30.03.2008 | DÉBUTÉE EN JANVIER pour se clore fin juin, nous voilà à mi-parcours de l’expérimentation des musées gratuits voulue par le Premier ministre pour donner corps à une promesse électorale du candidat Sarkozy, soucieux de démocratisation culturelle.
Dès le premier mois, malgré le choix du ministère de ne pas en faire la publicité pour ne pas en fausser l’évaluation [1], la fréquentation avait augmenté jusqu’à 60% dans les dix musées et de 100% dans les quatre monuments historiques concernés, avec un pic de 300% pour l’un d’eux [2]. Déjà, de nouveaux comportements se faisaient jour, comme des visites répétées pour une même personne, libérée de l’obligation de tout voir en une fois, d’où, notait un directeur, « un mode d’appréciation de l’art plus tranquille » [3], quand un autre constatait une augmentation de 50% des recettes de la boutique de son établissement venant compenser, en partie, le manque à gagner des droits d’entrée [4]. Devant ces signes encourageants, la presse de s’extasier, avant que le ministère n’appelle à la prudence, pointant un « effet lune de miel » [5].
ENNEMIE PUBLIQUE N°1
Rue de Valois, si le projet n’entraîne pas l’adhésion, la ministre de la Culture en est sa principale ennemie. Rien d’étonnant au regard du parcours personnel de Christine Albanel et à sa gestion du Château de Versailles qu’elle dirigea un temps, marquée par une augmentation de 69% du prix d’entrée et d’espaces gratuits devenus payants [6].
A peine nommée ministre, elle avouait d’ailleurs, sur une radio, son hostilité au projet : « Je ne suis pas sûre que ce soit la bonne idée ». Il faudra l’intervention du Premier ministre pour imposer une phase expérimentale de gratuité totale sur quelques musées [7] « afin d’en mesurer toutes les conséquences et de déterminer les conditions de réussite de sa généralisation » selon sa lettre de mission signée du Président [8]. Un premier choix d’établissements dressé à la rentrée par le ministère, c’est Matignon qui communique sur le sujet [9]. A la décharge de Christine Albanel, comment défendre l’idée d’une gratuité totale des musées quand, dans le même temps, il lui est demandé de lutter contre la gratuité du téléchargement sur Internet ? Prise dans ce paradoxe apparent, la ministre opte pour une opposition idéologique considérant « que la culture a une valeur, et que, parce qu’elle a une valeur, elle a un prix ». Belle introduction à la présentation officielle qu’elle s’apprête à faire, ce jour-là, du test de gratuité dans les musées [10] ! Lors des voeux à la presse, au mois de janvier suivant, la ministre ne s’étend guère sur la question [11], pas plus qu’elle n’honore de sa présence l’un des établissements concernés, l’expérimentation démarrant juste. Preuve supplémentaire de sa décision arrêtée avant la fin même du test, l’annonce en janvier de la gratuité accordée dans les musées et monuments aux seuls professeurs pour la rentrée prochaine [12].
DÉFAVORISÉS CULTURELLEMENT
Au ministère, on le répète à l’envie, l’expérimentation ne vise pas à l’augmentation du public mais à son élargissement vers les « catégories socio-professionnelles les plus éloignées de la culture » [13]. La part du public qui, profitant de l’aubaine, multiplie les visites et, du coup, gonfle artificiellement les chiffres de fréquentation, est décrétée hors-jeu. Parce que souvent détentrice d’un fort capital culturel, on lui prête automatiquement de hauts revenus financiers, en conséquence de quoi, on l’estime illégitime pour prétendre à la gratuité, alors qu’elle en est manifestement le plus demandeuse. Un vrai service public des musées aurait dû depuis longtemps répondre à cette attente en proposant un Pass inter-musées, à l’année et à prix raisonnable, comme il en existe pour les touristes. Car, que cultivé rime avec argenté est tout aussi absurde qu’ignorant rimant avec pauvre. Les choix de consommation de ces deux catégories de public sont peut-être déterminés par une définition de la Culture tout simplement différente. La volonté d’attirer vers les musées, pour leur bien, les publics dits « éloignés culturellement », uniquement par le biais de la gratuité, relève de la démagogie pure. Qu’est-il fait pour le faire venir ?
L’hypocrisie veut qu’on possède déjà toutes les clés d’analyse. Une récente étude sur la gratuité des musées, publiée en 2006, a été commandée par le ministère de la Culture, puis complétée par des enquêtes [14]. A cela vient s’ajouter l’expérience des musées dela Ville de Paris gratuits depuis 2001, sous la première mandature de Bertrand Delanoë, et les exemples étrangers, notamment anglo-saxons. Or, toutes les observations aboutissent au même résultat. Si la gratuité peut apporter un sentiment de réappropriation du bien commun, elle ne permet pas à elle seule la démocratisation recherchée. Sans accompagnement spécifique, ni information en amont, elle n’est pas suffisante pour attirer tous les publics. Or, sur cette question, au ministère, on ne propose aucune piste. Pire, pendant la durée de l’expérimentation, on interdit « que les politiques des publics et les dispositifs de médiation existants dans chacun des sites soient radicalement modifiés » [15], moyen le plus sûr pour rendre l’expérience inefficace et son but final mort-né.
SANS BUDGET ET SANS IDÉES
La ministre reconduite dans ses fonctions après les élections municipales, sans même attendre la fin du test, ni son évaluation, on s’achemine vers l’abandon de la généralisation souhaitée. Mme Albanel l’a confirmé au Sénat le 26 mars, préconisant « un arsenal de dispositions tarifaires adaptées » plutôt qu’une « solution globale ». Des gratuités ciblées seront sans doute mises en place, en particulier celle envers les 18-25 ans, drainant les plus favorisés culturellement d’entre eux et confortant le paradoxe dénoncé par la ministre elle-même, les jeunes étant les plus adeptes du téléchargement gratuit sur Internet. Le public le plus demandeur, considéré comme privilégié, sera lésé et rien n’aura été imaginé pour les publics éloignés, jeunes ou pas.
Pourtant les solutions existent. C’est dès l’enfance qu’il faut agir, en couplant les visites scolaires parfois contre-productives, à l’invitation régulière de se rendre au musée en famille, par la remise de billets gratuits. Une réelle politique de démocratisation culturelle supposerait une réflexion et des propositions sur la pratique du musée plutôt que sur son mode d’accès, le plus pertinent étant de penser les deux ensemble. Instaurer une gratuité totale avec accompagnement nécessiterait un budget et des idées. Manifestement, au ministère, on manque des deux. Les 2,3 millions d’euros qu’aura coûté l’expérimentation, plus 85 000€ pour sa seule d’évaluation [16], n’auront servi qu’à donner l’illusion d’une promesse électorale tenue, ratant l’occasion d’un véritable élan populaire vers la Culture. La gratuité des musées ? un rendez-vous manqué.
[1] L’étude a été confiée à la société PUBLIC & CULTURE spécialisée dans la prospective des publics dans le domaine culturel. Elle a notamment oeuvré pour le Centre Pompidou-Metz et le futur Louvre-Lens pour le compte du Conseil Régional Nord-Pas-de-Calais.
[2] « La gratuité de musées et monuments attire du monde », AFP | 11.02.08
[3] « Bons débuts pour la gratuité dans les musées » par Marie-Douce Albert, LE FIGARO | 08.02.08
[4] « La gratuité dope la fréquentation des musées » par Christophe Lefevre avec Violette Lazard, LE PARISIEN | 03.02.08
[5] Voir plus haut, dépêche AFP | 11.02.08
[6] Lire notre article « Versailles lance le pack Marie-Antoinette ».
[7] « Déclaration de politique générale du Premier ministre » | 03.07.07. Lire aussi notre brève « Le Premier ministre ordonne une gratuité expérimentale ».
[8] « Lettre de mission du Président de la République à la ministre de la Culture » | 01.08.07
[9] « La gratuité des musées peut-elle permettre d’élargir leur public ? » par Nathaniel Herzberg, LE MONDE | 14.09.07
[10] Conférence de presse de la ministre de la Culture sur la gratuité des musées | 23.10.07
[11] Discours de Christine Albanel, ministre de la Culture et de la Communication, prononcé à l’occasion de la présentation de ses vœux à la presse | 21.03.08
[12] Bonne nouvelle à relativiser puisque, pour les monuments, les professeurs en bénéficiaient jusqu’en 2004 où on ne leur accorda alors plus que le tarif réduit quand, pour les musées nationaux, tous leur accordaient déjà cette gratuité hormis quelques rares cas, dont l’établissement dirigé anciennement par Mme Albanel. Lire notre article « Musées gratuits pour les profs, une vraie / fausse joie » | 06.02.08.
[13] Voir plus haut dépêche AFP | 11.02.08
[14] « La gratuité des musées et des monuments côté publics » par le Département des études, de la prospective et des statistiques / Ministère de la Culture et de la Communication, étude dirigée par Anne Gombault, Editions La Documentation française | 2006.
« Aller au musée : un vrai plaisir, mais une attente de convivialité et de pédagogie »/ Enquête « Consommation et modes de vie », CREDOC, par David Alibert, Régis Bigot et Georges Hatchuel | juillet 2006.
[15] Marché à procédure adaptée relatif au suivi de l’expérimentation des mécanismes de gratuité dans les musées, ministère de la Culture | 28.09.07
[16] Déclaration de la ministre de la Culture, au Sénat, le 26 mars 2008.