22.02.2024 l EN SE PROMENANT sur les quais parisiens, qui n’a pas contemplé la Seine en imaginant tout ce qui doit reposer au fond comme trésors ? La réponse est à voir en ce moment sous le parvis de Notre-Dame, dans la Crypte archéologique de l’île de la Cité, dans une scénographie qui se fond dans la muséographie permanente. Si les trésors ne sont pas toujours d’or, chaque objet découvert dans le fleuve, fut-il banal, pourrait être le début d’un roman : un vieux pistolet rouillé, un pommeau d’épée, un soldat de plomb, un gobelet en céramique, un ex-voto, une statuette de Mercure… On les observe en imaginant mille scénarios possibles. Qui les a laissés tomber dans l’eau ? Pourquoi ? Était-ce volontaire ou dû à une maladresse ? Nous ne le saurons jamais mais, des siècles plus tard, ils témoignent des usages et pratiques en bord de Seine, le fleuve attirant naturellement les activités humaines, là où est né Paris.
A commencer par la Préhistoire qui, au bénéfice des travaux haussmanniens, resurgit au 19e siècle des entrailles de la ville et des carrières de sable du Bassin parisien exploitées pour les constructions nouvelles de la capitale. On y trouve des outils de silex et des ossements d’animaux attestant de la présence de mammouths, de bisons ou d’hippopotames dans des paysages de steppes ou de forêts. Certaines de ces découvertes se retrouvèrent exposées, lors de l’Exposition universelle de 1867, dans une « Galerie de l’Histoire du travail » (ou « Musée rétrospectif ») montrant des « œuvres des temps antéhistoriques » jusqu’au 18e siècle. La première exposition préhistorique.
Parmi les découvreurs, on trouve des amateurs comme l’ingénieur Eugène Belgrand de par ses fonctions de directeur du Service des Eaux et Égouts de la Ville de Paris, ou Jules Reboux, un passionné qui passe ses dimanche à fureter dans les sablières de Neuilly à Levallois. Véritable savant, il laissera une nomenclature toujours utilisée. Mieux encore, il invente l’archéologie expérimentale, testant des outils préhistoriques sur des carcasses de boeufs aux abattoirs de Paris pour en déterminer la fonction. Tous deux légueront leurs collections au musée Carnavalet.
De récentes fouilles à Clichy-la-Garenne (92) en 2021 ont mis à jour l’occupation éphémère de Néandertalien·nes sur les berges de Seine vers - 50 000, sans doute le temps de découper un animal, le groupe abandonnant ses outils taillés sur place. Le fleuve, d’où émergaient des îlots de sable, était alors beaucoup plus large qu’aujourd’hui. C’est au Mésolithique (-9600/-6000) que des Homo sapiens sapiens (c’est-à-dire nous) s’installèrent sur la rive gauche de la Seine dans un environnement forestier. En sont témoins des “ateliers” retrouvés de fabrication d’outils de chasse, de pêche et de traitement des peaux. En 2008, des traces de campements ont été découvertes au 62 de la rue Henry Farman (Paris 15). Selon l’Inrap qui a mené les fouilles, « ce sont les plus anciens vestiges parisiens découverts à ce jour ».
DE LA VAISSELLE GALLO-ROMAINE
On fait ensuite un grand saut dans le temps pour nous retrouver au tout début de notre ère, au moment où Lutèce se romanise. Rien sur la période gauloise. Dommage que la question de la localisation de la capitale des Parisii ne soit pas abordée. Paris ou Nanterre ? Une cité gauloise a été découverte dans cette ville des Hauts-de-Seine lors de fouilles durant les années 2000 quand rien de tel ne l’a jamais été dans le sol parisien. Seul Julien Avinain, chef du pôle archéologique de Paris, y fait référence dans le catalogue. Dans un autre texte, est évoqué « l’installation néolithique du premier village des Parisiens sur un bras secondaire de la Seine ». De quoi s’agit-il ? Mystère.
Donc, nous voilà vers l’an 1. Des bords de Seine marécageux, émergent des bancs de sable comme c’est le cas de la future île de la Cité. C’est fascinant d’imaginer que notre rue de la Cité, portion insulaire du cardo maximus (axe Nord-Sud), a d’abord été une plateforme sur pilotis dont on a retrouvé des restes lors de fouilles dans les années 1990. A quelques dizaines de mètres, le premier port de Paris est construit au 1er siècle pour faciliter le commerce. On peut en voir un mur de quai dans la crypte. Au 4e siècle, l’île se militarise, rehaussée de plusieurs mètres et s’entourant d’une muraille. On en trouve la trace au sol rue de la Colombe, avec l’inclinaison naturelle de la berge. Préfigurant le lieu de pouvoir que gardera l’île, le préfet romain de navigation y réside. L’île de la Cité couvre alors 12,5 hectares, contre plus de 22 hectares aujourd’hui. Longtemps, seuls des ponts relièrent les deux rives via l’île de la Cité.
De l’Antiquité gallo-romaine, à l’occasion de la construction du pont de Sully, l’archéologue municipale Théodore Vacquer (qui sévit toujours sur X) exhuma en 1874 des berges parisiennes de la vaisselle en nombre (pots, gobelets, bols…) pouvant avoir été perdue lors d’accidents de navigation à un endroit assez agité où la Bièvre se jetait dans la Seine. Parmi ses trouvailles, une magnifique cruche en céramique, intacte, datée du 1er siècle (bien visible sur l’affiche de l’exposition).
UNE PÊCHE MIRACULEUSE
L’exposition s’autorise ensuite un écart géographique de 300 km pour nous emmener à la source de la Seine près de Dijon, propriété de la Ville de Paris depuis 1864. Là, dans la commune actuelle de Source-Seine, un sanctuaire fut érigé au 1er siècle pour honorer Sequana, déesse gallo-romaine de la Seine qui lui donna son nom. Dans ce lieu de pèlerinage, 1500 ex-voto ont été découverts lors de fouilles. De petites sculptures en pierre, métal ou bois, représentant symboliquement des corps ou parties de corps (y compris d’organes sexuels) voués à la protection divine. Beaucoup sont conservés au musée archéologique de Dijon. A Paris aussi, des figurines des dieux Mercure et Apollon ont été prélevées dans la Seine, sans qu’on sache s’il s’agissait de don au fleuve.
Autre écart, cette fois dans l’Aube, où en 2013 fut découvert, dans un ancien lit mineur de la Seine, une pêcherie du 1er siècle, abandonnée sans doute suite à une crue soudaine et miraculeusement conservée. Il s’agit d’une installation en V sur plus de 30 mètres composée de pieux en bois et de roseaux entrelacés, goulet d’étranglement chargé de piéger les poissons.
Retirées de la vase, on admire de grandes nasses en noisetier et sureau tressés dont l’une est incroyablement conservée. L’ensemble donne une idée des méthodes utilisées à l’époque pour pêcher le poisson dans la Seine, denrée choyée dans la capitale comme l’atteste une stèle funéraire gallo-romaine, découverte en 1906 lors de fouilles sous le marché aux fleurs (précédent la construction du métro, dont je parlais dans cet article), sur laquelle sont sculptés des poissons accrochés derrière des hommes qu’on suppose être des pêcheurs ou des poissonniers.
DE LA POUBELLE AU MUSÉE
Au Moyen Âge, la Seine parisienne, de plus en plus domestiquée, devient un vaste dépotoir, une grande poubelle. Tous les déchets des artisans, installés pour beaucoup le long du fleuve (d’où le nom des rues de la Triperie, de la Ferronnerie, de l’Écorcherie, de la Verrerie, de la Mégisserie), y terminent. Idem pour la Bièvre. De cette période, on exhume, au 19e siècle, un tas d’objets de la vie quotidienne, à la faveur de dragage ou de travaux sous les ponts : cuillères, poteries, carreaux de céramique, clefs…
Autre provenance, plus romanesque : le business des « Ravageurs de la Seine », comme on les appelait. A l’instar des chiffonniers, ce sont des ramasseurs d’objets (à la réputation de voleurs) mais dans la boue fluviale, à des endroits ou des périodes dans l’année où l’eau était basse. Les pièces archéologiques et anciennes, ils les revendent à des antiquaires ou des collectionneurs comme le commerçant et érudit Arthur Forgeais spécialisé dans les « plombs historiés ». De petits objets figuratifs en métal de fabrication populaire, d’usages variés : méreaux (jetons de confréries), enseignes de pèlerinage, figurines de dévotion, laissez-passer, clochettes, jouets miniatures, reliquaires portatifs, amulettes sexuelles… Ils pouvaient être jetés dans la Seine après un pèlerinage ou pour faire un vœux. Forgeais donnera une partie de sa collection de 4000 pièces au musée de Cluny et au musée Carnavalet.
Autres objets trouvés en nombre dans la Seine (et pas seulement à Paris), des armes, de toutes époques et de toutes factures : épées, poignards, haches... Avec cette interrogation, ont-elles été perdues au cours de combats ou jetées pour s’en débarrasser ? Peut-être, quand elles sont endommagées ou brisées. Mais celles qui sont intactes ? S’agissait-il de pratiques votives comme cela se pratiquait en Gaule pré-chrétienne ?
Jetées rituellement dans le fleuve, c’est sans doute le sort de ces curieuses figurines de chevaliers en plomb d’environ 10 cm, datées entre les 14e et 16e siècles, dispersées dans des collections publiques et privées, dont celles d’André Breton ou de Giacometti. On comprend pourquoi. Très schématiques dans leur apparence, on dirait des sculptures modernes. De par la présence d’attributs religieux, elles s’apparentent à des ex-voto. On les relie à la pratique d’immersion dans le fleuve, particulièrement autour de Notre-Dame, avant le départ en croisade ou de toute autre expédition militaire. L’une d’elles a été découverte par la brigade fluviale de Paris.
POLICE SUBAQUATIQUE
L’exposition se clôt avec cette unité de police originale, créée en 1900 par le préfet Louis Lépine, et qui, au cours de ses missions très diversifiées, est amenée à faire des découvertes d’objets historiques. Une façon de lui rendre hommage. Elle possède même son mini-musée d’oeuvres que la Drac Ile-de-France l’autorise à garder : têtes de statue en marbre, angelot, siphon d’eau de Seltz, pistolet de poche rouillé...
Parmi les pièces notables ramenées de la Seine, on trouve un mascaron du Pont-Neuf (en 2014, conservé au musée Carnavalet), le globe d’un candélabre du pont Alexandre-III (en 2021, restauré puis remis en place) et de nombreux objets liés aux deux guerres mondiales : casques, munitions, obus... En 2022, ce ne sont pas moins que 154 obus qui ont été localisés au niveau du pont d’Austerlitz puis extraits, avec l’aide de démineurs !
DANS LA SEINE - OBJETS TROUVÉS DE LA PRÉHISTOIRE A NOS JOURS
31 janvier 2024 - ?
9€ / 7€ / Gratuit
Catalogue, 128 p., éd. Paris Musées, 25€
#ExpoSeine
Crypte archéologique de l’île de la Cité
Parvis de Notre-Dame, Paris 4
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