01.02.2018 | « IL FAUT D’URGENCE faire payer l’entrée des cathédrales. On est le seul pays où leur accès est gratuit ». On se souvient de la volée de bois vert que Stéphane Bern s’est pris en lancant cette idée en novembre dernier, dans le cadre de la mission de réflexion sur le sauvetage du patrimoine que lui a confiée le Président Emmanuel Macron. Réactions hostiles de politiques et rejet immédiat de l’Eglise catholique qui, via un communiqué de la Conférence des évêques de France, a rappelé son attachement à un accès libre de monuments considérés avant tout comme des lieux de prière : « Les cathédrales sont des lieux d’expression d’une foi vivante, pas des musées ». Devant la fronde, Stéphane Bern a remballé (provisoirement) son idée. Blessé, il pensa même à renoncer à sa mission.
Pourtant l’argent circule déjà bien dans les cathédrales. Plusieurs parties, non cultuelles, sont ouvertes à la visite contre un droit d’entrée payant, circuits gérés non par l’Eglise mais par le Centre des monuments nationaux (CMN). C’est le cas des cathédrales d’Amiens (tours et trésor), de Bourges (tour et crypte), de Chartres (tour et trésor), du Puy-en-Velay (cloître), de Paris (tours), de Reims (tours), de la basilique-cathédrale de Saint-Denis et de Tours (cloître de la Psalette). Mais curieusement, ce que nous a confirmé ce matin en conférence de presse son président Philippe Bélaval qui présentait les projets à venir de son établissement, les recettes, qui peuvent être substantielles, retombent dans l’escarcelle du CMN sans du tout être réinvesties pour la restauration de ces mêmes cathédrales pourtant en grand besoin, à la charge de l’Etat.
Recettes 2016 / Cathédrales CMN | |
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Amiens | 23 130 € |
Bourges | 108 248 € |
Chartres | 85 720 € |
Puy-en-Velay | 102 065 € |
Paris | 2 551 718 € |
Reims | 18 743 € |
Saint-Denis | 689 806 € |
Tours | 32 332 € |
A la question de savoir s’il n’y a pas un hiatus, surtout concernant Notre Dame de Paris dont les tours recoivent un très grand nombre de visiteurs (436 891 en 2017 pour un droit d’entrée de 10 euros en tarif plein) et éventuellement Saint-Denis (127 319 visiteurs/9€) et Reims (94 109 visiteurs/8€), M. Bélaval a reconnu avec franchise que oui, admettant que « la situation mériterait une remise à plat » [1]. Que ce soit l’institution qu’il préside, l’Etat ou l’Eglise, il estime que personne ne craint de « soulever le sujet », en le qualifiant toutefois d’« extrêmement difficile » du fait du caractère religieux de bâtiments soumis à la loi de séparation des Églises et de l’État, dite de 1905. C’est pourquoi, il reproche à Stéphane Bern « d’avoir lancé l’idée de manière un peu brutale », celle d’en faire payer l’entrée.
Si, donc, le CMN n’est pas opposé à une redistribution des recettes générées par les visites partielles des cathédrales, son président évoque cependant une situation « pleine de zones d’ombres » taclant cette fois gentiment l’Eglise. Car si, dans son communiqué, celle-ci rappelle très justement que la loi de 1905 interdit elle-même de faire payer l’entrée des lieux de culte - « La visite des édifices et l’exposition des objets mobiliers classés seront publiques : elles ne pourront donner lieu à aucune taxe ni redevance » (art.17) -, elle omet de préciser qu’elle fait déjà payer ici ou là l’accès aux cryptes et autres trésors (4€ à Notre Dame de Paris) « au mépris des principes de la loi de 1905 » selon Philippe Bélaval, des services (5€ l’audioguide pour une visite commentée de la cathédrale de Paris) et tient partout boutiques. Toujours est-il que le moment est sans doute venu d’éclaircir la situation, au bénéfice de l’entretien des cathédrales. Tout le monde serait gagnant. Le CMN y est ouvert.
[1] Les autres cathédrales concernées recevant un relativement faible nombre de visiteurs, le sujet est moins sensible : Amiens (12.192 visiteurs en 2017), Chartres (6.714 contre 27.876 en 2016), Puy-en-Velay (30.132).