03 & 05.04.09 | « LA GRATUITÉ TOTALE, J’Y SUIS HOSTILE ». Henri Loyrette, pdg du Louvre, le déclare tout de go cette semaine à Paris-Match, puis ajoute en subtil courtisan qu’il sait être : « Je comprends et approuve la gratuité pour les moins de 26 ans » [1]. Que ne l’a-t-il mise en place de lui-même depuis huit ans qu’il dirige le paquebot Louvre qui, de tous les musées de France, est sans aucun doute le plus riche ! Faut-il rappeler que l’administration qu’il dirige a eu la mesquinerie de supprimer en 2004 la gratuité pour les étudiants d’art à l’étranger sans que, malgré nos protestations, elle n’accepte de revenir sur sa décision minablement discriminatoire [2]. Il fallut attendre 2008 pour que la commission de Bruxelles saisie, selon nos informations, d’une plainte d’un citoyen français contraigne le Louvre à faire bénéficier de la gratuité tous les étudiants d’arts de l’Espace économique européen [3], information corrigée sur un dépliant disponible au musée mais toujours pas sur son site web pourtant plus logiquement accessible de l’étranger (rectifié suite à cet article).
Aussi voir ces grandes institutions parisiennes rivaliser aujourd’hui d’imagination pour fêter la gratuité Djeun voulue par le Président ne manque pas d’ironie, alors que, de tous les musées de France, ils sont certainement les plus réfractaires à ce principe qui, pourtant, a fondé la création du muséum sous la Révolution française. N’en déplaise à M. Loyrette, le Louvre, premier d’entre eux, a historiquement la gratuité dans les gènes depuis sa création en 1793, gratuité pour tous conservée intégralement jusqu’en 1922 [4] !
Si à peu près tous menaient, depuis plus ou moins longtemps sans dépasser cinq ans, des actions gratuites ciblées Jeunes [5], ce qui était une excellente chose, une récente étude du CREDOC a montré toute la limite de ces nocturnes qui n’attiraient au final que les plus « privilégiés » d’entre eux, à savoir les étudiants qui ne constituent pas, loin s’en faut, l’ensemble de la jeunesse. Ces initiatives, certainement méga-over-chouettes pour ceux qui en profitaient, restaient pratiquement sans effet sur les jeunes employés et ouvriers, échec cinglant en terme de démocratisation culturelle [6].
Mais ces happys hours culturelles contentaient semble-t-il ses organisateurs. N’étaient-elles pas conçues de manière à n’attirer que les étudiants, comme par exemple le clamait explicitement le musée d’Orsay et, en cela, ne révèlaient-elles pas une certaine frilosité, voir une peur, de la part de ces nobles institutions à voir débarquer, sinon, des hordes de sauvageons. Est-ce pour cette raison que pas grand chose sinon rien, à notre connaissance, n’était tenté pour y faire venir les autres jeunes... les plus nombreux... par exemple ceux issus des banlieues si nombreuses autour de Paris ?
Mais bon, ces événement avaient au moins le mérite d’exister et ces initiatives l’audace d’être tentées. Merci le Louvre, merci Orsay. Contrairement à leur frère, le Centre Pompidou qui, étrangement, était peut-être le seul grand établissement culturel national à ne rien proposer jusque là comme événements gratuits pour les Jeunes alors que sa création, en 1977, avait posé la question de la gratuité pour tous. Nada [7].
Aussi est-on heureusement surpris de constater qu’il se convertisse aujourd’hui à la gratuité avant autant de facilité et d’ardeur, se révélant le plus imaginatif et le plus communiquant d’entre ses collègues pour le démarrage, le 4 avril, de l’offre sarkozienne. T’inquiètes, Pompidou, samedi soir tu passeras à la télé ! Genre de ses animations festives : « Speed Dating, deux minutes trente avec Sylvia, où comment aller à la rencontre du Portrait de femme d’Otto Dix » ou « Ça craint, un quart d’heure pour dire non avec Picabia et Brauner »... Trop délire... top cool... mais grave hypocrite t’as vu ! Bonne fête à tou-te-s...
Événements dans des musées parisiens le 4 avril 2009 pour fêter la gratuité des 18-25 ans : cliquez ici
[1] PARIS MATCH n°3124, du 2 au 8 avril 2009.
[2] Le 1er septembre 2004, la direction du Musée du Louvre modifia sa politique tarifaire. Des gratuités catégorielles furent supprimées sans aucune concertation avec les intéressés : artistes, enseignants, étudiants d’arts en France de plus de 26 ans, étudiants d’art à l’étranger, critiques d’art. Face à la mobilisation de nombreuses organisations dont Louvre pour tous qui naquit à cette occasion, elle recula trois mois plus tard réintégrant dans leurs droits les seuls artistes et critiques d’art.
[3] L’Espace économique européen (EEE) regroupe les pays de l’Union européenne, la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein.
[4] Créé sous la Révolution française, en 1793, le musée du Louvre instaura la gratuité pour tous comme principe fondateur. Ce droit perdura jusqu’en 1922 où il fut supprimé en partie après trois décennes de débat. Ensuite, il n’eut plus cours que le jeudi après-midi jusqu’en 1927 et tous les dimanches jusqu’en 1990 où il fut supprimé par le ministre de la Culture Jack Lang. En 1996, Philippe Douste-Blazy en rétablit le principe, restreint au premier dimanche du mois, mesure applicable à tous les musées nationaux. Dernier symbole de sa gratuité originelle, il l’est encore tous les 14 juillet.
[5] Dispositifs avant la gratuité accordée aux jeunes de 18-25 ans : le Louvre, pilote en la matière, proposait un nocturne gratuit pour les moins de 26 ans tous les vendredis à partir de 18h depuis février 2004. En 2006, les nocturnes jeunes du Louvre ont attiré 100 000 visiteurs. En outre, le musée propose la carte Louvre Jeunes à 15€, tarif inchangé depuis sa création en 1996 (Sources : « Projet d’expérimentation pour la gratuité des musées » ministère de la Culture | 23.10.07).
Le musée d’Orsay s’y est mis plus timidement depuis la rentrée 2008 en invitant les jeunes de moins de 31 ans à des soirées gratuites exceptionnelles et en proposant aux jeunes le dernier jeudi de chaque mois des animations gratuites en plus de l’entrée à tarif réduit à 7€. Enfin le musée du quai Branly, à partir de janvier 2009, a proposé un nocturne gratuit pour les moins de 26 ans tous les samedis de 18h à 21h. Seul, étrangement, le centre Pompidou ne proposait rien de ce type si ce n’est comme tous un Pass annuel Jeunes à moindre coût.
[6] Lire « Sarkozy offre la gratuité des musées aux jeunes... les plus favorisés ». Nous avons assisté le 3 mars 2009 à une conférence au Grand Palais en présence de Bruno Maresca, coordinateur de cette étude. Il était très clair sur ses résultats négatifs.
[7] Depuis 2005, le Centre Pompidou accueille dans le cadre de soirées événements payantes dénommées « Les Jeudi’s » des étudiants d’art les invitant à investir le musée de différentes façons (performances, concerts, danse...). Mais on ne peut assimiler ces soirées aux nocturnes gratuits pratiqués ailleurs.