15.02.2018 | POUR QUI S’INTÉRESSE à l’architecture et aux monuments historiques, la revue Monumental est incontournable. Quoique difficile à caser dans une bibliothèque de par son format extra large en adéquation avec son objet... Je plaisante car sa maquette est très belle. Editée chaque semestre par le Centre des monuments nationaux, elle fait le point sur les chantiers de restauration en cours, traite de thématiques particulières, réservant plusieurs pages à une question technique, cette fois-ci celle du bois.
Le dossier de ce numéro est particulièrement passionnant puisqu’il se penche sur le musée-monument. Qu’il soit le résultat d’un changement d’affectation comme ce fut le cas pour les premiers musées français à l’instar du Louvre installé en 1793 dans un palais, suivi de nombreux musées en région nichés dans « des édifices d’un intérêt patrimonial notoire ». Ce qui permit de les préserver, voire de les sauver. Près de deux cents ans plus tard, un second mouvement vit la reconsersion d’édifices utilitaires comme le musée d’Orsay dans une gare, La Piscine à Roubaix ou encore les Abattoirs à Toulouse. Ou qu’il soit le fruit d’une muséification du bâtiment lui-même quand, construit spécifiquement pour accueillir des collections, on finit par le considérer suffisamment emblématique pour le protéger à son tour au titre des monuments historiques. C’est le cas par exemple du LaM construit à Villeneuve-d’Ascq en 1983 par l’architecte Roland Simounet, à qui l’on doit également le trop peu connu musée de Préhistoire d’Île-de-France, à Nemours, qui l’est aussi avec tous ses dispositifs de présentation, prolongement de son architecture.
Un enchevêtrement qui n’est pas sans poser un certain nombre de difficultés quand il s’agit de mettre au goût du jour la muséographie, de renouveler son environnement technique, poussé par le progrès et la réglementation, ainsi que les dispositifs d’accueil du public toujours plus élargis. Ce que formule finement dans l’éditorial Françoise Bercé, inspectrice générale des monuments historiques, parlant de « tension entre la préservation du monument et la présentation du musée ».
Différentes solutions s’offrent alors, illustrées par plusieurs cas évoqués ici, chantiers récents ou en cours qui concernent des établissements de tout type (national, municipal, régional, privé) : le musée des Beaux-arts de Dijon installé dans l’ancien palais des ducs et des Etats de Bourgogne, qui a bénéficié d’une restructuration pas encore achevée et non sans débat (2008-2019) ; le musée de Cluny à Paris, dédié au Moyen Âge, qui associe sur son périmètre vestiges gallo-romains et hôtel médiéval, auquel sera ajouté un bâtiment d’accueil moderne (Cluny 4, 2015-2020) ; le musée Unterlinden à Colmar, qui, depuis un ancien couvent de dominicaines, s’est agrandi, se reliant, via une une galerie d’exposition souterraine, à d’anciens bains municipaux Belle Epoque et à une aile contemporaine, le tout groupé autour d’une place (2012-2015) ; l’hôtel de La Monnaie qui rassemble, sur plusieurs bâtiments parisiens, ateliers de fabrication, espaces commerciaux et muséographiques (musée du 11 Conti) (2012-2019) ; la fondation Vasarely pour laquelle a été édifié à Aix-en-Provence en 1976 un édifice iconique désormais classé et rénové auquel il est prévu d’ajouter « une extension discrète » (2013) ; enfin, l’extraordinaire Familistère de Guise, dans le Nord, complexe d’habitation ouvrière du 19e siècle transformé en musée de site primé aux European Museum of the Year Award (2007-2014). Monumental donne la parole aux acteurs et actrices de ces chantiers, responsables de musée ou de DRAC, et architectes.
La solution la plus délicate pour la revitalisation d’un musée est évidemment la destruction d’éléments architecturaux ou muséographiques antérieurs considérés sur le moment comme accessoires ou datés, mais pouvant plus tard être regrettés. Comme au château de Versailles dont on sait qu’il a subi un effacement constant de ses strates 19e jusqu’à encore il y a peu. Ce qui rend d’autant plus curieux que Marie-Christine Labourdette, directrice des Musées de France, dans l’entretien qu’elle accorde à la revue, le cite en exemple. En revanche, ne niant pas certains excès passés, elle a raison de rappeler qu’un musée « est une institution en constante évolution et [que] le “musée du musée” ne peut constituer une solution », en dehors d’éléments à conserver comme témoignages [1]. Tout en s’émerveillant, paradoxalement et à juste titre, du charme de pas mal de muséums d’histoire naturelle qui, en France, pour tout un tas de raisons, sont restés dans leur jus, mais se retrouvant du coup inadaptés à une pédagogie d’aujourd’hui. A cet égard, la légère « rénovation » annoncée de la Galerie de Paléontologie et d’Anatomie comparée du Muséum national d’Histoire naturelle sera à suivre, tellement le pari semble difficile. Et de s’interroger : « Comment concilier ces exigences contraires ? ». Là est toute la question, qu’exprime également la citation des frères et historiens de l’art Jacques et Bruno Foucart ouvrant le dossier.
En effet, il n’est jamais facile d’outrepasser l’attachement sentimental que l’on peut éprouver pour un musée, le pensant inchangé de toute éternité, souvent à tort comme on avait pu s’en rendre compte avec l’histoire des musées de la Ville de Paris qui a fait l’objet d’un livre récent. Et on voit bien comment, à l’annonce de chaque grande rénovation, les mêmes réactions apeurées s’expriment, parfois de manière inconsidérée. Il est pourtant clair qu’un musée qui ne se renouvellerait pas, risque au mieux l’endormissement, au pire la mort à petit feu. Les exemples, hélas, existent, les visiteurs.euses se faisant de plus en plus rares. S’il n’y a rien de plus agaçant que l’expression dépoussiérer un musée, la nécessité de le faire évoluer reste pour autant vitale si l’on veut qu’il continue de remplir sa mission et ne soit pas juste un objet esthétique de plus en plus hermétique.
L’autre solution consiste à toucher le moins possible au bâtiment existant en lui adjoignant une extension moderne, ce qui entraine aussi son lot de problèmes. Et de polémiques, à cause de la rupture de style plus ou moins prononcée et appréciée, la Commission nationale des monuments historiques (CNMH) jouant alors un rôle d’arbitre.
On voit que rien n’est simple. Cependant, ces deux solution extrêmes ont l’avantage de ne pas céder à la tentation de délocaliser le musée tout entier pour investir un bâtiment flambant neuf car, comme le note Marie-Christine Labourdette, le musée rénové, souvent historiquement placé en centre ville, est un élément de « revitalisation du quartier qui l’entoure ». Ainsi, rappelle-t-elle que le musée n’est pas un élément isolé du territoire et reste un acteur du tissu urbain ou rural. Cependant, on pourrait plaider le contraire, en considérant qu’un musée migrant dans le quartier excentré d’une ville est aussi un moteur de valorisation, ce qui peut aussi avoir son intérêt. Aucune solution n’est idéale et chaque musée est, de par son histoire, un cas unique.
Avec ce sujet complexe et fascinant, ce numéro de Monumental s’aventure également hors de nos frontières, s’attardant sur un musée industriel d’ Athènes (Technopolis) - oui, il n’y a pas en Grèce que des ruines antiques -, voguant vers le Nomadic, étonnant transbordeur du Titanic vendu (bêtement ?) par la ville de Cherbourg à l’Irlande et se promenant dans quelques musées italiens...
MONUMENTAL 2017-2
Dossier Musées et monuments historiques
Editions du Patrimoine CMN
23 x 29.5, 132 pages, 30 euros
ISBN : 9782757705353
Fiche détaillée
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[1] A l’exception, qui confirme la règle, d’un lieu comme le musée Condé de Chantilly d’un grand intérêt patrimonial mais qui, s’il existe encore en l’état, l’est par exigence testamentaire.