression n’aura été si justifiée pour qualifier une exposition de photographies. Au propre comme au figuré. Car, même pour ceux qui apprécient les réparties pleines d’esprit de Kaaaarl, qui rient aux facéties parfois ridicules de cet hyper-people, qui admirent le redoutable homme d’affaires sous les verres fumés ou qui s’émerveillent encore de ses talents de D.A. of CHANEL, bien forcé de reconnaître ici la valeur plutôt faiblarde de sa production photographique. Chaque année, des milliers d’amateurs exposent des clichés semblables sur les murs des MJC sans qu’on en entende parler. Mais n’est pas Karl qui veut, c’est là toute la différence.

Le Versailles noir & blanc que Kaaaarl nous propose, censé être, selon le dossier de presse, « une vision décalée et personnelle du Château, une vision cinématographique dans laquelle la lumière et les perspectives nous plongent dans un univers à part, presque irréel » est en réalité d’une banalité confondante et d’un classicisme pauvrissime. Des prises de vue que tous les amoureux des lieux ont un jour réalisées et réalisent à l’infini : perspectives minérales des bâtiments, reflets dans l’eau des bassins, allées rectilignes, statues sur ciel nuageux... Karl n’y amène rien de plus et fait, à l’évidence, moins bien que d’autres.

Le luxe des tirages - « sérigraphies à l’ancienne » sur papier velin - et le dépouillement très haute couture de la présentation - ni cadre, ni verre, photos juste épinglées sur des murs gris « pour que le public puisse apprécier l’effet de matière, le grain du papier... » - ne peuvent faire oublier l’absence d’originalité des sujets, s’ils ne révèlent plutôt, paradoxalement, dans toute sa nudité, le maigre talent de l’auteur, fut-il Karl Lagerfeld himself [1].

LA PHOTO ENFIN A L’HONNEUR
Pourtant, ouvrir à l’art photographique le plus beau des palais, plus habitué des expositions de peinture aux cadres aussi dorés que les plafonds, est une lumineuse idée, la sobriété des appartements de Madame de Maintenon s’y prêtant parfaitement. D’autant que, comme feint de l’ignorer le service communication du Château, Versailles est certainement le site historique le plus photographié au monde - pas que par les touristes - ce, dès la naissance du procédé technique, et sous toutes les coutures.

Non vraiment, rien d’inédit dans le regard de Karl qui, comme tous les amateurs de la chambre noire, loin des ors et du marbre qui subjuguent les badauds, a plutôt succombé au charme ensorcelant d’un Versailles désert et fantômatique, tragique et mystérieux [2]. Un « anti-clinquant » comme il le qualifie lui-même en homme de goût qu’il est sans conteste, qui fait s’étonner quelques journalistes qui, devant l’exubérance du personnage, s’attendaient à une vision de Versailles plus à la Versace. Si le ton est sobre et austère, comme l’est en fait notre « Kaiser de la mode », ce n’est que la pâle copie de ce qui a été, avant lui, maintes fois éprouvé sur la pellicule.

Pour preuve, le Grand Palais, à Paris, garde la mémoire d’une exposition organisée, en 1982, par la direction du Patrimoine au ministère de la Culture, intitulée « VERSAILLES, PALAIS D’IMAGES » qui présentait plus de 200 photographies d’auteurs différents, mettant en scène parc et palais, la plus ancienne datant de 1852. Son catalogue [3] offre ainsi les vues premières et émouvantes d’un Achille Quinet et d’un Louis Robert inconnu de nous, puis celles déjà géométrisantes d’Eugène Atget vers 1900, les visions fulgurantes de Steichen - comme « Nocturne Orangerie Staircase » - ou de Meyer dix ans plus tard, les photos très construites des années 40-50 d’un Jahan ou d’un René Jacques, puis celles graphiques de Bernard Descamps dans les années 70, celles évanescentes et poétiques de Bruno Requillart ou Deborah Turbeville en 1980... tant d’autres... Jusqu’à aujourd’hui où le site inspire toujours et toujours, sans jamais cesser. C’est justice qu’enfin la politique culturelle du domaine de Versailles rende grâce à un art qui n’a cessé de le magnifier, de le rêver et de le fantasmer.

Dans l’univers contemporain de la photographie, on ne voit qu’un Martin Parr [4] capable de poser un regard réellement inédit et décalé sur ce joyau haut lieu touristique. Mais la vision consumériste qu’il pourrait en rapporter ne collerait pas avec la stratégie de communication haut-de-gamme - en apparence seulement - voulue par le Château, pour mieux masquer, sans doute, le mercantilisme de plus en plus prononcé de ses dirigeants.

AILLAGON PATRON BLING BLING
Ici, donc, pour inaugurer ce qui devrait se renouveler avec des expositions, nous l’espérons, de meilleure qualité, Karl Lagerfeld fait figure de privilégié quand tant d’autres auraient cent fois plus mérité d’y être accroché [5].

Car Karl raconte lui-même l’origine du projet. Un amoureux de Versailles parmi d’autres qui, de par sa position, possède ses entrées. Souhaitant seulement photographier en paix le domaine, il obtient du maître temporaire des lieux, le passe-droit dont beaucoup rêveraient : s’y promener en dehors des heures d’ouverture au public. En familier, Jean-Jacques dit à Karl : « Tu es ici chez toi » [6]. Durant plusieurs mois, Karl arpente les lieux, certainement accompagné d’un de ses assistants puisque, comme le montre le reportage vidéo ci-dessous, Kaaaarl se révèle incapable ne serait-ce que de changer une pellicule dans un boîtier. Peut-être, loin des foules, va-t-il jusqu’à oter ses lunettes noires, ce qui est recommandé pour prendre des photos.

L’idée d’une exposition reviendrait donc à Jean-Jacques Aillagon lui-même... le fait du Prince. Karl ne semble pas s’y être opposé. Mais comment le blâmer ? il aurait été bien sot de refuser de telles cimaises, qui plus est, à la mesure de son ego. Sa seule exigence ? ni cadre, ni verre. Jean-Jacques Aillagon, dit-il, s’est ensuite occupé de tout. S’auto-proclamant commissaire d’exposition en plus de patron du domaine - on ne sait au nom de quelles compétences -, Jean-Jacques a retenu avec Karl les 40 clichés exposés. Et au final, Karl est ravi comme il le confie aux caméras lors de la présentation à la presse, arborant ostensiblement sur sa cravate noire, une grosse fleur de lys argenté [7]. Irrésistible Karl !

Jean-Jacques Aillagon est-il dupe de la piètre qualité des oeuvres exposées ? qu’importe, exploiter la notoriété internationale de Karl Lagerfeld en l’associant à celle de Versailles est sans conteste un bon coup publicitaire pour l’établissement qu’il gère. De ce point de vue, l’opération est réussie. Comme il se doit, les médias couvrent l’événement. Quoi que fasse Kaaarl... presse et télé sont au rendez-vous pour répercuter, en une espèce de copier-coller complaisant, la bonne parole mâchée par le dossier de presse.

La palme revient à Paris-Match [8] qui nous conte, sous la plume guillerette d’Agathe Godard qui siet à sa rubrique mondaine, le « vernissage chic à Versailles » de ces « magnifiques photos » de Kaaaarl, entouré de Caroline et de Ernst August de Hanovre, de Philippine de Rothschild, de dirigeant de CHANEL, sponsor de l’exposition, ou d’Hélène Arnault, femme du milliardaire de LVMH, discourant avec Valentino et s’avouant « fascinée par le regard nouveau porté sur Versailles »... Ce soir-là, un parfum de courtisanerie flottait à nouveau dans des lieux qui en ont connu tant, avant que ce beau monde ne finisse sordidement le cou sur l’échafaud...

Devant tant de mécènes potentiels au mètre carré réunis, Jean-Jacques Aillagon et Pierre Arrizoli-Clementel, directeur général du Château, pouvaient bien pavoisés en se déclarant « fiers de cette exposition ». Avec la médiatisation, c’était certainement le second but recherché. Peu importe le vin, pourvu qu’on ait l’ivresse. Cela se confirme de jour en jour. Telle est la stratégie « culturelle » d’Aillagon en patron de Versailles : bling bling, fric et frou frou. Dans l’ère du temps.

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:: Bernard Hasquenoph | 6/07/2008 | 13:22 |

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EN COMPLÉMENT



Quelques unes de ses photos exposées


VERSAILLES A L’OMBRE DU SOLEIL
PHOTOGRAPHIES DE KARL LAGERFELD
jusqu’au 7 septembre 2008
Château de Versailles
Appartements de Madame de Maintenon
Exposition ouverte tous les jours, sauf le lundi, de 9h à 18h30
Visite incluse dans le circuit des Grands Appartements
Droit d’entrée : 13,50 € (visite du château + exposition), tarif réduit : 10 €


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NOTES

[1] Le Château de Versailles, pour justifier - et comme pour s’excuser - d’exposer une sélection de photographies d’un Karl Lagerfeld connu avant tout dans l’univers de la mode, fait état de son prétendu « talent de photographe » reconnu, « ses images, publiées dans de prestigieux magazines de mode » ayant fait « le tour du monde » depuis qu’il a décidé, en 1987, de créer lui-même les visuels des campagnes publicitaires de la maison CHANEL dont il est Directeur Artistique. Soit, mais la production de photos publicitaires qui nécessitent le concours de nombreuses personnes, comme on le voit d’ailleurs dans le film récent qui lui a été consacré - LAGERFELD CONFIDENTIEL de Rodolphe Marconi - n’ont que peu à voir avec une production personnelle et purement artistique. Qu’il ait commis plusieurs expositions, publié plusieurs livres, qu’il soit l’invité d’honneur de manifestations comme les Transphotographiques de Lille dernièrement et que ses photos se vendent, parait-il, fort cher, asseoit-il nécessairement un talent ? En serait-il de même s’il ne jouissait pas de sa notoriété et fortune ? Pour nous, Karl Lagerfeld photographe reste un amateur, parfois bon, avec des moyens colossaux. A chacun de juger.

[2] « Je suis à l’aise avec les fantômes, répond le créateur, qui rappelle que ce haut lieu des fêtes légères est aussi un endroit grave où se sont passées des choses tragiques » in « Lagerfeld, le promeneur de Versailles », LE FIGARO | 10.06.08.

[3] « Versailles, Palais d’Images - Photographies 1852-1982 », éd. Association Française pour la Diffusion de la Photographie, 1982.

[4] Martin Parr, né en 1952, est un photographe britannique qui a acquis une renommée internationale en explorant la photo dite documentaire, posant avec ironie son regard sur la société de l’ère tatchérienne, dénonçant à travers elle nos civilisations consuméristes. L’un de ses derniers livres a pour thème le tourisme de masse : « Petite planète », éditions Hoebeke, 2008. En outre, il a produit dernièrement un travail de commande sur l’univers « merveilleux » de DISNEYLAND PARIS, ce qui était plutôt audacieux et « risqué » pour ce parc de loisirs compte tenu du style de Martin Parr. Hélas, on ne retrouvait pas, dans les quelques photos exposées ensuite dans le magasin COLETTE, à Paris, le ton mordant qui fit sa célébrité. Site officiel de Martin Parr www.martinparr.com

[5] On comprend l’amertume du photographe Jean-Louis Soularue qui, sur le Net, dès qu’il l’a pu, a laissé, non sans humour, le commentaire suivant : « Je ne m’appelle pas Karl Lagerfeld, pourtant en 1999, j’ai signé un livre de photos noir et blanc intitulé VERSAILLES, LES JARDINS DE L’ESPRIT, éditions Subervie. » Voir sur son site www.soularue-photo.com. Ses photos mériteraient amplement une exposition à Versailles.

[6] « Lagerfeld, le promeneur de Versailles », LE FIGARO | 10.06.08. On ne peut s’empêcher de penser à Pierre de Nolhac qui présida aux destinées du domaine dans les années 1900 conférant le même privilège au dandy Robert de Montesquiou, modèle du Charlus de la Recherche de Marcel Proust, figure du Tout-Paris dont le ridicule hautain faisait la joie des caricaturistes, qui se vivait en grand poète quand sa production littéraire était des plus mauvaises mais faisait se pâmer la haute société de ses amis. Si Lagerfeld, par certains côtés, fait justement penser à Montesquiou, le seul point commun d’Aillagon avec de Nolhac, humaniste, érudit et sauveur de Versailles, est d’en être simplement le patron.

[7] « Versailles : sous toutes les coutures », M6 INFO | 10.06.08. Voir l’interview en vidéo.

[8] « La vie parisienne » par Agathe Godard, PARIS-MATCH n°3083 du 19 au 25 juin 2008.



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