10.06.09 | date de mise en ligne. Extrait de l’audition à l’Assemblée nationale de Mme Marie-Christine Labourdette, directrice des musées de France, devant la Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan / Mission d’évaluation et de contrôle sur le Musée du Louvre présidée par M. Georges Tron | Jeudi 19 février 2009, séance de 11 heures, compte rendu n° 02
DÉBUT DE L’EXTRAIT - TEXTE INTÉGRAL
M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Venons-en à la gratuité. Quel est son coût, maintenant qu’elle ne s’applique plus qu’aux visiteurs de moins de vingt-six ans, du moins provisoirement ? Comment la compenser quand l’argent public se fait rare ? Cette mesure ne crée-t-elle pas un effet d’aubaine pour les touristes étrangers, qui sont nombreux ? Au Louvre, ils représenteraient les deux tiers des visiteurs. Par ailleurs, la gratuité ne dissimule-t-elle pas l’idée que la culture ne vaut rien, avec les conséquences que cela peut avoir, notamment sur les droits d’auteur ? Enfin, n’a-t-elle pas pour contrepartie le relèvement du prix des expositions temporaires, afin de compenser le manque à gagner ?
Bref, la gratuité était-elle la meilleure façon de dépenser de l’argent en faveur de la démocratisation culturelle ? Autrement dit, le prix est-il la vraie barrière à l’entrée au musée ?
Mme Marie-Christine Labourdette. Les mesures annoncées à Nîmes par le Président de la République sur la gratuité sont fondées sur le résultat de l’expérimentation qui a eu lieu entre le 1er janvier et le 30 juin 2008. Celle-ci a confirmé que le prix n’est pas l’obstacle majeur à la démocratisation culturelle. L’expérience révèle néanmoins que la gratuité ciblée sur la jeunesse a parfois un effet déclencheur en donnant un caractère festif à la visite, qui ne relève plus alors de l’acte marchand. En conclusion, la démocratisation ne passe pas par la gratuité pour tout le monde, laquelle se traduirait en effet, pour compenser les pertes de recettes, par un relèvement du tarif des expositions temporaires tel qu’il produirait un effet d’éviction, comme on l’observe en Grande-Bretagne où les collections permanentes sont gratuites. La France a choisi une autre voie, plus équilibrée. L’accès est gratuit jusqu’à 18 ans, mais cela ne se sait pas suffisamment, modique au-delà pour les collections permanentes, tandis que le tarif des expositions temporaires reste raisonnable.
L’analyse montre également que la tranche 18-25 ans correspond au moment où les parents cessent d’être prescripteurs en même temps que le pouvoir d’achat se tend. Et là, le prix devient le critère de choix le plus sensible. Dès lors, permettre non seulement aux étudiants, mais aussi aux jeunes actifs, de continuer à bénéficier de la gratuité contribue à faire entrer le musée dans leurs pratiques culturelles et leur donne le goût de poursuivre au-delà de vingt-six ans.
M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Combien cela coûte-t-il ?
Mme Marie-Christine Labourdette. En année pleine, 24 millions d’euros.
M. Marcel Rogemont, Rapporteur. Était-ce la meilleure mesure à prendre ?
Mme Marie-Christine Labourdette. C’est un pari sur l’avenir, mais qui se fonde sur un constat scientifique. La réponse viendra dans quelques années, quand nous examinerons la courbe de fréquentation de ceux qui auront bénéficié de cette mesure.
Cela étant, il n’est pas question de dévaloriser la culture en rendant son accès gratuit. Les expositions temporaires restent payantes pour les 18-25 ans ; l’accès libre est seulement un moyen de les inciter à aller au musée. Par ailleurs, près de 30 % des visiteurs entrent déjà gratuitement dans les musées nationaux : les jeunes, mais aussi les RMIstes, les chômeurs, les handicapés. On ne peut contester que notre patrimoine soit mis à la disposition de nos concitoyens par des tarifs différenciés.
M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Ces publics, qui bénéficiaient déjà de la gratuité, fréquentaient-ils les musées auparavant ? Si oui, dans quelles proportions ? Les chiffres vous ont-ils aidés à étayer une mesure qui a été très discutée ?
Mme Marie-Christine Labourdette. L’expérimentation a eu au moins le mérite de faire connaître la gratuité à ceux qui pouvaient en bénéficier et qui, souvent, l’ignoraient.
M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. C’était de la « com » ?
Mme Marie-Christine Labourdette. Pas seulement. L’expérimentation nous a donné la possibilité de faire connaître à certains publics des droits qu’ils ignoraient. Ils ont saisi l’occasion de la gratuité pour aller au musée. Nous leur avons montré, billet en main, qu’ils pourraient continuer à entrer au musée gratuitement. Nous leur avons ainsi appris que le patrimoine national était la propriété de l’ensemble des citoyens.
M. Nicolas Perruchot, Rapporteur. Y a-t-il des publics qui ne vont jamais dans les grands musées, notamment au Louvre ?
Mme Marie-Christine Labourdette. En moyenne, entre 55 % et 60 % de la fréquentation des musées est le fait des catégories socioprofessionnelles supérieures et moyennes comprises largement. Les catégories populaires vont beaucoup plus au musée qu’on ne l’imagine : elles représentent environ 30 % de la fréquentation.
L’effet d’aubaine pour les étrangers ne nous a pas échappé, mais nous appliquons strictement le principe communautaire : les jeunes de 18-25 ans de l’Union européenne bénéficient du même avantage que les Français.
Mais il n’est pas question d’entrer dans un musée comme dans une galerie marchande, pour faire sécher son parapluie pendant une averse en regardant trois tableaux. Un billet sera délivré, pour donner au jeune l’impression d’être en quelque sorte invité après une démarche volontaire de sa part. Ce ne sera pas l’acte gratuit de consommation que vous craignez.
FIN DE L’EXTRAIT
Audition de Mme Marie-Christine Labourdette, directrice des musées de France à la Commission des Finances, de l’économie générale et du Plan / Mission d’évaluation et de contrôle sur le Musée du Louvre présidée par M. Georges Tron | Jeudi 19 février 2009, séance de 11 heures, compte rendu n° 02
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