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Louvre, opération politique, renaissance amnésique

Bernard Hasquenoph | 2/02/2025 | 21:32 |


Les annonces présidentielles de travaux pharaoniques à venir pour le Louvre, estimés à environ 800 millions d’euros, font oublier des initiatives antérieures ayant mobilisé d’importants moyens et interrogent sur la pertinence de certaines idées, comme de transférer la Joconde… en zone inondable.

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La Joconde au Louvre, 01.2025

02.02.2025 l « INAUGURÉE EN 1989, la Pyramide d’I.M. Pei avait été conçue à l’origine pour accueillir 4,5 millions de visiteurs par an. Vingt-cinq ans plus tard, la fréquentation du musée s’établit à près de 10 millions de visiteurs. Le sous-dimensionnement des infrastructures d’accueil se traduisait par de réels désagréments : files d’attente, nuisances sonores, difficultés à s’orienter ». Ce constat ne date pas de la récente note confidentielle de la présidente-directrice du Louvre depuis 2021, Laurence des Cars, adressée à la ministre de la Culture, Rachida Dati, où elle s’alarme de la vétusté du palais, de sa surfréquentation, de son iconique pyramide aux « importantes lacunes », du Grand Louvre mitterrandien « structurellement dépassé ». Document opportunément divulgué par le Parisien qui déclencha cinq jours plus tard une conférence du président de la République lui-même au Louvre, devant la Joconde.

Emmanuel Macron annonça un programme pharaonique (non chiffré mais estimé à environ 800 millions d’euros), dénommé « Louvre Nouvelle Renaissance », pour propulser le premier musée français dans le 21e siècle. Si l’on ne peut que se réjouir de cette attention à l’heure des incertitudes budgétaires, la mise en scène avait de quoi étonner, d’autant plus que des propos similaires avaient été tenus publiquement par la même présidente du Louvre en avril 2024, lors d’une audition devant la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Elle y évoquait « les difficultés structurelles de l’établissement », réclamant à son ministère de tutelle l’impulsion d’ « un nouvel élan » et un « plan d’envergure » pour mettre à niveau le musée. Tout y était, mot pour mot.

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Le Louvre l E. Macron au Louvre, 28.01.2025, capt. d’écran

Alors, de qui vient la manipulation ? A qui profite cette opération de communication qui semble avoir été organisée dans la précipitation et qui ne s’accompagne, comme à l’habitude, d’aucun dossier de presse ? A vrai dire, aux trois parties. Charger l’état dégradé du vieux palais, qui reste constamment entretenu et réparé comme le montrent les propres rapports d’activité du musée malgré de récentes et inquiétantes fuites d’eau, permet de faire passer la décision de Rachida Dati de surtaxer le public étranger hors Union européenne à compter de janvier 2026. Mesure “discriminatoire” qu’aucun musée national ne réclame, encore moins leur personnel. Cela complexifiera encore plus l’accès aux bâtiments et entraînera toujours plus d’augmentation. Sans compter le signal délétère que cela renvoie, dans le contexte politique du moment, vis-à-vis des étrangers.

PLUS DE 50 MILLIONS D’EUROS POUR L’ACCUEIL
Si la présidente du Louvre, dans son allocution de bienvenue à Emmanuel Macron, a rapidement rendu hommage à ses prédécesseurs « loin d’être restés inactifs » face à ces enjeux (« Des investissements majeurs ont été réalisés mais le rythme de l’obsolescence s’est accéléré », a-t-elle déclaré), le traitement médiatique qui s’en suivit, ignora totalement ces initiatives pourtant pas si lointaines. Une amnésie qui servit magnifiquement le coup politique du Président et de sa ministre, plus que jamais en quête de visibilité et de popularité. Réussite d’une stratégie qui consiste à ignorer toutes les actions entreprises depuis des années, sous d’autres présidences.

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Laurence des Cars au Louvre, 28.01.2025, capt. d’écran l La pyramide en 2016

De 2014 à 2016, le projet Pyramide, initié en 2011 par l’ancien président du Louvre Jean-Luc Martinez avec le ministère de la Culture, mobilisa pas moins de 53,5 millions d’euros provenant des fonds du Louvre Abu Dhabi et de mécénats, somme jugée importante à l’époque, pour déjà « améliorer l’accueil des visiteurs » et « mieux organiser les espaces et les flux de visiteurs à l’intérieur et à l’extérieur de la pyramide ». La phrase introductive de notre article est extraite du communiqué de presse de son inauguration en juillet 2016.

Avec de réels résultats. L’entrée unique par la pyramide a ainsi été doublée, permettant de réduire d’autant le temps d’attente à l’extérieur, les files se divisant entre personnes avec ou sans réservation. L’accès souterrain, par le Carrousel, très fréquenté, a été réaménagé, de même que la double entrée, en surface, par le passage Richelieu, destinée à certains publics prioritaires (pas toujours ouverts depuis). Aussi, il est faux de dire qu’il n’y a qu’une seule entrée au Louvre. Il y en a, journellement, entre 3 et 4. Ces modifications ont réellement amélioré la situation.

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Comptoir sous la pyramide, en 2002 et 2025

Les espaces d’accueil sous la pyramide ont été également revus, travaux de désencombrement menés plutôt intelligemment par l’agence d’architecture Search. Exit le comptoir circulaire central qui rendait fou le personnel plongé dans un brouhaha continuel. Il a été remplacé par deux comptoirs intégrés aux murs et équipés d’amortisseurs phoniques. Le bruit est loin d’avoir disparu mais il a notablement diminué, au moins en ces endroits.

On peut parler aussi de la création d’un vestiaire avec de nombreux casiers, d’une nouvelle billetterie en retrait, de salles accueillantes pour les groupes et d’activités à l’arrière, de commerces en amont… Enfin, une nouvelle signalétique a été mise en place, pariant habilement sur l’image plutôt que sur le texte, afin d’être compréhensible intuitivement du plus grand monde. D’où les grands kakémonos aux trois entrées du musée, Richelieu, Sully et Denon. En revanche, le problème de la très grande chaleur en été sous la pyramide n’a, semble-t-il, pas été résolu.

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Sous la pyramide (2022), avec des kakémonos pour la signalétique (2021)

Dans les salles d’exposition, de la présidence Martinez, restent, et ce n’est pas rien pour la lisibilité des collections, la traduction programmée en deux langues (anglais et espagnol) des 38 000 cartels d’oeuvres, ce qui inclut une grande partie du public. A noter également la création en 2021 pour 5,45 millions d’euros du Studio (niv.-1, aile Richelieu), bel espace de repos et d’animation en libre accès, avec 9 salles d’activités équipées à l’arrière. Présence qui contredit Laurence des Cars quand elle affirme que « le visiteur ne dispose d’aucun espace lui permettant de faire une pause », d’autant qu’il est bien signalé sur le plan du musée comme « véritable espace de détente, d’échanges et de programmation ». Pourquoi ne pas reproduire la formule, à différentes échelles, à d’autres endroits du palais ?

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Le Studio au Louvre, 01.2025

En revanche, la Petite Galerie qui était un espace d’exposition à visée plus pédagogique (pas que pour les enfants, comme cela a pu être dit) a été supprimée, le même type d’activités se développant autrement. De même, le centre d’interprétation sur l’histoire du Louvre, appelé le Pavillon de l’Horloge (ou Centre Sheikh Zayed bin Sultan al Nahyan, en hommage au père fondateur des Émirats Arabes Unis ), a été depuis amputé de ses deux plus grandes salles.

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Deux salles sur l’histoire du Louvre (2025), avec une maquette (2016)

Il faut dire qu’il était malaisé de suivre un parcours sur trois niveaux, sans liaison directe entre ses différents espaces. Ne demeure que la partie essentiellement médiévale, placée, en sous-sol, à proximité des fondations du château, répartie en deux endroits avec la salle Saint-Louis enfin valorisée, les époques suivantes n’étant plus matérialisées que par de spectaculaires maquettes. Pourtant, sur le papier, l’idée était intéressante, mais, outre le problème spatial, le discours, au départ scientifique, se diluait à la fin en promotion pour les projets récents de l’établissement, sans réellement convaincre.

LA JOCONDE BIENTÔT ENTERRÉE SOUS LA COUR ?
La présidente du Louvre a posé, avec raison, la question de la surfréquentation, non sans paradoxe puisqu’elle a elle-même imposé pour le public, avec courage, un plafond de 30 000 personnes par jour tout en visant, pour un avenir proche, les 12 millions d’individus. Pour pouvoir gérer ce flux dantesque et mieux le répartir dans le palais, elle propose l’ouverture d’une entrée supplémentaire côté Colonnade de Perrault, rejoignant une préoccupation de la Ville de Paris qui souhaitait réaménager depuis longtemps cette zone urbaine incertaine, tout en pouvant compter sur le soutien d’un acteur économique de poids, le groupe LVMH qui cherche à attirer davantage de clientèle pour son établissement voisin de la Samaritaine, hôtel comme commerce.

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La Colonnade de Perrault, Louvre, 2020

Il faut savoir que cette idée qu’a fait sienne Laurence des Cars, n’est pas nouvelle. Elle était même incluse dans le dernier Projet Scientifique et Culturel (PSC) du Louvre, élaboré par son prédécesseur. « Une réflexion approfondie doit être menée sur la mise en valeur de la colonnade de Perrault, les fossés Saint-Germain-l’Auxerrois, sur la vacuité de l’espace urbain traversé par la rue de l’Amiral-de-Coligny, sur la restitution d’une entrée orientale monumentale et son incidence sur les parcours de visite », peut-on y lire (p.27 & 39). L’idée, pour le public, est séduisante, moins pour le personnel si l’on en croit les syndicats. Et au-delà de la faisabilité du projet estimé à plus de 300 millions d’euros, il nécessitera sans doute du personnel supplémentaire pour le faire vivre, ce qui ne va pas vraiment dans le sens souhaité par les politiques.

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La Joconde au Louvre, 2019

L’autre idée portée par la présidente du Louvre, déjà évoquée en avril 2024, est le transfert de la Joconde dans une salle qui lui serait entièrement dédiée pour désengorger la partie saturée du musée où elle se trouve actuellement, aile Denon, et rendre sa contemplation plus confortable (avec surtaxe), autant pour le public que pour le personnel. Sachant que la salle des Etats, Monna Lisa y est depuis 1966, a été réaménagée en 2019, après une rénovation de dix mois dont trois de fermeture, « pour fluidifier la circulation et ainsi améliorer la qualité de visite ».

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La cour Carrée du Louvre

En dehors du choix discutable d’isoler le chef-d’oeuvre du reste des collections, la zone imaginée et annoncée par le Président de la République laisse perplexe : dans de nouveaux espaces creusés sous la cour Carrée. En l’occurence, une zone inondable.

LE PLUS GRAND MUSÉE DU MONDE EN ZONE INONDABLE
En octobre 2019, après des années de prospectives et de polémiques, était inauguré, à Liévin (62), le Centre de conservation du Louvre voué à abriter 250 000 œuvres pour un budget de 60 millions d’euros dont 34,5 venant du musée même. Dans le dossier de presse, on pouvait lire : « Le musée de Louvre, situé en bord de Seine, présente une vulnérabilité importante face au risque de crue centennale, car il dispose d’espaces muséographiques permanents ainsi que de réserves d’œuvres en zone inondable. Depuis 2002, la Préfecture de Police de Paris alerte sur les risques encourus ». Lieu unique, les réserves de Liévin suppléaient à 60 endroits de stockage différents.

Le musée du Louvre face au risque d’inondation, 2015

Pour autant, le musée parisien reste vulnérable. Outre les espaces libérés qui ont permis de créer des réserves tampons pour la gestion quotidienne des collections et des espaces de stockage technique et muséographique, les salles d’expositions temporaires (Hall Napoléon) et une partie des salles permanentes restent situées en zones inondables, peut-on lire dans le PSC cité plus haut. S’en suit la liste suivante d’espaces concernés : salles du département des Arts de l’Islam, salles de l’Orient méditerranéen dans l’Empire romain (OMER), galerie Donatello, galerie de la Grèce préclassique, crypte de la Cour carrée, crypte Girardon, salles de sculpture des écoles étrangères, niveau bas cour Puget et cour Marly. A cela il faut ajouter des espaces ne comportant pas d’oeuvres mais tout aussi inondables : le hall de la pyramide, l’auditorium et tous les espaces adjacents, ainsi que les fondations de l’ancien château, au même niveau que la future salle prévue pour la Joconde.

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Le Louvre et la Seine en crue, 04.06.2016

En effet, lors de la crue de début juin 2016, 35 000 œuvres durent être déplacées en 48 heures pour être mises à l’abri dans les étages supérieurs, « la plus grande évacuation d’œuvres depuis la Seconde Guerre mondiale » selon le musée, officiellement de manière préventive car il n’y aurait pas eu d’infiltration d’eau, le risque venant des égouts. Le musée resta néanmoins fermé durant 4 jours. Si une partie des objets fut rapidement remis en place, le département des Arts de l’Islam, en grande partie vidé, resta fermé, lui, jusqu’en juillet.

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Le département des Arts de l’Islam au Louvre, fermé suite à la crue, 10.06.2016

Rebelote en janvier 2018, une nouvelle crue obligea le musée à fermer 5 jours le niveau bas de ce même espace, à titre préventif. Le département des Arts de l’Islam est particulièrement sensible puisque, inauguré en 2012 sous cette forme pour un coût de près de 100 millions d’euros, il compte un vaste espace en sous-sol, creusé dans la cour Visconti, en pleine zone inondable. Il semblerait qu’en 2018, la situation fut plus complexe, puisque le rapport d’activité du musée signale que « dans le cadre du risque de crue pendant les mois de janvier et février, les salles [de ce département] ont été partiellement fermées au public ».

DU BON USAGE DES FONDS PUBLICS
Au regard de tous ces éléments, il est donc assez étonnant de vouloir installer la Joconde, le chef-d’œuvre du Louvre, dans de nouvelles salles créées sous la cour Carrée, comme l’a annoncé le président Macron avec l’acquiescement de Laurence des Cars. Curieusement, l’article du Parisien qui révèle le contenu de la note confidentielle de la présidente du musée, évoque, au contraire, une « démarche [qui] n’impliquerait pas de déplacer le panneau de peuplier [sur lequel Monna Lisa est peinte], fissuré et intransportable, mais de changer… presque tout le reste autour de lui ».

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R. Dati, E. Macron et L. des Cars au Louvre, 28.01.2025, capt. d’écran

En effet, le tableau est tellement fragile, qu’il n’a même pas été déplacé dans le musée même pour l’exposition consacrée à Léonard de Vinci en 2019-2020. Si le transporter dans ces nouveaux espaces souterrains reste peut-être envisageable pour une installation quasi permanente, celle-ci pourrait être compromise au moindre risque de crue, ce qui semble déraisonnable. Quelle que soit la localisation de la Joconde dans le Louvre, la seule manière de permettre sa contemplation confortable serait de limiter le nombre de personnes par un système de jauge en amont.

Toutes ces annonces spectaculaires interrogent sur la bonne utilisation des fonds, quelle qu’en soit l’origine, pour assurer l’avenir du premier de nos musées français. Que la Cour des comptes enquête actuellement sur le Louvre n’est peut-être pas étranger à cette fébrilité de l’Etat ◆

:: Bernard Hasquenoph | 2/02/2025 | 21:32 |

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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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