02.07.2018 | PICASSO PAR-CI, PICASSO PAR-LÀ... Avec la manifestation internationale Picasso-Méditerranée qui court depuis 2007 jusqu’à l’automne 2019, proposant, à l’initiative du Musée national Picasso-Paris, des expositions autour du Maître dans plus de soixante-dix institutions du pourtour méditerranéen dont une quarantaine en France, on frôle l’overdose. Thématiquement, tout y passe : enfance, mer, nourriture, danse, politique, antiquité, spectacle, paysage… L’ogre s’y prête et après tout, chacun.e a droit à son Picasso qui, telle une rock star, va ainsi de ville en ville, rejoignant le « désir » de la ministre Nyssen de voir circuler les chefs-d’oeuvre de nos collections nationales, car beaucoup proviennent de l’établissement parisien qui en possède la plus grande collection.
C’est le cas du musée Fabre à Montpellier qui a bénéficié, en outre, pour sa propre exposition de prêts d’exception, tableaux rarement montrés, grâce à un réseau de relations entretenues depuis longtemps, notamment auprès de musées nord-américains et de collectionneurs comme David Nahmad ou d’un autre, anonyme, d’origine suisse. Le musée a choisi un angle assez subtil, préférant « se concentrer sur l’oeuvre elle-même, la suivre dans ses métamorphoses » comme l’indique son directeur et co-commissaire Michel Hilaire, alors qu’un lien ténu rattache le lieu à l’artiste dont il ne possède aucun tableau et dont la seule trace connue de son passage en ville consiste dans une facture, retrouvée à cette occasion dans les archives du musée parisien, d’une nuit passée à l’hôtel de la Métropole en 1926. Ses propriétaires actuels s’en sont montré tellement ravis que l’établissement est mécène de l’exposition, ce qui est plutôt sympathique. Musées, un filon à creuser !
Quand on se penche, avec vertige, sur le parcours de Picasso, on pense évidemment à ses périodes : bleue, rose, cubiste, surréaliste, néo-classique… Mais plutôt que de dérouler un fil qui se révèle tout sauf linéaire, le musée Fabre a préféré glisser son regard dans les interstices pour s’attarder sur les moments charnières, les points de bascule qu’il entend « donner à voir ». D’où le titre de l’exposition « Picasso. Donner à voir », expression extraite d’un poème de Paul Eluard dédié à son ami Pablo Picasso. Ce qui se matérialise par un parcours de 14 stations qui, chemin de croix arty, conduit le public de l’aube de sa carrière, alors qu’à à peine 14 ans il a déjà exposé jusqu’à ses 91 ans où il règne au sommet de la scène artistique mondiale, soit 77 ans de création !
Avec moins d’une centaine d’oeuvres, c’est une exposition qui ne se veut pas « sur la surcharge » indique Michel Hilaire, et c’est très bien ainsi. Autant d’arrêts sur image se focalisant sur de courtes périodes d’intense émulation - une saison, quelques mois… -, souvent associées à un lieu, villes d’attache ou de villégiature. Avec le double intérêt de retracer aussi de fait chronologiquement la carrière de Picasso, ce que refuse à son public venu du monde entier le musée national Picasso-Paris, ayant opté pour un choix muséographique discutable, celui de ne présenter sa collection qu’au travers d’expositions thématiques. Les dernières années de Picasso, plus difficiles d’approche peut-être, deviennent ici lumineuses, comme un retour jubilatoire à l’enfance. La boucle est bouclée.
L’exercice auquel se livre le musée Fabre est d’autant plus intéressant qu’on réalise alors à quel point l’artiste s’autocite, puisant dans sa propre oeuvre sans jamais revenir en arrière - « Il sème des choses dans son parcours, qu’il redéveloppe plus tard », explique Michel Hilaire -, là où on a l’habitude de pointer ses influences extérieures. Bien réelles, on les retrouve également, de Cézanne à l’art extra-occidental, en passant par Van Gogh, Ingres ou l’art populaire. « Artiste autophage », c’est la formule imagée pour définir cet aspect moins connu de Picasso, énoncée par le second commissaire, Stanislas Colodiet, conservateur au musée Fabre où il est responsable du département milieu du XIXè siècle à l’art contemporain. Il rappelle que la notion de progrès était étrangère à l’idée que Picasso se faisait de l’art. Et de sa propre production.
En perpétuel mouvement, Picasso échappe à toute classification. On veut le voir cubiste qu’il est déjà ailleurs. L’exposition le cite : « Je ne suis jamais en place et c’est pourquoi je n’ai pas de style. » Dans ses ateliers successifs, cohabitaient des oeuvres de ses différentes périodes, toutes à sa vue, nourrissant ainsi son imaginaire pluriel. C’est sans doute la clef de sa quête. Plus qu’évolutive, elle serait, en quelque sorte, hélicoïdale. « En un siècle, Picasso a recréé sa propre histoire de l’art », résume Stanislas Colodiet, paraphrasant le sculpteur Bernar Venet.
Rarement une scénographie, signée Joris Lipsch et Floriane Pic, aura su épouser aussi parfaitement le propos d’une exposition. Dans une ambiance lumineuse (ce qui devient rare, la mode étant plutôt à l’obscurité), des ouvertures aménagées dans les cloisons permettent de faire dialoguer visuellement, ou se confronter, les différentes périodes de la carrière de Picasso, le public, en s’inscrivant lui-même dans le cadre, devenant tableau.
POUR PROLONGER L’EXPO...
Si le musée Fabre ne possède aucun tableau de Picasso, il détient en revanche un ensemble graphique exceptionnel, un exemplaire complet et signé de ce qu’on appelle la Suite Vollard, recueil d’une centaine d’estampes créées par Picasso entre 1930 et 1937, édité par le célèbre marchand d’art Ambroise Vollard. A l’occasion de l’exposition Picasso. Donner à voir, ces planches sont présentées, sous la houlette de la conservatrice Florence Hudowicz, dans le musée (salle 42), accompagnées de quelques plaques de cuivre prêtées par le musée national Picasso-Paris, tandis que dans une salle adjacente, sont présentés d’autres albums gravés de Picasso.
Le musée Fabre possède ces pièces rares grâce à la générosité du diplomate et bibliophile Frédéric Sabatier d’Espeyran qui fit don, en 1965, à Montpellier de 600 ouvrages et livres d’artistes. Dans l’Hôtel de Cabrières-Sabatier d’Espeyran tout proche (légué par son épouse, née Renée de Cabrières) qui abrite désormais le département des arts décoratifs du musée, sont exposés d’autres ouvrages illustrés par Picasso, issus du fonds de la médiathèque montpelliéraine Émile Zola qui reçut sa part du leg. Enfin, le musée a renouvelé son accrochage d’oeuvres de Jean Hugo, ami de Picasso dont le musée possède un important fonds.
INFOS PRATIQUES
Expo Picasso. Donner à voir, 15 juin-23 septembre 2018
Tarifs : 10€/8€
Accrochage Les Picasso du fonds Frédéric Sabatier d’Espeyran, 15 juin-4 novembre 2018
Catalogue Picasso. Donner à voir, dir. Michel Hilaire et Stanislas Colodiet, éd. Couleurs Contemporaines, 2018, 42€, 357 pages
Musée Fabre, 39 boulevard Bonne Nouvelle, 34000 Montpellier
museefabre.montpellier3m.fr
RSN : Facebook /Twitter @museefabre / #PicassoDonneràvoir
Conditions de visite :: 20 juin 2018, sur invitation de l’agence Heymann, Renoult Associées : transport, visite, déjeuner, catalogue.