13.07.09 | PAR UN DES CES CHASSÉS-CROISÉS curieux qu’affectionne l’actualité, il y a quelques jours, alors qu’enfin nous mettions en ligne notre enquête corrosive sur dix ans de tarification au Château de Versailles, la voix de Jean-Jacques Aillagon, patron des lieux, se faisait entendre sur les ondes à mendier quelques sous pour la restauration des bancs du parc.
Sur le modèle de la campagne « Adoptez une statue » lancée en 2005 et qui aura permis de restaurer 86 d’entre elles, le domaine national propose aujourd’hui à qui veut, particuliers ou entreprises, de financer la restauration d’un des 170 bancs dispersés dans le Petit Parc et d’y avoir, vanité ô vanité, son nom accolé pour un bout d’éternité [1].
L’initiative qui tombe très opportunément au moment de la sortie du film « Bancs publics - Versailles rive droite » de Bruno Podalydès a ceci d’étonnant que cette participation demandée au sauvetage d’éléments du patrimoine sera « très utile par ailleurs aux visiteurs » croit bon de préciser le président des lieux [2].
Cette manière d’en appeler systématiquement au portefeuille citoyen et à la générosité privée pour financer la moindre parcelle d’un espace public jusqu’à ses « utilités » fussent-elles en marbre – à Versailles, même les toilettes sont mécénées [3] ! - rend encore plus choquante la marchandisation éhontée qui est faite du droit d’entrée, ce qui nous a d’ailleurs décidé, à l’issue de notre enquête, à saisir conjointement la « Répression des fraudes » et la Cour des comptes.
Dans la récente polémique qui nous a opposé avec M. Aillagon au sujet de la mise en paiement progressive de tous les jardins du domaine, l’argument phare de l’ex-ministre de la Culture était justement celui-là : les recettes (60 M€ en 2008) provenant essentiellement de la billetterie (75% en 2007), des concessions, du mécénat et des éditions « permettent de mettre en valeur, de restaurer, de présenter, d’étudier et d’enrichir le patrimoine dont l’Etablissement a la charge » disait-il.
A constamment solliciter le particulier et le privé, on en vient à se demander où va l’argent récolté, notamment la billetterie, si l’établissement public ne peut même pas s’occuper de ses bancs !? Faut-il rappeler qu’à peu près tous les chantiers de restauration / restitution à Versailles sont mécénés par de grands entreprises ou fortunes (Galerie des Glaces, grille Royale, dorures des toits, Petit Trianon, statue Louis XIV, Garde-robe de Louis XVI...), que les salaires des fonctionnaires du domaine sont pris en charge directement par le ministère de la Culture et que les travaux du GRAND VERSAILLES lancé en 2003 se poursuivent grâce à une importante subvention de l’Etat - 500 M€ sur 17 ans - rallongée de 3 M€ cette année dans le cadre du plan de Relance ; et quid des recettes de la société privée CHÂTEAU DE VERSAILLES SPECTACLES qui ne rend aucun compte public ? Alors ?
Malgré tout, pour être un bon citoyen, il faudrait, sans rechigner, payer un droit d’entrée au domaine de Versailles de plus en plus élevé - des droits d’entrée devrions-nous dire : pour visiter le Château, pour l’audioguide, pour le petit train, pour entrer en voiture dans le parc, pour visiter le Domaine de Marie-Antoinette, etc - mais aussi mécéner le banc sur lequel on s’asseoit avant qu’il ne tombe en ruine… et accessoirement payer ses impôts dont une partie reviendra en subvention d’Etat au domaine. What else ?
Quant à la réflexion de Séréna Gavazzi, chef du service Mécénat au Château, pour convaincre de verser son obole, elle ne manque pas d’ironie - « Pour les Yvelinois, Versailles est lié aux souvenirs d’enfance, aux promenades du dimanche… Un banc est très poétique » - alors que les mêmes se voient peu à peu chassés de « leur » parc du fait de sa mise sous douane grignotante. Il n’y a qu’à lire les messages joints à notre notre pétition et sur Facebook, ceux du groupe " Versaillais, le bassin de Neptune est à nous ! pour en mesurer toute la colère et la tristesse.
ART CONTEMPORAIN OU RESTAURATION ?
N’y a-t-il pas de l’indécence à solliciter le public pour 3 800 euros le banc quand l’établissement n’hésite pas à dépenser, chaque année, presque cent fois plus, soit 300 000 euros pour l’événement VERSAILLES OFF comme ce fut le cas l’année dernière avec l’exposition JEFF KOONS VERSAILLES [4], manifestation d’Art contemporain qui, en dehors de toute polémique esthétique, ne rentre pas vraiment dans ses missions dont la première entre toutes est de protéger le site des outrages du temps. Combien de projets de restauration, faute d’argent, restent depuis des années en rade dont les plus urgents sont le Bassin de Latone très dégradé ou la Maison de la Reine au Hameau qui pourrit d’humidité [5] ? Indécence encore quand l’on songe à tous ces musées, en Région, qui se contenteraient du dixième des recettes de Versailles.
N’y a-t-il pas une inversion des priorités réellement choquante et de plus en plus criante à Versailles ?
De même, combien va coûter à l’établissement public l’événement de la rentrée VEILHAN VERSAILLES du nom du plasticien français invité à succéder à Koons ? Si ses œuvres doivent théoriquement être financées par le privé, c’est-à-dire achetées, leur recherche revient à la charge du service Mécénat du Château : huit pièces ou ensembles d’un coût allant de 25 000 à 200 000 € pour un budget global de 1,4 million d’euros [6], parmi lesquelles « Le Carosse » qui accueillera le visiteur dans la cour d’honneur et dont on apprend qu’il est le fruit d’une commande publique du Centre national des arts plastiques (CNAP) sans que le montant ne soit pour autant révélé. L’œuvre violette en tôle pliée et soudée, longue de 15 mètres et pesant plus de 3 tonnes, inscrite aux inventaires du fonds national d’art contemporain fera ainsi partie de la collection d’œuvres d’art de l’État… grâce à nos impôts.
Qu’on n’attende pas de nous une attaque du travail de Xavier Veilhan qui, personnellement, nous enthousiasme et dont le choix nous semble beaucoup plus judicieux que l’intervention de J. Koons l’année dernière en cela que les œuvres proposées cette année sont créées spécialement pour l’occasion accompagnée d’une vraie réflexion sur leur intégration et leur présence dans le cadre historique de Versailles. Sa participation n’est pas en cause et on ne peut que se réjouir, pour un artiste de sa génération, de pouvoir bénéficier d’une telle vitrine.
Mais la stratégie inavouée d’Aillagon d’utiliser l’Art contemporain comme événement marketing pour attirer l’attention des médias sur le domaine - ce qui, de ce point de vue est un succès incontestable tandis que l’adhésion du public reste encore à prouver malgré toute l’intox du Château - en espérant des retombées touristiques, n’aurait-elle pas plutôt comme conséquence d’éloigner les mécènes d’ingrates restaurations historiques pour préférer soutenir l’événement tendance que constitue l’immixtion pseudo-scandaleuse de l’AC à Versailles comme le nomment ses détracteurs et qui ne manqueront pas, encore cette année, d’en être « les meilleurs promoteurs » comme M. Aillagon le reconnaît désormais assez cyniquement [7].
La médiatisation dans « l’éventail de contreparties attractives » est d’ailleurs l’argument choc utilisé par le service de Séréna Gavazzi pour convaincre d’éventuels mécènes à participer à VEILHAN VERSAILLES : « A titre indicatif, pour l’exposition Jeff Koons Versailles : plus de 1300 articles de presse française, 500 articles de presse étrangère, 90 sujets télé et 90 sujets radio, plus de 300 journalistes présents » peut-on lire dans le dossier de mécénat. La restauration du Bassin de Latone créerait-elle un tel raout ? évidemment non. Et c’est bien là tout le problème [8]
KING OF MARKETING
Mais question marketing, le Château de Versailles est devenu le roi avec ses désormais concerts inattendus comme celui du chanteur Christophe qui font du site classé une salle de spectacle prestigieuse parmi d’autres, avec une programmation de plus en plus éclectique et de moins en moins en rapport avec son cadre et sa mission, pour le plaisir de tous bien sûr.
Ou encore sa deuxième édition du Déjeuner sur l’herbe - pour ne pas dire pique-nique ça fait trop popu on est quand même à Versailles ! - du 14 juillet prochain qui en est un parfait exemple. Déjà, contrairement à ce que le Château veut laisser croire, l’initiative ne lui revient pas mais s’inscrit dans l’événement "Les Pique-niques animés des Yvelines » organisés de la fin mai jusqu’à juillet dans une quarantaine de sites touristiques et de communes par le Conseil général des Yvelines en collaboration avec le Comité Départemental du Tourisme. Un événement qui ne doit pas coûter bien cher à l’établissement, si ce n’est rien, avec la participation de producteurs locaux qui, imagine-t-on, doivent payer leur présence et financer ainsi le décorum (bottes de paille, nappes en papier...) [9] mais qui doit lui rapporter pas mal en terme d’image.
Un grand rassemblement convivial qui sonne faux au domaine de Versailles alors que sa politique commerciale est on ne peut plus anti-démocratique. Son apologie une fois dans l’année de la République avec distribution de cocardes tricolores est quelque peu ridicule alors que ses boutiques regorgent de fleurs de lys, de médailles louis XIV ou de coussins Marie-Antoinette et que le domaine ne vit qu’à travers le souvenirs de la monarchie défunte. L’invitation à tous à participer au Déjeuner car c’est entrée libre dixit l’affiche alors que le grand parc l’est toute l’année est plutôt original alors qu’en revanche, ce jour de fête nationale, les Grandes Eaux, le Château et le Domaine de Marie-Antoinette restent payants. Pour info, le même jour, le musée du Louvre, à Paris, lui, est gratuit.
[1] Parmi les 170 bancs concernés, 92 sont en marbre et 78 en pierre. Ceux actuellement en place dans les jardins, nous dit le dossier officiel « sont pour la plupart dans un mauvais état de conservation (cassures, fractures, défauts de stabilité, état général dégradé, etc.). Des travaux de restauration, de traitement de surface et de nettoyage sont nécessaires pour leur rendre leur éclat et parfaire le vaste programme de mise en valeur du Jardin. Les interventions prévues entre 2009 et 2010 concerneront en priorité 50 bancs, dont 15 en pierre actuellement déposés dans les réserves du Château. Ces derniers seront remis en place, après restauration, dans le bosquet de l’Obélisque, autour du bassin de Neptune et dans le bosquet du Dauphin ».
[2] « Versailles : les bancs du château à adopter », AFP | 09.07.09.
[3] « L’établissement public du château de Versailles, insuffisamment doté en offre de sanitaires au public, a commencé à aménager depuis 2008 de nouveaux blocs sanitaires grâce au mécénat d’Ideal Standard. Ce premier espace ouvert depuis juin 2008 dans la cour Royale comprend des sanitaires hommes et femmes ainsi qu’une table à langer. Il est accessible aux personnes à mobilité réduite. » Conférence de presse de J.-J. Aillagon | 23.01.09.
[4] Le budget total de l’événement Koons était de 1,9 millions d’euros dont 800 000 € pour le Split Rocker financé par François Pinault, 300 000€ restant à la charge de l’établissement, budget des précédents VERSAILLES OFF. Chiffres confirmés par M. Aillagon dans son interview à La Tribune de l’Art | 29.09.08
[5] Projets de restauration en attente faute de financement. Au Château : le Cabinet d’Angle du Roi (850 000€), le Cabinet de la Méridienne (600 000€), les grilles de l’Orangerie et la grille d’Honneur (4 220 000€), la Petite Orangerie (1 000 000 €), le Bassin de Latone (6 500 000 €) ; au Petit Trianon : le Belvédère et son rocher (500 000€), la Laiterie de Propreté (580 000€), la Maison de la Reine (3 860 000€) Sources : EPV.
[6] Le coût des œuvres provient du dossier de recherche en mécénat du Château pour l’événement VEILHAN VERSAILLES. Le budget global est cité par l’AFP : « Après le homard de Jeff Koons, un jet d’eau et des architectes à Versailles », 18.06.09.
[7] « Jean-Jacques Aillagon, le président de l’établissement public, a rappelé que Versailles était »une maison vivante« , ironisant sur les »détracteurs qui auront été les meilleurs promoteurs« de l’exposition Jeff Koons. » Ibid, AFP.
[8] Ce que nous ne parvenons pas à comprendre, c’est pourquoi l’Art contemporain à Versailles ne naît pas d’un partenariat avec une institution publique comme le Centre Georges Pompidou ou le Palais de Tokyo dont ce sont justement les missions de soutenir la création contemporaine d’autant que le commissaire depuis le début de VERSAILLES OFF et autres manifestation contemporaines dans le domaine n’est autre que Laurent Le Bon, conservateur du patrimoine au sein du Musée national d’art moderne du Centre Pompidou et directeur du projet du Centre Pompidou-Metz voulu par M.Aillagon du temps de sa présidence du Centre.
[9] Nous découvrons que l’événement est de plus sponsorisé par les sociétés TRUFFAUT et MICHEL ET AUGUSTIN.