28.05.2021 l RÉGULIÈREMENT RÉNOVÉ et agrandi depuis son ouverture en 1880 (1889, 1898, 1913, 1925, 1989), le musée Carnavalet - Histoire de Paris n’a cessé de se renouveler, tout en sauvegardant sa double appartenance de musée d’histoire et d’art. Prototype du musée de ville à sa création, il pourrait être classé parmi les musées de société. L’un de ses directeurs emblématiques, Georges Cain, a défini on ne peut mieux son identité en 1914, alors que l’établissement venait une nouvelle fois de faire peau neuve : « Nous sommes musée documentaire avant d’être un musée d’art, et sous aucun prétexte il ne conviendrait de sacrifier le document au plaisir des yeux » [1]. Néanmoins, la médiation en était à ses balbutiements, les oeuvres étant censées délivrer directement leur « leçon de choses » quand les étiquettes pouvaient être calligraphiées par des gardiens, anciens sergents-majors. Plus récemment, le musée Carnavalet, tel qu’on l’a connu avant travaux, datait en grande partie de 1989. Témoin de la muséographie d’une époque, ses supports de médiation en salles se réduisaient à des textes généraux et aux cartels des oeuvres. En 2015, la nouvelle équipe dirigée par Valérie Guillaume avait rafraîchi les salles de la Révolution française, expérimentant des modules de médiation plus variées, en préfiguration du musée rénové.
Le résultat est là, impressionnant. L’offre de médiation en salles est foisonnante, multi-supports et trilingues (français, anglais, espagnol), tout en s’accompagnant de médias plus classiques : plan guide, application mobile gratuite (français, anglais, espagnol, russe, allemand, chinois japonais), visites guidées... En poussant loin la logique d’accessibilité, Carnavalet s’inscrit dans une tendance générale dans les musées. La pratique a montré que les dispositifs destinés initialement à des publics spécifiques, comme par exemple les tables tactiles pour les personnes malvoyantes, intéressaient en réalité tout le monde. En hybridant les usages, le musée, se voulant inclusif, rapproche ainsi les publics, le savoir se démocratise tout en se partageant. Il sera intéressant d’observer comment le public, ou plutôt les publics, s’appropriera (ou pas) toutes ces offres.
Combien de textes de médiation ont été produits pour les salles du musée Carnavalet rénové ?
Noémie Giard. Environ 3000 contenus ont été produits pour cette rénovation, dont une centaine de panneaux de salle, autant de textes simplifiés, 75 lutrins d’accessibilité universelle, des cartels développés, des cartels enfants... Sachant qu’on a aussi les contenus audiovisuels sur écran, les entretiens avec les historiens, les animations, images d’archives, ou autres. Autant de strates, d’adresses au public, de possibilités. Nous savons bien que les visiteurs ne vont pas tout lire ou tout regarder. C’est pour cela que nous avons réfléchi à proposer des contenus à différents niveaux. Si l’on souhaite savoir rapidement ce qu’il y a dans une salle, on a la version simplifiée du texte général. Ce dernier donne les éléments contextuels, il invite ensuite à aller vers les œuvres. On peut très bien commencer par le texte simplifié et approfondir avec le texte général, tous deux traduits en anglais et en espagnol. Nous avons travaillé dans une logique de complémentarité des contenus, qui s’adressent au plus grand nombre.
Quelles sont les spécificités de ces textes simplifiés ? Ils ne s’adressent pas à un public en particulier ?
Ils s’inspirent des règles du Facile à lire et à comprendre (FALC), avec de gros caractères, du braille en surimpression, du dessin tactile. Ils s’adressent en priorité aux déficients visuels qui ont besoin de conditions particulières pour lire, des contrastes suffisamment marquants. Ils peuvent être gênés par le scintillement du texte blanc sur fond noir par exemple. Nous avons souhaité que ces textes soient présents pour tous dans le parcours, car ils s’adressent aussi au grand public. Parfois dans les musées, on n’a pas envie de lire, juste de se concentrer sur les oeuvres, mais on a besoin de comprendre ce que l’on voit. Avec ce petit texte, dans les grandes lignes, on a les repères principaux. Cela concerne aussi les familles. Les enfants peuvent lire ces textes moins intimidants. Les touristes étrangers également. Un visiteur lit peut-être l’anglais sans avoir un très haut niveau. Eh bien, il peut lire un texte en anglais simplifié pour avoir les notions principales de la salle. C’est souvent la même chose pour les visiteurs français à l’étranger.
Vous proposez également des cartels pour enfants, avec des oeuvres accrochées à leur hauteur. C’est assez rare dans les musées français !
Oui, l’œuvre se situe à 1m20 et le cartel à environ 75cm. Il se reconnaît pas un pictogramme, un ballon rouge, inspiré du film Le Ballon rouge qui montrait un petit garçon en balade dans Paris. Il signale que le discours va s’adresser au jeune public et aux familles. Nous nous adressons toujours à un collectif. Beaucoup d’enfants ne lisent pas seuls les cartels, ils les lisent accompagnés. Mais l’idée c’est qu’ils puissent le faire, et qu’ils soient ainsi plus autonomes dans leur visite, moins dépendants des adultes pour découvrir et pour comprendre. Ce sont des textes courts, écrits plus gros et traduits en anglais. Les premières expériences montrent que ça fonctionne. Ils s’accompagnent d’un dessin d’enfant. Une contribution que nous avons sollicitée pendant notre fermeture pour travaux. Une façon d’associer les petits Parisiens à la rénovation.
De quelle manière ?
Nous avons animé des ateliers à différents endroits, dans des écoles, des centres de loisirs, où nous montrions des reproductions d’œuvres aux enfants. Ceux-ci choisissaient celles qui les inspiraient, sur lesquelles ils avaient envie de proposer un dessin et/ou un texte. L’idée n’était pas de leur faire produire un contenu scientifique, c’est le musée qui assure ce rôle-là. Les enfants nous ont apporté leur imaginaire, leur regard décalé, parfois aussi un regard très aiguisé. Ils voient souvent plein de petits détails que nous, adultes, ne voyons plus. Dans la médiation, le visuel, l’image c’est aussi très important, cela attire l’œil. Le dessin est associé à une phrase. Par exemple-là, Léna, 9 ans, a écrit : “La place Louis XV la nuit, des pêcheurs mangent des poissons pêchés et brûlés par le feu”. Elle a inventé une histoire autour de l’œuvre, elle l’a redessinée, a transformé la scène, et nous fait regarder ce paysage d’un œil neuf.
Et ce cartel en relief, cela correspond à quoi ?
C’est l’un de nos lutrins d’accessibilité universelle ou d’accessibilité partagée. Le terme d’accessibilité universelle désigne un objectif, une démarche inclusive qui vise à favoriser la mixité des publics. L’idée est d’avoir un dispositif que les gens peuvent partager autour d’une œuvre ou un ensemble d’œuvres, qui ne s’adresse pas à un type de visiteur uniquement. Un texte court en gros caractère et en braille, auquel on associe des éléments à toucher, à manipuler. Le toucher, c’est très important, pas seulement pour les déficients visuels. Ça l’est pour les enfants, on le sait, mais aussi pour nous tous. L’œuvre concernée ici, c’est cette main en bronze, fragment d’une statue disparue de Louis XV. Si on touche notre reproduction, on sent le froid du métal, cela permet de mieux comprendre l’œuvre, par l’expérience sensible. Grâce à ce dessin en relief, on restitue à l’échelle la statue dont cette main provient. On propose également des éléments de localisation, comme ce plan de Paris qui indique l’emplacement de la statue. De fait, le lutrin fournit énormément d’informations, pas forcément par un texte très long. Sur certains de ces lutrins, nous proposons aussi des audiodescriptions à écouter, qui, par une mise en récit, des dialogues, des ambiances sonores, offrent un autre mode d’accès aux œuvres.
Quelles ont été vos sources d’inspiration pour concevoir tous ces outils de médiation ? D’autres musées ?
Pour l’accrochage à hauteur d’enfant, nous nous sommes inspirés de certains musées, à Bergen (KunstLab du KODE’s Art Museum for Children) et Glasgow (Kelvingrove Museum), ainsi que des Children’s Museum de grandes capitales (New York, Londres...). Mais pour l’ensemble de la médiation, nous avons regardé ce qui se faisait un peu partout, en France et dans le monde, dans différents types de lieux. Dans les musées de science aussi, où l’attention à la transmission par l’expérience est peut-être différente des musées d’histoire ou de beaux-arts. Par ailleurs, nous avons été accompagnés par l’agence Réciproque qui nous a conseillés. Nous avons échangé aussi avec des personnes en situation de handicap, et avons pris attache avec l’Unapei qui représente les personnes handicapées intellectuelles, autistes, polyhandicapées et porteuses de handicap psychique, et qui recommande l’usage d’une information facile à lire et à comprendre. Enfin, nos prestataires, l’Imprimerie Laville (spécialisée dans le tactilo-visuel et la transcription braille), l’Atelier 3 points et Veroliv, qui ont réalisé ces dispositifs, nous ont accompagnés étroitement dans tout le processus de conception et ont joué un rôle essentiel à nos côtés.
Enfin, quels métiers ont été mobilisés au sein du musée Carnavalet pour produire ces contenus ?
Nous avons produit ces textes au sein du service des publics. C’est un travail collectif pour beaucoup, en échangeant, en faisant relire, notamment les textes simplifiés. C’est assez compliqué à faire, le risque étant de s’éloigner de la vérité en simplifiant trop. Nous les avons faits relire in fine par des historiens, spécialistes des périodes concernées. Et nous avons travaillé avec nos propres conservateurs, évidemment. Les experts sont dans le musée mais aussi dehors. Beaucoup de personnalités sont intervenues avec leurs connaissances scientifiques, on les retrouve notamment dans une cinquantaine d’entretiens dans le parcours. La visite s’accompagne de beaucoup de ressources, aussi sous la forme d’animations ou de jeux. Ce qui nous a toujours guidés, ce sont les œuvres. C’est à partir d’elles, de leur richesse et de leur diversité, qu’a été pensée l’ensemble de la médiation, elles sont le cœur du musée Carnavalet.
MUSÉE CARNAVALET - HISTOIRE DE PARIS
23 rue de Sévigné
75003 Paris
Réouverture : 29 mai 2021
Gratuit (collections permanentes)
Réservation obligatoire (contraintes sanitaires) : www.billetterie-parismusees.paris.fr
Horaires : mardi-dimanche, 10h-18h
www.carnavalet.paris.fr
Tél : 01 44 59 58 58
[1] « Au musée Carnavalet », Georges Cain, Le Temps, 04.07.1914. Cité dans le catalogue qui accompagne la réouverture du musée : « Musée Carnavalet - Histoire de Paris. Un parcours de la Préhistoire à nos jours », sous la direction de Valérie Guillaume, éd. Paris Musées, 2021.