14.06.2015 | ON NE VA PAS À YERRES pour visiter une demeure d’artiste. Pas encore. Classée au titre des Monuments historiques, labellisée Maison des Illustres en 2012, la Propriété Caillebotte, occupée aux beaux jours par la famille du peintre du temps de sa jeunesse, de 1860 à 1879, n’offre pas totalement ce saut dans le temps qu’on éprouve, plus ou moins authentique, en d’autres lieux, de la maison de Monet à Giverny à celle de Jean Cocteau à Milly-la-Forêt. Actuellement, la grande et blanche demeure néo-classique d’inspiration italienne est vide de souvenirs. Mais cela devrait changer dans deux ou trois ans. La remeubler comme au temps de Caillebotte, c’est le grand projet de cette commune de l’Essonne de 30.000 habitants dont le maire, depuis 20 ans, se trouve être l’homme politique Nicolas Dupont-Aignan.
La municipalité, propriétaire des lieux, mise avec raison sur l’intérêt grandissant pour Gustave Caillebotte (1848-1894), ce personnage fascinant aux multiples facettes, ami et grand mécène des impressionnistes, derrière lesquels le peintre de talent est longtemps resté caché. Ses équipes travaillent ardemment à la décoration intérieure de la maison, avec l’aide d’un spécialiste dont elle ne souhaite pas encore révéler l’identité. Jacques Garcia ? Il parait que non. Cependant, faute d’archives et de documents suffisants - dans l’oeuvre de Caillebotte, une seule toile par exemple montre l’une des pièces -, il s’agira sans doute plus d’une évocation que d’une reconstitution au sens strict. A suivre [1].
En revanche, la présence du peintre se fait bien sentir dans l’agréable parc à l’anglaise attenant - d’accès gratuit -, que borde la rivière Yerres sur laquelle il découvrit les joies du yachting, passion qui supplantera chez lui toutes les autres, activité qu’il est toujours possible de pratiquer aujourd’hui en louant barque ou canoë. La dizaine d’hectares a fait l’objet d’un programme de réhabilitation depuis 1998 et d’une intervention du paysagiste Louis Benech, afin de restituer l’atmosphère que l’on retrouve dans les 80 toiles que l’artiste y a peint durant quelques années. Pour s’en faire une idée, il est proposé à la location une tablette tactile qui permet de superposer en réalité augmentée, depuis des points de vue précis, quelques-unes d’entre elles.
Au gré de la promenade, on découvre des fabriques disséminées dans le parc, antérieures à l’occupation des Caillebotte, à l’exception d’une minuscule chapelle construite pour l’un des fils, prêtre, dernière à être restaurée : une orangerie, une grande glacière surmontée d’un kiosque indo-chinois, une chaumière normande, un banc couvert japonais… Au fond du parc, de hauts murs masquent un potager que le père Caillebotte avait fait agrandir et que Gustave peignit plusieurs fois. Il est aujourd’hui géré par une association et ouvert essentiellement le dimanche. On y voit toujours la haute pompe qui puisait l’eau directement dans la rivière, de l’autre côté du mur.
En revenant vers la maison, on est surpris par le caractère pittoresque d’un grand chalet suisse, à l’extrémité de la Ferme ornée aménagée en 2008 en salle d’exposition. Celle accueillie l’année dernière a fait date. « Caillebotte à Yerres, au temps de l’Impressionnisme » dont le commissaire n’était autre que Serge Lemoine, ancien président du musée d’Orsay, a accueilli près de 113.000 visiteurs. Une fréquentation énorme pour un lieu encore confidentiel, situé à seulement 25 kilomètres de Paris. Récompense de décennies d’effort pour faire revivre le lieu, intégré désormais dans le réseau des sites et villes impressionnistes, de Normandie à l’Ile-de-France.
Cette année, est présentée jusqu’au 5 juillet une exposition de moindre envergure, mais difficile d’être au même niveau. Placée sous le commissariat de Charles Villeneuve de Janti, directeur du Musée des Beaux-Arts de Nancy où elle a été déjà présentée, « Les Rouart : de l’impressionnisme au réalisme magique » dresse le panorama artistique d’une famille sur trois générations, dont l’illustre rejeton est l’écrivain, journaliste et académicien Jean-Marie Rouart, les prêts venant essentiellement de sa famille. 130 œuvres d’Henri Rouart (1833-1912), riche industriel et collectionneur éclairé (voisin à Paris des Caillebotte), de son fils Ernest (1874-1942) et de son petit-fils Augustin (1907-1997), plus quelques oeuvres de maîtres : Degas, Berthe Morisot, Maurice Denis.
Pour les Rouart, ce serait mentir de parler de grands peintres. Ils ne le prétendaient d’ailleurs pas. Il s’agissait plutôt pour chacun d’eux d’une passion dévorante, même s’ils ont pu, comme Henri, exposer aux côtés des plus grands. Dans l’ombre écrasante des maîtres, amis ou collectionnés, aucun d’eux n’aspira vraiment à la reconnaissance. Cela donne une production inégale, touchante par sa dimension familiale, d’où surnagent de belles toiles, dans des styles assez disparates. Plus fascinant peut-être est leur environnement assez exceptionnel. Le premier, marié à une descendante de l’ébéniste Jacob-Desmalter, était l’élève de Corot et le meilleur ami de Degas, lequel eut comme unique élève le second qui épousa Julie Manet, fille de Berthe Morisot et nièce de Manet, qui peignait aussi, quand le troisième a pu être influencé par Maurice Denis, ami de la famille. Dans cette saga généalogico-artistique étourdissante, on croise aussi Paul Valéry qui se maria en même temps qu’Ernest Rouart, tous deux épousant des cousines, quand Eugène, frère de ce dernier, marié à une fille du peintre Henry Lerolle, modèle avec sa sœur pour Renoir, était accessoirement le petit ami d’André Gide.
De toutes façons, en plus de la promenade dans le parc, il n’y a aucune raison de se priver de l’exposition puisque elle est gratuite, contrairement à l’année dernière. Information intéressante : pour les organisateurs, le calcul a été vite fait. Au regard de la fréquentation prévue, un dispositif d’accueil payant aurait plus coûté qu’il n’en aurait rapporté. Aussi, il a été préféré la mise à disposition d’urnes à don, intelligemment valorisées. Mieux que dans les musées de la Ville de Paris, rare autre endroit à utiliser ce dispositif, peu choyé en France. Aussi, ne pas hésiter à donner pour que la Propriété Caillebotte puisse continuer à se développer et à entretenir la mémoire du grand peintre.
INFOS PRATIQUES
proprietecaillebotte.com
La Propriété Caillebotte, 8, rue de Concy, 91330 Yerres
Accessible en transports en commun : 20 minutes par le RER D de Paris depuis la gare de Lyon (direction Melun, arrêt Yerres), puis à 7 minutes à pied ou en bus.
Entrée gratuite, comme l’exposition « Les Rouart : de l’impressionnisme au réalisme magique », jusqu’au 5 juillet 2015.
Conférence « Les Rouart » le 19 juin, avec Jean-Marie Rouart et Dominique Bona. Gratuit sur inscription.
Facebook : laproprietecaillebotte
Twitter : @caillebotte2014
[1] Invité par la Propriété Caillebotte en visite blogueurs (transport, conférencier, déjeuner, affiche & catalogue d’exposition), 03.06.2015. En présence de l’adjointe à la Culture, de la directrice des Affaires culturelles et de la responsable de la communication de la Ville de Yerres.