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La mode au Louvre, (presque) comme chez elle

Bernard Hasquenoph | 10/03/2025 | 17:24 |


La première exposition mode du Louvre révèle les liens intimes qui unissent le palais des rois devenu musée, à l’art de se vêtir. Et plus largement, à l’industrie de luxe, non sans intérêt.

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Dries Van Noten & Louvre

10.03.2025 l RAREMENT AU LOUVRE, on aura vu d’habits somptueux « tant couverts de broderie et pierreries, qu’il n’était pas possible de les estimer ». Voilà des tenues de rêve qui auraient eu toute leur place à la très réussie exposition Louvre Couture. Objets d’art, objets de mode, qui confronte des pièces de mode contemporaines, certaines très récentes, aux collections d’objets d’art du musée. Si ce n’est qu’elles datent de plus de 400 ans et furent portées par le roi Henri 3 et son « premier mignon », le duc de Joyeuse, lors du mariage de ce dernier en 1581, les deux hommes arborant le même « habillement » selon le récit de Pierre de l’Estoile. Henri 3 fut sans conteste le plus fashion de nos rois, entraînant dans son sillage toute la Cour, comme lors des bals qui suivirent au palais du Louvre durant des jours et des jours.

Henri 3 ne faisait pas que porter l’habit, c’était un roi styliste. Le vêtement était pour lui l’expression de son humeur, tantôt féminine tantôt masculine, tantôt extravagante, tantôt minimaliste. Un roi Queer, sur lequel on a tout dit. Quand, en 1574, il apprit la mort de celle dont il était éperdument amoureux (platoniquement), il se fit confectionner un habit « tout couvert d’enseignes et de marques de mort » jusqu’aux rubans de ses souliers selon l’historien du 16e siècle Pierre Mathieu.

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Branle à la cour de Henri III, 1575/1600 l Manteaux de l’ordre du Saint-Esprit, Schiaparelli, Balmain, Dolce&Gabbana

On attribue aussi à la créativité d’Henri 3 les manteaux de velours noir bordé de fleurs de lys et de langues de feu, portés en procession par les membres de l’ordre du Saint-Esprit qu’il fonda en 1578. Rares habits que possède le musée du Louvre, on en voit des réinterprétations datant du 18e siècle, confrontées pour l’occasion à des créations couture de Daniel Roseberry (Schiaparelli, 2022), d’Olivier Rousteing (Balmain, 2023) et de Dolce&Gabbana (2021).

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Cortège nuptial de Napoléon et de Marie Louise d’Autriche, Zix Benjamin, 1810

Depuis le château médiéval, les occasions n’ont pas manqué à la mode pour s’exposer au Louvre : bals, mascarades, ballets, mariages, processions, cérémonies en tous genres... On peut même dire que la Grande Galerie a servi de catwalk à l’occasion du mariage de Napoléon et de Marie-Louise en 1810, le cortège défilant dans le jeune musée devant une assistance nombreuse disposée en haie, pour rejoindre le Salon carré transformé en chapelle.

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Iris van Herpen (2018) l Demna (Balenciaga, 2020)

Quant au Grand Salon des Appartements Napoléon 3 dans l’aile Richelieu, espaces d’habitation et de réception du ministre Achille Fould, il suffit d’y pénétrer pour imaginer les tenues éblouissantes qu’on devait y voir lors des bals et réceptions que les lieux accueillaient sous le Second Empire.

« LA TOILETTE EST VRAIMENT UN ART »
Le musée du Louvre, par sa richesse iconographique et l’omniprésence du costume représenté en art, va devenir un lieu d’inspiration pour les créateurs et créatrices de mode au 19e siècle. C’est ce qu’évoque un texte du catalogue de l’exposition Louvre Couture. C’est même une recommandation du journaliste Ali Coffignon dans un livre enquête qu’il publie en 1888 sur les coulisses de la mode. Le Louvre, comme lieu d’enseignement de l’histoire du costume, indispensable à la création contemporaine selon lui. Ce qui était vrai pour la France, devait l’être pour l’Angleterre. Le jeune Charles Frederick Worth, père de la haute couture qui n’a pas encore fondé sa maison à Paris, fréquente déjà vers 1840 la National Gallery où il s’extasie devant les portraits de reines.

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Rick Owens (2020) l Versace (2002)

Un conseil que n’aurait pas rejeté l’historien de l’art Eugène Müntz qui donna une conférence le 29 mars 1897 à 14h dans le Salon carré du Louvre, à la demande du Comité des dames, section de l’Union centrale des Arts décoratifs créée pour promouvoir la création féminine dans les arts dits mineurs. Inaugurant une série de quatre conférences sur « l’art dans la toilette des femmes », celle-ci portait sur « l’esthétique du costume dans les temps anciens », rapporte la revue La Femme dans un compte-rendu très complet. Que la mode ait toute sa place au Louvre, personne ne dut en douter ce jour-là, les propos de l’historien résonnant de manière étonnamment moderne. Plus même, parfois, que ce qu’on entend aujourd’hui.

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Scène reconstituée par IA l Eugène Müntz, v.1900

A près de 130 ans de distance, c’est comme si cet éminent conservateur, bibliothécaire et professeur à l’Ecole nationale des beaux-arts légitimait l’exposition actuelle, quand il affirme que « la toilette est vraiment un art ». Lequel, comme les arts majeurs que sont l’architecture, la sculpture et la peinture, réclame, ordre, mesure et harmonie. D’ailleurs, mode et architecture sont, pour lui, intimement liés. On croirait entendre Cristóbal Balenciaga qui, à cette date, n’est encore qu’un bambin. Combien d’historien·nes de l’art n’admettent toujours pas la mode comme forme d’art ? A commencer par la présidente du Louvre elle-même, Laurence des Cars. Dans le documentaire réalisé par Loïc Prigent sur le montage de Louvre Couture, on l’entend répondre par la négative à cette question, reconnaissant néanmoins à ses fabricant·es la qualité d’artiste. En cela, elle ne fait qu’épouser le point de vue de grandes figures de la mode, tel Yves Saint-Laurent.

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Yves Saint-Laurent (1997) l Matthieu Blazy (Bottega Veneta, 2023)

Dans le catalogue, Matthieu Blazy, directeur de la création chez Bottega Veneta et depuis chez Chanel, rend compte de cette fluidité des définitions : « Les frontières entre l’art et la mode sont parfois ténues. Les deux disciplines partagent parfois une dimension créative, mais leurs finalités différent : l’une vise à la contemplation et à la réflexion, l’autre à l’usage et à la parure ». Débat sans fin qui se complexifie quand on sait que des groupes de luxe utilisent la dimension artistique comme outil marketing pour imposer, à une production secondaire, des prix exorbitants.

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Antiquités grecques, Louvre

Est-ce pour plaire à son auditoire ? Müntz va encore plus loin en plaçant, chronologiquement, l’art de la mode avant tous les autres, car répondant à « un besoin de parure inhérent à la nature humaine », activité développée initialement, croit-il, par les femmes qui seraient donc pionnières en matière de création. Loin d’être « frivole » énonce-t-il tel un sociologue, « la question du costume touche à la fois la religion, à la morale, à la politique et aux moeurs ». Après avoir dressé un historique de l’habillement puis donné son avis sur « les modes actuelles », prônant la simplicité à la grecque (pour lui, « l’idéal du costume féminin »), notre savant entraîna l’assistance dans les galeries du musée, pour des travaux pratiques. Une « conférence-promenade », comme elle est joliment qualifiée dans plusieurs journaux, forme là-aussi très moderne.

L’OMBRE DE CHRISTIAN LACROIX
L’histoire du costume fait aujourd’hui partie de l’enseignement de la mode et réciproquement, l’Ecole du Louvre, qui forme à l’histoire de l’art, propose des cours sur l’histoire de la mode et du vêtement. Celui qui incarne le mieux cette fusion parmi les talents contemporains, c’est Christian Lacroix. Dans le catalogue, Olivier Gabet, directeur du département des Objets d’art du Louvre et commissaire de l’exposition, le désigne comme pionnier en la matière, le décrivant comme « le couturier historien de l’art qui a l’âme d’un conservateur de musée ». Ce fut même sa vocation initiale, et il étudia justement à l’Ecole du Louvre avant de bifurquer vers la mode. Aventure flamboyante qui se termina tristement par la vente de sa marque en 2005 par LVMH, ses activités haute couture cessant en 2009.

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Olivier Gabet devant la robe « Musée du Louvre », Dior (1949) l Soir de vernissage, 23.01.2025

Pourtant, de manière surprenante, les créations de Christian Lacroix sont absentes de Louvre Couture. Ce que semble regretter Olivier Gabet lui-même : « C’est un peu le créateur qui plane sur toute cette exposition, avec lequel tout a commencé. C’est quelqu’un qui pourrait avoir son exposition au Louvre tout entier » [1]. Quelle peut être l’explication de cette criante absence ? Problème juridique ou refus de la marque ? Mystère. Toujours est-il que le Louvre, et le musée en général, reste un terrain privilégié d’exploration pour les gens de la mode. Ou d’autres grands musées à l’étranger, comme le Victoria and Albert Museum pour feu Alexander McQueen ou Jonathan Anderson qui fait partie de ses trustees.

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Alexander McQueen (2010, Givenchy 1997)

Le milieu de la mode constituerait même une population hyper-visiteuse, plus que la moyenne si l’on en croit les entretiens à lire dans le catalogue, de Jean-Charles de Castelbajac à Maria Grazia Chiuri, de Matthieu Blazy à Iris van Herpen. « J’appréhende le musée comme une ressource vivante, où l’on peut puiser une énergie créative nouvelle en réinterprétant le passé », explique Marine Serre. Erdem Moralioglu dit même être « un visiteur obsessionnel de musées et d’expositions ». Il existe cependant des exceptions. Simon Porte Jacquemus a découvert le Louvre en même temps que l’une de ses robes (inspirée par Versailles) y entrait pour l’événement.

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Erdem (2024) l Jacquemus (2023) l Louise Trotter (Carven, 2025)

La plupart entretient un rapport étroit avec l’histoire de l’art. Comment pourrait-il en être autrement pour un métier créatif ? Le fameux moodboard, ce mur d’images inspirantes qui accompagne l’éclosion d’une collection de mode, en est la preuve, incluant très souvent des reproductions d’oeuvres d’art et de pièces de musée. Dries Van Noten justifie ainsi la pratique, nécessaire dans le travail collectif du studio : « La première idée doit être à la fois visualisée et partagée : l’utilisation d’images du passé, d’oeuvres d’art ou d’autres éléments peut stimuler la conversation et ainsi enrichir cette première idée ». Avec la richesse, beaucoup constituent des collections fabuleuses, comme Worth et Jacques Doucet en leur temps, puis Yves Saint-Laurent, Karl Lagerfeld, Hubert de Gibenchy ou Marie-Louise Carven qui fit don en 1973, avec son mari René Grog, de 300 objets d’art au Louvre précisément. Une salle du département porte leur nom.

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Gianni Versace (1997) l Karl Lagerfeld (Chanel, 2019)

La visite d’une exposition peut aussi avoir une influence déterminante sur une nouvelle saison. Il en fut ainsi pour le dernier défilé de Gianni Versace inspiré par The Glory of Byzantium vue en 1997 au Met de New York et qui l’avait entraîné à se rendre ensuite à Ravenne pour admirer ses sublimes mosaïques d’or. De même, en 2018, Karl Lagerfeld flashe sur un meuble appartenant au Louvre, présenté lors de l’exposition La Fabrique du luxe. Les marchands merciers parisiens au XVIIIe siècle au musée Cognacq-Jay de Paris. Il en fait reproduire les motifs décoratifs sur une veste brodée pour sa collection d’été de chez Chanel, là aussi sa dernière.

MARIE-ANTOINETTE, PREMIÈRE INFLUENCEUSE MODE
Peut-être plus que tout autre métier d’art, les gens de mode ont une capacité à diluer les frontières temporelles (Iris Van Herpen avoue parfois « [se] perdre dans le temps » quand elle visite un musée) et à réactiver le passé comme s’il était juste endormi. Iris Van Herpen, encore, décrit ce glissement : « En tant que créatrice, je m’inspire des couleurs, des textures et des émotions d’hier pour imaginer l’esthétique de demain ». Louvre Couture met en scène cette symbiose et ce renouvellement constant des formes et des couleurs aux multiples références.

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Dries Van Noten (2017) l Mugler (1995)

Des emprunts à des matériaux sont parfois moins attendus, comme la tapisserie avec Dries Van Noten et Jean-Charles de Castelbajac, ou l’armure qui en fascine plus d’un, revisitée façon body somptueux pour Thierry Mugler (grâce au savoir-faire d’un carrossier en aviation !) ou en robe magistrale imprimée en 3D par Demna pour Balenciaga.

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Demna (Balenciaga, 2023) l Jean-Charles de Castelbajac (2010)

Plus que quiconque peut-être, John Galliano n’a cessé d’interroger l’histoire du costume, depuis son défilé de fin d’études en 1984 à l’école Central Saint Martins de Londres inspiré de la Révolution française jusqu’à ses années Dior où il puise abondamment dans le vestiaire du 18e siècle avec une fascination particulière - il n’est pas le seul - pour la reine Marie-Antoinette considérée comme la première influenceuse mode moderne, grâce aux mains expertes de sa « ministre des modes » Rose Bertin.

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John Galliano (Dior, 2005, 2006, 2004)

Le parcours sinueux de l’exposition épouse la chronologie des collections du département des Objets d’art, de Byzance à la Renaissance, du Haut Moyen Âge au 18e siècle, jusqu’au Second Empire. Une façon de faire connaître des salles du musée moins visitées - avec succès, si l’on en croit la foule qui s’y presse quand les lieux sont plutôt d’habitude déserts - et de mettre en valeur ses conservateurs et conservatrices qui signent, dans le catalogue, d’intéressants textes les obligeant à sortir de leur zone de confort et à se frotter à l’univers vaporeux de la mode.

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Charles de Vilmorin (2024) l Giambattista Valli (2018)

Pour éviter toute accusation de collusion avec les marques, le Louvre aurait essayé de ne privilégier personne. De toutes façons, l’exercice reste délicat quand le musée est déjà lié, depuis des années, au plus grand groupe de luxe LVMH, à travers deux de ses maisons les plus emblématiques, Louis Vuitton et Dior, pour du mécénat et des défilés à l’intérieur même de son enceinte. Et que penser du Grand Dîner du Louvre qui, chaque année, réunit ses mécènes et partenaires et qui, à l’occasion de Louvre Couture, s’est mué le 4 mars 2025, en début de Fashion Week, en Met Gala afin de récolter des fonds pour l’établissement. Une soirée éblouissante largement relayée par les médias du monde entier.

« C’est tout naturellement que le Louvre s’est tourné vers ses amis et mécènes, et vers les plus grandes maisons et plus importants créateurs prêteurs de l’exposition. Tous ont répondu présents », indiquait, en janvier 2025, le Louvre dans un communiqué. Plus de trente tables ont ainsi été proposées à la vente, pour 400 000 euros de plus collectés que le million visé. Dans la liste rendue publique des « mécènes et hôtes » du Grand Dîner, on retrouve quasi toutes les marques de Louvre Couture, présentes via leurs propriétaires.

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Communiqué de presse du Louvre, 05.03.2025

Curieuse situation qui voit un musée tendre la main aux prêteurs d’une exposition en cours et qui le fait savoir. Dans ces circonstances, peut-on faire autrement que de donner, à moins de passer pour un rat ? A se demander si le choix de ne pas puiser dans les réserves des grands musées de la mode, Palais Galliera ou Arts décoratifs, et de plutôt solliciter les maisons elles-mêmes, n’a pas été dicté dans ce seul but. Ce ne sera pas la première fois que le Louvre joue avec les règles du mécénat, comme on le verra dans un prochain article sur les défilés de mode qu’il accueille depuis plus de quarante ans et qui racontent une autre relation du musée à cette forme d’art, plus commerciale ◆ Bernard Hasquenoph

LOUVRE COUTURE. OBJETS D’ART, OBJETS DE MODE
Exposition
Commissariat : Olivier Gabet, assisté de Marie Brimicombe, historienne de l’art et de la mode
24 janvier - 21 juillet 2025
Musée + Exposition : 22 € / Gratuités habituelles
Musée du Louvre, Paris
www.louvre.fr

LOUVRE COUTURE. OBJETS D’ART, OBJETS DE MODE
Catalogue
Sous la direction d’Olivier Gabet
Edition La Martinière, 2025
272 pages
39,90 €

:: Bernard Hasquenoph | 10/03/2025 | 17:24 |

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NOTES

[1] Les Echos, 24.01.2025.



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UNE CITATION, DES CITATIONS
« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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