30.07.12 | LE MUSÉE GALLIERA, fermé pour travaux jusqu’au printemps 2013, poursuit ses excursions hors les murs. Après « Madame Grès, la couture à l’œuvre » au musée Bourdelle à Paris en 2011 et « Le XVIIIe au goût du jour » au Grand Trianon à Versailles l’été de cette même année, le musée de la Mode de la Ville de Paris nous offre deux belles expositions pour à peine le prix d’une, cette fois-ci aux Docks - Cité de la mode et du design ouvert au public depuis avril. Un lieu pas très hospitalier, ouvert à tous les vents et qui dégage pour l’instant plutôt une impression de vide (voir notre article). La signalétique inexistante à l’extérieure, il y a de fortes chances que la plupart des visiteurs viennent comme nous depuis le côté Austerlitz et, faute d’indication, empruntent le premier escalier qui mène à l’Institut Français de la Mode (IFM). Un établissement scolaire, pas un musée comme on pourrait le croire. Trop de personnes se trompant - ce qui semble logique - l’école a été contrainte d’apposer sur sa porte d’entrée et sur celle de sa bibliothèque une affichette pour informer que les expositions ne se tenaient pas là. Pour les trouver, il faut contourner les vitrines de l’Institut par la terrasse de bois et marcher tout au bout de la coursive. Ce n’est qu’en sortant côté rue, qu’on tombe sur les affiches des des deux expositions en cours qu’on cherchait à l’arrivée, presque cachées. Vraiment mal fichu.
« En hommage au maître de la couture (1895-1972) et à l’occasion du 40e anniversaire de sa disparition, Galliera dévoile, avec le soutien de la Maison Balenciaga, une collection de modes passionnément assemblée par le couturier et généreusement donnée par sa famille au musée » :: Texte officiel
À LA RENCONTRE DU MAÎTRE
Eblouissant. L’exposition présente, mêlées, une quarantaine de créations du couturier, la plupart dons de particuliers au musée Galliera, confrontées à des pièces de sa collection personnelle, soixante-dix vêtements et tissus dont il s’inspirait, parfois de provenance surprenante : des habits de ville du XIXe (cape brodée, robe à crinoline, cols, passementeries, bottines...), du XVIIIe (dont un étonnant habit d’homme bleu roi), des costumes traditionnels (veste de toreros, coiffe folklorique de paille tressée, harnachement de cheval, calotte orientale) jusqu’à des vêtements ecclésiastiques (étole brodée, robe de vierge). Egalement présentés, des documents iconographiques de sa bibliothèque provenant des archives de la Maison Balenciaga (planches de costumes anciens, photos, croquis de sa main maladroits comme des dessins d’enfant).
La rencontre est éclairante, au point parfois, quand on est néophyte, de se faire piéger sur l’origine de tel ou tel vêtement. La scénographie minimaliste, inspirée du mobilier de réserve d’un musée de mode avec ses tiroirs d’archivage, met en valeur l’austère raffinement de l’oeuvre du Couturier des couturiers, celui devant lequel tous se sont inclinés, de Coco Chanel à Christian Dior qui n’hésitera pas à parler de perfection pour qualifier son travail. De ses quarante ans de carrière, on peut vraiment parler d’une oeuvre, tellement il a poussé loin l’exigence de son métier, travaillant la matière textile comme un sculpteur. Tel également un peintre, il possède une palette affirmée, un registre de couleurs limité où le noir, cette non-couleur, tient une place centrale : « un noir espagnol, tellement épais que tous les autres noirs paraissent gris à côté » note le magazine Harper’s en 1938. La couleur quand il l’utilise, souvent en ton unique, n’en apparaît que plus forte et somptueuse. Ses inspirations historicistes et artistiques, loin de toute stratégie marketing, l’ont mené vers toujours plus d’épure et d’abstraction, démontrant que la modernité se réinvente perpétuellement par le passé. Le classicisme que parfois on lui attibue atteint ici l’intemporel. Chez lui, la mode est tout sauf associée à la frivolité. André Courrèges, qui a travaillé à ses côtés, décrira l’ambiance de travail chez Balenciaga comme d’une « atmosphère de monastère architectural et spirituel ». Tout se faisait dans le plus parfait silence. Autre des surnoms du Maître : le « moine de la couture ».
« JE NE ME PROSTITUE PAS »
Quand on s’intéresse à l’homme, on reste impressionné par son intégrité, tellement loin de ce qui agite notre époque et du milieu actuel de la mode. Maître d’un art qu’il aura appris hors de toute école, son désir d’indépendance lui fit refuser d’intégrer la Chambre syndicale de la Haute Couture comme de repousser les ponts d’or que les industriels lui offrirent pour se lancer dans le prêt-à-porter. Réponse cinglante de l’intéressé : « Je ne me prostitue pas ». Ce qui adviendra néanmoins après sa mort quand, en 1987, rachetée par le groupe Jacques Bogart, la marque lui ayant survécu essentiellement par la vente de parfums, s’y lancera. Mais la trahison-hommage si l’on peut dire, viendra en 2004 quand la Maison, propriété alors du groupe PPR, créera des copies de ses créations, vendues comme tels : la ligne Balenciaga Edition, depuis régulièrement renouvelée.
Fuyant les photographes et la vie mondaine, imagine-t-on seulement que Cristobal Balenciaga n’aura pas donné une seule interview durant toute sa carrière, une invisibilité qui ira jusqu’à semer le doute sur son existence même et lui vaudra le surnom de « Greta Garbo masculin du monde la mode » : « Il est celui qui ne dîne jamais en ville, n’a pas sa loge aux générales, qui ne se laisse pas photographier, qui ne va pas en Amérique, et qui a horreur qu’on parle de lui » peut-on lire dans Elle en 1950 [1]. Suivant ses défilés aux participants triés sur le volet caché derrière un rideau, il n’hésite pas à faire sortir les impudents qui ont l’air de s’y ennuyer ou à faire taire les bavards. De la même façon, Mademoiselle Renée qui régentait les vendeuses et surnommée par une journaliste La Mère Supérieure de la Maison, répondra à une cliente qui intercédait pour une amie souhaitant assister à une présentation : « Nous n’avons pas besoin de femmes curieuses ici ». Des défilés qui se déroulait dans ses locaux, avenue Georges V, sans qu’il soit besoin, comme aujourd’hui, de les entourer de décorums spectaculaires (pour mieux masquer leur indigence créatrice ?).
Quand en 1968, M. Balenciaga, âgé de 73 ans, stoppa net sa carrière, jetant dans le désarroi ses plus fidèles clientes, c’est parce qu’il ne se retrouvait plus dans son époque, totalement opposé à l’industrialisation du secteur de la mode. Peut-être aussi pressentait-il que le désir de liberté incarné par les événements de mai se noierait un jour dans un consumérisme effréné. Un journal écrivit : « Balenciaga se retire et la mode ne sera plus jamais la même. »
:: Sources : Balenciaga par Marie-André Jouve et Jacqueline Demornex, éd. du Regard, 1988 / Balenciaga Paris par Pamela Golbin, éd. Thames & Hudson - Les Arts décoratifs, 2006
COMMISSARIAT DE L’EXPOSITION
Olivier Saillard, directeur du musée Galliera et historien de la mode
Alexandra Bosc, conservateur du patrimoine au musée Galliera
Marie-Laure Guitton, chargée du cabinet d’arts graphiques et des accessoires au musée Galliera
Pascale Gorguet, conservateur en chef du patrimoine au musée Galliera
Delphine Jaulhac, assistante (musée Galliera)
Gaël Mamine, responsable du Patrimoine chez Balenciaga
SCÉNOGRAPHIE
Jean-Julien Simonot
PRODUCTION
Paris-Musées
MÉCÉNAT / SOUTIEN
Balenciaga (PPR)
Caisse des dépôts
Bruynzeel rangements
PARTENARIAT
Le Monde
Metro
L’Express-Styles
Télérama
Connaissance des arts
Paris Première
France Inter
Fnac
AUTOUR DE L’EXPOSITION
Photographie autorisée
Visites conférences (1h30), tous les samedis à 14h30 et à 16h, sans réservation, dans la limite de 15 personnes. Tarifs : tél. 01 56 52 86 21 / marie-jeanne.fuster@paris.fr
ENFANTS / JEUNE PUBLIC
Carnet de visite pour enfants à disposition, 7-13 ans
Ateliers : 8-12 ans et 13-16 ans
Conte : à partir de 5 ans
Conte suivi d’un atelier d’écriture : 7-10 ans
+ d’infos / tarifs et réservations : tél. 01 56 52 86 21 / marie-jeanne.fuster@paris.fr
« Galliera vous invite à découvrir l’intégralité du dernier défilé Comme des Garçons, Printemps-Eté 2012 : ici pas de place attribuée, pas d’estrade, pas de minutage… il ne s’agit pas d’un défilé mais bien d’une installation, conçue par Rei Kawakubo, où le visiteur a toute liberté d’admirer les modèles au plus près. Créatrice de ruptures, Rei Kawakubo transfigure l’exercice classique du défilé et détourne les codes de la haute couture. Avec White Drama et ses modèles quasi monochromes, elle magnifie les grandes étapes de la vie : naissance, mariage, mort et transcendance » :: Texte officiel
Quand on écoute Olivier Saillard dans la vidéo ci-dessous, on comprend son intention de faire partager au plus grand nombre ce qui ne se montre qu’à quelques élus. Avec le travail de Rei Kawakubo, 69 ans, et ses habits volontairement laissés à vif et sans ourlets, on est sans doute loin du souci de perfection formelle d’un Cristobal Balenciaga mais on retrouve chez ses deux créateurs une même conception sculpturale de la mode. Un face-à-face intéressant.
COMMISSARIAT DE L’EXPOSITION
Olivier Saillard, directeur du musée Galliera et historien de la mode
Rei Kawakubo, fondatrice et designer de Comme des Garçons
SCÉNOGRAPHIE
Rei Kawakubo, fondatrice et designer de Comme des Garçons
PRODUCTION
Paris-Musées
MÉCÉNAT / SOUTIEN
Marie Claire
Caisse des dépôts
Japan Airlines
Bubble Tree (pour les bulles de plastique)
PARTENARIAT
Libération
Les Inrockuptibles
A Nous Paris
Beaux Arts Magazine
Stylia
Fnac
AUTOUR DE L’EXPOSITION
Photographie autorisée
ENFANTS / JEUNE PUBLIC
Ateliers « Mariée improvisée » : 8-12 ans
Ateliers « Mode expression » : 13-16 ans
+ d’infos / tarifs et réservations : tél. 01 56 52 86 21 / marie-jeanne.fuster@paris.fr
TARIFS
Valable pour les deux expositions
Plein tarif : 6 €
Tarif réduit : 4,5 € pour : titulaires des cartes « Paris Famille » et « Famille nombreuse », enseignants, animateurs de centres de loisirs de la Ville de Paris, documentalistes des établissements scolaires, chômeurs, bénéficiaires du RSA, plus de 60 ans
Demi-tarif : 3 € pour les 14-26 ans inclus
Gratuit : moins de 14 ans, personnes handicapées et leur accompagnateur, artistes
Photographie autorisée dans les deux expos
HORAIRES
Du mardi au dimanche, 10h-18h, sauf jours fériés
DATES
Du 13 avril au 7 octobre 2012
ADRESSE
Les Docks - Cité de la Mode et du Design
34 quai d’Austerlitz
75013 Paris
CONTACT
www.paris-docks-en-seine.fr
accueil@parisdocksenseine.fr
Tél. Docks : 01 76 77 25 30
Tél. Musée Galliera : 01 56 52 86 00
ACCÈS ET PLAN
Métro : station Gare d’Austerlitz, Quai de la Gare, Gare de Lyon
Bus : 24, 57, 61, 63, 89, 91
Vélib’ : station n° 13020 face 15 rue Paul Klee, n° 13151 Gare d’Austerlitz
Si vous constatez des erreurs dues à des changements dont nous n’aurions pas eu connaissance, veuillez nous en excuser et nous en informer. Merci
mmhh... je trouve très révélateur que vous ayez dû consulter deux livres pour avoir autant à en dire sur Balencciaga. Normal, puisqu’on ne trouve aucune explication digne de ce nom dans l’expo. Je l’ai faite aussi et elle est indigne de la qualité habituelle de Galliera. Aucune pédagogie pour le néophyte qui n’a qu’à admirer les pièces magnifiques et se taire. Enfin admirer... J’adore Balenciaga, j’adore le costume ancien, je venais déjà conquise, je suis sortie furieuse, avec un mal de tête monumental et l’impression d’avoir rater la moitié des pièces intéressantes : elles sont mal exposées (enfermée deans des tiroirs, tournée de biais pour qu’on ne puisse pas les voir correctement !), mal éclairées (ah, les néons des étagères qui se reflètent directement sur les 15 centimètres des vitres des tiroirs légèrement ouverts pour bien cacher tout ce qu’ils contiennent... magique), on ne voit pas le détail des broderies (un comble ! les loupes, c’est une denrée si rares, il est vrai), et cette accumulation de noir jamais jamais entrecoupé de couleur, c’est vraiment le n’importe quoi de la muséographie. On peut exposer intelligemment un couturier qui adore le noir sans massacrer les yeux des visiteurs : je suis venue avec une amie qui est très myope, je n’ai personnellement aucun problème d’yeux, et nous avons été autant perturbées l’une que l’autre par ces choix d’exposition idiots.
[1] C. Balenciaga a donné une seule interview, mais après sa retraite, au Times, le 3 août 1971.
[2] Marie-André Jouve reproduit et cite plusieurs documents qui montrent que Balenciaga est bien parti à contre-coeur comme il le confie dans un mot de remerciement adressé à un partenaire avec toute la pudeur qui le caractérise : « C’est avec beaucoup de peine que j’ai décidé de cesser mon activité dans la couture à laquelle je me suis dévoué toute ma vie » (Lettre de Cristobal Balenciaga au brodeur Rebé, juin 1968). Et plusieurs extraits d’articles le rapportent : « Quoique sans relations directes avec les événements actuels, la décision que vient de prendre Balenciaga de fermer sa maison de couture n’en reflète pas moins le sérieux malaise qui règne dans le commerce du luxe français. A soixante-douze ans, Cristobal Balenciaga a refusé les ressources nouvelles que lui auraient procurées le prêt-à-porter » (Le Monde, 23.05.1968) ; « Comment un tel homme aurait-il pu se reconvertir dans le »prêt-à-porter« ? Alors, plutôt que d’ouvrir une »boutique« , Balenciaga a préféré payer leurs indemnités à ses deux mille ouvrières » (Paris Match, 10.08.1968). Et L’Aurore cite « un vieil habitué des présentations de mode » : « La haute couture telle que nous l’avons connue est condamnée, a-t-il dit tristement. C’est l’évolution naturelle des choses. Je trouve bien que l’irréductible Balenciaga, qui a personnifié toute une époque, se retire en pleine gloire » (03.08.1968).