29.10.2023 l TRAPU, IL N’EN DÉGAGE PAS MOINS une certaine élégance, avec ce mélange de briques rouges et noires, et de pierres blanches. Flanquée de quatre tours massives, la demeure, construite à la fin du 15e siècle dans un style flamand par un riche armateur, notable de Rouen à seulement 15 km, gagne en légèreté quand son héritier de neveu fait combler les douves, agrandir les fenêtres, ajouter un portail décoré en façade... Niché dans un petit village campagnard, à côté d’une ravissante église, le château de Martainville, qui semble n’avoir pas changé depuis, est un magnifique exemple de la Renaissance normande.
L’intérieur aussi, étonne par son plan primitif simplissime : un large couloir central distribuant deux grandes pièces de chaque côté et un escalier en colimaçon au bout, et ce, sur plusieurs étages. Entouré de vergers, des pommiers évidemment, et agrémenté aujourd’hui d’un beau jardin, médiéval par son tracé, contemporain par ses essences, le château a conservé ses dépendances, pigeonnier ou grange au toit de chaume surmonté d’iris à la mode normande. Propriété de la même famille, anoblie entre temps, jusqu’en 1781, il se résume ensuite à sa fonction de domaine agricole, de moins en moins entretenu. Classé Monument Historique en 1889, l’Etat le rachète, vide, en 1906 avant de le confier au département de la Seine-Maritime qui a la bonne idée d’y installer, en 1961, un Musée des traditions et des arts normands.
C’est là, au rez-de-chaussée, que se tient une petite exposition en taille mais fascinante par son sujet, sur la tradition du trousseau de mariage qui a perduré, en Normandie, jusque dans les années 1960 ! Pour preuve, la participation de Marie-Françoise, une dame retraitée, qui a prêté le sien. A partir de l’âge de 12 ans, sa première communion effectuée, la jeune fille commençait à constituer son trousseau de mariage, c’est-à-dire un ensemble de linges de maison brodés de ses initiales et, selon son inspiration, de motifs trouvés par exemple dans des revues spécialisées (draps, nappes, torchons, mouchoirs...) et de linges de corps (chemises de nuit, jupons, coiffes, bonnets...). Mais, quoi qu’il arriva, en cas de divorce par exemple (fort rare), le trousseau, marqué de son nom de jeune fille, restait sa propriété, la dot étant une affaire masculine, du père à l’époux. Dans certaines familles rurales, la jeune fille tissait elle-même le lin servant à son trousseau. On comprend d’où viennent les contes de fées.
On voit bien, par cette coutume remontant au 14e siècle mais qui prit un nouvel essor au 19e avec la facilité d’acquisition du linge de maison grâce aux grands magasins, à quel point la femme était reléguée à la sphère domestique et au domaine de l’intime, et soumise à l’ordre patriarcal, son destin d’épouse tout tracé. Cela allait de pair avec l’apprentissage de la couture, à même d’occuper son temps libre (et ses pensées), le soir ou les jours d’inactivité dans le monde agricole. Perpétuant un savoir-faire, certaines jeunes filles pouvaient développer une véritable passion pour les travaux d’aiguille comme l’on disait. La pratique du trousseau était vivante dans toutes les classes sociales, y compris dans les milieux aisés. Seule différence, la jeune fille riche pouvait le faire fabriquer par une couturière ou l’acheter tout fait, comme au Bon Marché ouvert à Paris en 1852.
Le mot trousseau signifie étymologiquement « mettre en paquet ». On le comprend en découvrant les piles de linges soigneusement rangées, nouées par des rubans, dans l’une de ses fameuses armoires normandes, présentées lors du mariage ouvertes pour que les invité·es admirent le trousseau de la mariée et le niveau de richesse des parents, le tout béni par un prêtre. Les moins fortunées se contentaient de coffres, très joliment peints de motifs. Le musée en possède une magnifique collection et qui a fait l’objet d’une exposition précédente. La composition des trousseaux de mariage est connue également par les contrats de mariage qui en donnait le détail.
Certains trousseaux pouvaient être accompagnés de coiffes et de bonnets, d’usage quotidien ou pour de grandes occasions. Le musée a ainsi acquis un ensemble exceptionnel provenant de l’Eure et datant d’environ 1830 avec des coiffes de type « pierrot » dont les bords ressemblent à des ailes d’oiseaux dépliés. On découvre avec fascination que la coiffe n’était pas d’un seul tenant mais composée de plusieurs couches, plus ou moins rigides.
Par ses heureuses coïncidences de montage d’exposition, le musée a rencontré Elsa Duault, jeune artiste résident dans l’Eure et menant un double projet : sculpter des draps anciens brodés, récupérés sur Le Bon Coin ou ailleurs, les teindre, les torsader, en faire comme des rosaces ; collecter la parole de femmes, normandes, aujourd’hui âgées, sur cette tradition quasi perdue du trousseau de mariage. Cela donne des entretiens précieux à lire ou à écouter à partir d’un QR code et sur Youtube. Toute une mémoire sauvée de l’oubli et un focus sur la condition féminine qui nous semble d’un autre temps. Un double travail qu’elle poursuit à travers l’association Mémoire·s qu’elle a fondée.
L’exposition résonne dans les étages, avec les collections permanentes du musée, notamment en découvrant une salle consacrée aux armoires normandes aux motifs signifiants, illustrant par exemple la profession des propriétaires, ou un bel ensemble de coffres de mariage peints. Outre des collections textiles d’habits populaires particulièrement riches, le musée possède un ensemble remarquable d’instruments de musique comprenant des exemplaires de céciliums qu’on ne trouve qu’en Normandie. D’une forme approchant le luth mais s’appréhendant comme un violoncelle, il n’en est pas moins à vent et à clavier !
Un regard encore au jardin qui s’ouvre vers le lointain, et il est déjà temps de repartir.
EXPOSITION « MON TROUSSEAU DE MARIAGE »
14 octobre 2023 - 14 janvier 2024
5€ / Gratuit
Catalogue : 10€
Château de Martainville - Musée des traditions et arts normands
Route du Château
76116 Martainville-Epreville
www.chateaudemartainville.fr
Conditions de visite :: 11 octobre 2023, voyage de presse sur invitation de l’agence Observatoire : car, déjeuner, visite, catalogue.