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ART INFO :: 8 sept. 2011 :: Coupable, John Galliano écope d’une amende...
04.09.11, actualisé le 08.09.11 | LE BAL DES FAUX-CULS, on ne peut mieux dire. Il y a cinq ans, John Galliano était le roi de Versailles. C’était le 2 juillet 2007. Pour les soixante ans de la prestigieuse maison Christian Dior, le groupe propriétaire LVMH avait loué rien moins que l’Orangerie du château afin de présenter sa collection automne-hiver. Une apothéose dans la carrière de celui qu’on appelait alors le génie de la mode, directeur de la création depuis dix ans de l’une des maisons de haute couture françaises les plus connues au monde. Devant un parterre d’un millier d’invités choisis, le défilé intitulé le Bal des artistes présenta quarante-cinq robes éblouissantes portées par les mannequins les plus célèbres du moment et inspirées de grands maîtres de la peinture. Une fête s’en suivit jusqu’à l’aube (voir vidéo ci-dessous).
L’une de ces robes, inspirée du peintre Fragonard, se retrouve aujourd’hui exposée dans le même domaine de Versailles ainsi que deux autres créées par le couturier britannique pour la maison Dior entre 2004 et 2011. A l’autre bout du parc, le Grand Trianon accueille une exposition qui montre la source d’inspiration que le XVIIIème siècle continue de susciter chez les couturiers d’aujourd’hui. Mais à la différence de ses confrères largement cités - Karl Lagerfeld pour Chanel, Nicolas Ghesquière pour Balenciaga, Alexander McQueen pour Givenchy, Olivier Theyskens pour Rochas -, lui n’a droit à aucune mention de son nom. Nulle part. Ni sur les cartels, ni dans le dépliant distribué à l’entrée, ni sur le site Internet du château, ni même dans le dossier de presse. Comme s’il n’avait jamais existé. C’est d’autant plus absurde que, s’il est un couturier inspiré par l’histoire du costume et de la mode, c’est bien John Galliano, que l’on aura vu habillé parfois lui-même en néo marquis trash comme dans cette série de photos parues en 2004 dans le magazine The Face. Le sujet était titré The Return of the King. Aujourd’hui le roi est déchu.
DES MOEURS D’ANCIEN RÉGIME
Ici, à Versailles, ses magistrales oeuvres en soie, moire ou tulle sont signées d’un laconique Maison Christian Dior [1]. Point. Une totale hypocrisie liée sans doute au fait que John Galliano a été éjecté de la maison Dior en février dernier pour avoir proféré, saoul et à plusieurs reprises, des injures antisémites à la terrasse d’un café parisien. Des propos ignobles qui lui ont valu d’être condamné par le tribunal correctionnel de Paris à 6 000 euros d’amende avec sursis le 8 septembre 2011, une attitude pathétique qui justifient sans doute que la prestigieuse entreprise ait souhaité rompre tout contrat avec lui, fut-il artistiquement génial. Toujours est-il que ses créations demeurent, comme son talent. La preuve, on estime ses robes dignes d’être exposées dans un lieu aussi emblématique que Versailles. Alors, comment peut-on effacer son nom ? Un déni de réalité ridicule, sans respect ni pour le créateur ni pour le visiteur. Des moeurs d’Ancien Régime.
Mensonge par omission, c’est de plus une entorse flagrante à la déontologie muséographique qui, comme le rappelle l’ICOM dans sa charte, impose que les informations présentées dans les expositions soient fondées et exactes (article 4.2). Un minimum vis-à-vis du public. Evidemment, il n’y a pas mort d’homme comme dirait l’un mais c’est tout de même signifiant comme dirait l’autre. Une omerta acceptée par les commissaires d’exposition - mais avaient-ils seulement le choix ? -, en premier Olivier Saillard, passionnant historien de la mode et directeur du musée Galliera, organisateur de l’expo sur demande du Château de Versailles. Ce musée, propriété de la Ville de Paris, est directement sous la tutelle de Christophe Girard, adjoint à la culture de Bertrand Delanoë et par ailleurs directeur de la stratégie de LVMH, branche mode et maroquinerie, information intéressante à rappeler dans le contexte [2]. Une omerta partagée sans complexe par le staff de l’établissement public du Château de Versailles, à commencer par son encore président Jean-Jacques Aillagon, ex-ministre de la Culture qui ne trouve rien à redire à cet acte d’autocensure, imposé certainement par la maison de haute couture qui prête ces robes pour l’occasion.
LA PRESSE AVEUGLE ET MUETTE
Mais plus étrange encore, c’est le silence de quasi toute la sphère médiatique en France qui, elle non plus, n’a pas moufté dans ses articles promo de l’expo. Difficile de croire que les professionnels de l’info n’aient pas tilté à cette absence de référence, surtout les spécialistes mode, quand la mythique (et réputée incorruptible) Suzy Menkes dans le New-York Times cite naturellement, au sujet de cette expo, la « wilder John Galliano creation ». En France, est-ce de l’incompétence, de la négligence - on recopie le dossier de presse sans se poser de questions - ou de la complaisance vis-à-vis du groupe LVMH premier annonceur publicitaire ? On l’a bien vu lors de l’exposition Vuitton, autre de ses marques, au musée Carnavalet fin 2010 où le déni de réalité était encore plus flagrant comme tout aussi assourdissant le silence de la presse à ce sujet. Il est bon de signaler que, pour les mêmes raisons, il a été dit qu’aucun média français n’avait voulu acheter la fameuse vidéo où l’on voyait et entendait John Galliano proférer ses injures antisémites. Celle-ci sera finalement diffusée en Grande-Bretagne par The Sun, ce qui précipitera sa chute, avant d’être reprise ensuite par tous les médias du monde.
Des robes créées par John Galliano dans l’exposition de Versailles ? L’Express Styles, partenaire média de la manifestation et co-organisateur d’un concours dont on reparlera plus loin, l’ignore royalement. Tout comme l’hyper-fashion Vogue Paris, également partenaire et réalisateur de petites vidéos autour de l’expo qui n’en disent mot. L’experte mode du Figaro Madame, dans son papier, fait comme si elle n’avait rien vu [3]. Tandis que, plus étonnant encore, Le Monde qui, dans un premier court article du service culture, l’ignore ostensiblement, comme un mois plus tard la critique signée de la journaliste pourtant confirmée Florence Evin. Enfin, spécial dédicace - comme toujours - à l’AFP qui a réussi l’exploit d’évoquer précisément la robe Fragonard de Galliano du nom du mannequin qui la porta lors du fameux défilé de Versailles de 2007 mais sans citer celui de son créateur [4].
En France, l’honneur de la profession est sauf grâce à deux magazines - on n’a trouvé que ceux-là, peut-être d’autres nous auront échappé -, celui qu’on attendait peut-être le moins, Paris Match sous la plume de Pauline Delassus et Télérama par Xavier de Jarcy. Néanmoins, aucun de ces deux journalistes ne relève, ni ne s’interroge sur cet effacement du nom de Galliano. Sinon, on retrouve le communiqué promotionnel du Château de Versailles un peu partout, tel quel, sans travail journalistique ni précision de source, sur les sites de France Inter, de France 2 (signé d’une journaliste maison !) ou même de France Culture, pratique du copier-coller intégral qui se multiplie sur les plateformes Internet de prétendue information. Même silence sur le site culture.fr du ministère où, pourtant, l’on tombe directement sur une robe Galliano en en-tête de l’article consacrée à l’expo, comme sur le site du magazine Connaissance des Arts, propriété de LVMH.
LE MUSÉE COMMUNICATION
Ce qui nous choque, ce n’est pas que LVMH décide de se démarquer de John Galliano - libre au groupe de communiquer comme il l’entend sur ses marques - mais qu’un musée public accepte le déni et que la presse se taise. Est-ce le rôle d’un établissement, qui plus est national comme Versailles, de se plier au diktat de la stratégie de communication d’une entreprise privée ? Car il y a des précédents. On a déjà cité l’exposition Vuitton au musée Carnavalet qui occultait le passé collabo de la maison Vuitton durant la Seconde guerre mondiale et taisait l’origine la plus probable de la fameuse toile Monogram, à savoir les motifs des carreaux de faïence de la cuisine familiale d’Asnières, pour divaguer autour d’une inspiration japonisante et médiévale beaucoup plus chic. Le seul livre évoquant ces deux sujets était ni plus ni moins interdit dans la librairie du musée municipal parisien ! L’Histoire pour LVMH, c’est un peu ça, revisitée, à son service, édulcorée de toutes les scories de la réalité qui pourraient nuire à son image et à sa force de vente. Ce qui, à notre avis, constitue une grossière erreur de communication.
Même si, dans le cas de l’exposition de Versailles, c’est le musée Galliera qui a sans doute sollicité la maison Dior pour y participer, le groupe de luxe a compris tout l’intérêt qu’il pouvait tirer du fait d’être exposé dans un musée à l’instar d’autres sociétés pionnières en la matière comme Breguet du groupe Swatch. Valoriser l’aspect patrimonial de ses marques fait désormais partie de sa stratégie commerciale. LVMH commence à multiplier les initiatives en ce sens à travers le monde, à chaque fois dans des zones clefs pour son développement. Après Paris, Vuitton a exposé à Pékin, au musée national de Chine, ce pays devenant le premier marché pour les produits de luxe au monde, ce dont n’ont pas été dupe certains chinois choqués de voir dans ce musée consacré à la propagande du régime une opération purement commerciale. Au même moment, Dior s’exposait au musée Pouchkine à Moscou, « instaur(ant) un dialogue entre ses créations et des œuvres d’art » dixit Le Figaro. En France, en octobre, LVMH organisera des journées portes ouvertes dans ses lieux « patrimoniaux » (ateliers, chais, hôtels particuliers, demeures familiales, boutiques historiques...), la manifestation gracieusement intitulée Les Journées Particulières ayant pour but de cultiver l’image du tout artisanat de sa production. Ce qui n’est plus tout à fait vrai, sinon comment LVMH aurait-il pu devenir le premier groupe de luxe au monde ? Une opération de communication savamment calibrée, déjà complaisamment relayée par l’AFP, une fois de plus sans aucun recul journalistique, comme par nombre de sites d’information.
Si l’établissement public du Château de Versailles s’est ainsi rendu complice d’un déni de réalité en acceptant d’effacer le nom du créateur John Galliano de son exposition du Grand Trianon pour plaire à Dior, c’est peut-être parce qu’au même moment l’entreprise se payait le luxe d’investir la Galerie des Glaces, théâtre de la nouvelle campagne publicitaire de son parfum J’adore qui va inonder nos écrans avec comme héroïne la sculpturale Charlize Théron (voir vidéo ci-dessous) [5]. Une première pour cet espace emblématique du château n’ayant jamais été loué que pour des tournages de films de fiction. Mais qu’est-ce que l’éthique face à l’argent roi ? Pfff.
LE XVIIIe AU GOÛT DU JOUR
L’exposition, comme le précise son dépliant, est « un face-à-face poétique » entre des objets de mode de cette époque raffinée (réservés à une élite) et d’autres de nos XXe et XXIe siècles (pour une autre élite). La plupart des robes et habits sont magnifiques, la scénographie est sobre et imaginative (les miroirs circulaires placés aux pieds des mannequins permettent d’en voir tous les dessous). On est content de retrouver à Versailles Karl Lagerfeld pour ce qu’il sait faire, des robes, plutôt que des photos sans autre intérêt que leur auteur que Jean-Jacques Aillagon, à peine arrivé à Versailles, avait imposées dans une exposition. Une agréable promenade donc, mais sans vraiment de réflexion autour du sujet proposé, cantonné à des questions d’ordre esthétique. De fait, la « signalétique (y est) indigente, ne permettant pas de distinguer (sauf par l’oeil !) le nouveau de l’ancien » comme le fait remarquer Juliette Elie sur le site even.fr qui regrette également que « les tableaux dont les modernes se sont inspirés » n’aient pas été reproduits. Dans le même ordre d’idée, on regrettera l’absence de reportages photo tels qu’on peut en trouver dans les journaux mode s’inspirant souvent du XVIIIè, par le décor, l’ambiance, etc. Et c’est vrai qu’ici tout est mélangé, ce qui fait le charme et l’intérêt du propos certes, mais cela devient gênant quand on cherche à connaître l’origine des accessoires présentés dans des vitrines pas éclairées et que l’on est obligé de retourner sur ses pas pour lire le cartel correspondant dans la semi-obscurité dans laquelle est plongé le Grand Trianon.
Car c’est là le paradoxe de l’événement. M. Aillagon ne s’en est pas caché, c’est une exposition-appât destinée à faire venir le public dans ce coin du domaine moins fréquenté que le château - il faut dire que c’est fermé le matin toute l’année, même les jardins ! - encore que ce soit tout relatif puisque nombre de musées se contenterait des 700 000 visiteurs officiels du Grand Trianon bien que le chiffre soit certainement gonflé. Que cette exposition puisse y attirer le public est fort possible compte tenu de la fascination pour la mode - l’AFP, dans un reportage promo (voir ci-dessous), évoque 40% de visiteurs en plus, sur la seule foi des dires de la com’ du château suppose-t-on -, mille fois plus, à notre avis, que les expositions d’art contemporain, si tant est que le visiteur ne soit pas rebuté par le prix d’entrée de cette zone du domaine fort cher puisqu’à 10€. Mais si rien ne vient gêner la circulation des lieux (comme ce fut le cas lors de l’exposition Trônes en majesté dans les Grands Appartements du château), la fragilité des tissus a contraint de plonger les pièces dans une semi-obscurité inhabituelle ici qui empêche de les voir dans tout leur éclat. Pour les personnes vraiment intéressées par les lieux, il faudra donc revenir une fois l’exposition terminée, également pour pouvoir y prendre des photos comme c’est le cas normalement puisque, autre dommage collatéral de cette exposition, elles sont interdites durant toute sa durée, ce qui oblige les pauvres agents de surveillance à interpeller sans cesse les visiteurs. C’est pour cette raison que le concours-photo organisé par le château, le magazine L’Express Styles et le Bon Marché propose de récolter, non pas des photos in situ, mais des mises en scènes de soi-même inspirées par le XVIIIème, ce qui est d’ailleurs cent fois plus créatif (depuis la publication de cet article, la page d’accueil du concours a, de manière assez subversive, inclu une photo de John Galliano et un lien vers celles parues dans The Face).
Enfin, s’il n’est pas choquant de voir ces objets de mode dans ces décors anciens, il est tout de même amusant de remarquer que, traitant d’un siècle précis, le XVIIIème, l’exposition est présentée dans le lieu qui y fait le moins référence à Versailles puisque le Grand Trianon, construit sous Louis XIV (les lambris blancs et les peintures en témoignent), est meublé aujourd’hui dans un style Empire et Louis-Philippe. C’est donc, sans doute, l’endroit le moins XVIIIe de tout le domaine ! S’il eût été difficile de présenter l’exposition au Petit Trianon, ce qui aurait été parfait, de par l’exiguïté des pièces, il aurait été finalement plus cohérent de le faire dans les Appartements de Mesdames, au rez-de-chaussée du château, à l’écart du circuit de visite sur-fréquenté des Appartements royaux. Les commissaires d’exposition ont contourné le problème, en trouvant des résonances non pas avec le style décoratif des pièces mais avec leurs ambiances et couleurs, ce qui, du reste, est très réussi. Dernier détail : on se demande s’il était du meilleur goût de présenter la plupart des mannequins... sans tête. A Versailles.
Exposition présentée au Grand Trinaon jusqu’au 9 octobre 2011
Ouvert, sauf le lundi, uniquement l’après-midi, au tarif plein de 10€, tarif réduit de 6€. + d’infos...
Le ridicule ne tue pas la « maison » D, les modèles présentés sont si caractéristiques du talent de Galliano qu’il n’est pas besoin de le citer ! Qu’était la « maison » D avant Galliano, un couturier à mémère, que sera t’elle après ??????
merci pour cet article ! je sors de l’expo et j’etais scandalisee de voir Galliano effacé de telle façon : au moins je constate que quelqu’un d’autre l’a remarque et en parle !
[1] Tel que cela est présenté dans le dossier de presse : Dans la Chambre de la Reine des Belges : robe inspirée par Fragonard en taffetas de soie rose changeant voilée de tulle rose dragée (Maison Christian Dior - Collection haute couture Automne / Hiver 2007-2008), robe en soie vert pâle brodée et tulle en dégradé de blancs (Maison Christian Dior - Collection haute couture Printemps / Été 2011) / Dans le Salon des malachites : robe en moire et velours rouge, broderies bleues et blanches (Maison Christian Dior - Collection haute couture Automne / Hiver 2004-2005).
[2] Olivier Saillard citera malgré tout courageusement le nom de Galliano dans une dépêche de l’Associated Press mais, à notre connaissance, ce sera la seule fois puisque, dans les reportages où il apparaît, même en commentant les robes Dior, jamais il ne cite le nom de Galliano, encore une fois à la différence d’autres couturiers : « Cette exposition montre »comment le XVIIIe revient avec périodicité au XIXe et XXe siècles« , souligne Olivier Saillard. »Beaucoup de créateurs ont des familiarités évidentes avec le XVIIIe siècle comme Christian Lacroix, Vivienne Westwood ou John Galliano (ancien Dior, NDLR) mais aussi des créateurs au style plus épuré comme Yohji Yamamoto.« , in »Quand la mode du XVIIIe dialogue avec les créateurs contemporains", AP | 07.07.11 / Que le musée Galliera soit directement sous la tutelle de Christophe Girard est une information notamment rapportée par le site bien informé artclair.com.
[3] Le nom de Galliano est néanmoins cité dans le diaporama, mais sur le site Internet figaro.fr.
[4] « Les habits de cour sont ressuscités par la maison Christian Dior, avec la robe »Doutzen Kroes« , inspirée par Fragonard, en taffetas de soie et tulle rose dragée, de même qu’avec une robe de velours brodé rouge et d’hermine. », in « A Versailles, les robes d’hier et d’aujourd’hui se font face » par Marjorie Boyet, AFP | 07.07.11.
[5] « Deux cents figurants dans la galerie des Glaces du château de Versailles, Jean-Jacques Annaud derrière la caméra, la comédienne Charlize Theron vêtue d’une robe en or… Pour son dernier spot publicitaire, présenté début septembre, Dior n’a pas lésiné sur les paillettes. « Tout cela a dû leur coûter une dizaine de millions d’euros », estime un professionnel. Le budget d’un long-métrage pour une minute et demie de réclame ! » CAPITAL | 21.11.11.