17.06.2019 | IL NE TARIT PAS D’ÉLOGES sur les musées de la métropole rouennaise, avoue son « admiration » pour leur directeur Sylvain Amic, sa manière de gérer ses équipes, la place qu’il donne au public, les collections, les expositions… Ce jour-là, au musée des Beaux-Arts de Rouen qu’il apprécie tout particulièrement, Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la Culture, arbore la veste de directeur général de la Collection Pinault encore pour quelques mois. Jusqu’à l’ouverture, en 2020, de la Bourse de Commerce, pied-à-terre parisien de la collection d’art contemporain de François Pinault, sise jusque là à Venise.
Le DG insiste : « La collection Pinault n’a de cesse de sortir de ses murs ». L’année dernière, des oeuvres ont été prêtées à Rennes. L’exposition intitulée Debout ! aura attiré près de 100 000 personnes. C’est précisément la fréquentation annuelle du musée des Beaux-Arts de Rouen hors expositions, indique Sylvain Amic. En accueillant durant onze mois, des oeuvres de la Collection Pinault au sein des collections permanentes sans renoncer pour autant à leur accès gratuit, celui-ci y voit l’opportunité d’y « ancrer l’art contemporain » davantage.
Les artistes choisi•es ont en commun de venir de Grande-Bretagne. D’où le titre de l’exposition So British !. On sait les relations anciennes - et pas toujours amicales, on oubliera Jeanne d’Arc - qu’ont entretenues la Normandie et l’Angleterre. De nos jours, on serait plus sur le mode de l’amitié, du tourisme, du commerce, des échanges linguistiques, des résidences secondaires et de plus longue durée… Jusqu’au Brexit qui vient tout compliquer. « C’est plus que jamais le moment d’affirmer que la Grande-Bretagne fait partie de l’Europe ! », clame l’ancien ministre. Sylvain Amic acquiesce. C’est pour réaffirmer les liens qui unissent ces deux territoires séparés par moins de 200 km, que le thème a été retenu.
Fidèle à lui-même, Jean-Jacques Aillagon enchaîne sur l’intérêt de confronter l’art ancien à des oeuvres contemporaines : « Je suis toujours frappé par l’inattention des visiteurs dans les musées... Quand on introduit quelque chose de surprenant, cela réveille le regard. Le visiteur est amené à se poser des questions. C’est une expérience passionnante. » On est loin ici des expériences tape-à-l’oeil et très contraintes par leur environnement du temps de sa présidence au château de Versailles, accompagnées des scandales que l’on sait. Là, ce serait plutôt le contraire, on est globalement dans le sage, ou le subtil, ce qui n’enlève rien à la pertinence du projet. Il faut dire que, depuis les manifestations versaillaises qui n’avaient en rien inventé le concept, la pratique de la confrontation art ancien/art contemporain s‘est largement banalisée.
Les 10 oeuvres estampillées Pinault s’intègrent - se fondent - au parcours du musée des Beaux-Arts, très classique dans sa forme. Bâtiment imposant comme l’aimait le 19e siècle pour accueillir une extrêmement riche collection, long parcours réveillé un peu dans les années 1990 par la décoratrice Andrée Putman. L’invasion sympathique présente un double avantage : attirer, façon jeu de piste, un public qui n’y viendrait pas naturellement et faire connaître à celui, plus habitué, un art vers lequel peut-être il n’irait pas. A tou•tes, cela permet de découvrir de nouveaux artistes, de piquer la curiosité. D’autant qu’un dispositif simple de médiation vient éclairer le choix des oeuvres : une feuille de présentation avec photo à arracher à une ramette placée devant chacune d’elles. Au gré de la déambulation et selon ses goûts, on sera tantôt surpris, attiré, indifférent ou révulsé... Un vitrail médiéval représentant le Jugement dernier ouvre le parcours, accompagnant une oeuvre du célèbre duo gay Gilbert & George. Pas dans leur plus trash. Cela commence gentiment. Un Damien Hirst voisine avec des Vanités ; des croix carbonisées de David Nash, avec une crucifixion du 17e...
Il faut attendre la Piéta de Paul Fryer, sculpture hyperréaliste d’un Christ sanguinolent sur une chaise électrique, pour avoir un choc. Placé sur une tribune, environné de grands tableaux 18e de souffrance telle cette mise au tombeau d’un Saint-André blanc-verdâtre par Jean-Baptiste Deshays, il impose le silence. Plus loin, malgré le manque de recul, on tombe en pâmoison devant le triptyque de Lynette Yiadom-Boakye qui peint essentiellement des personnes noires - parce que c’est sa « normalité », dit-elle, elle-même noire - dans de rapides et splendides portraits sur-dimensionnés, gardant les codes de la peinture classique - qui l’encercle ici - pour montrer à quel point ils ne correspondent pas aux épidermes foncés. Un grand paysage fantomatique de Nigel Cooke s’immisce ensuite parmi les campagnes anciennes qu’on ne regarde presque plus dans les musées, tellement elles nous semblent conventionnelles. Dans la salle du Jubé qui accueille de grands formats, une sculpture de David d’Angers semble héler celle quasi abstraite de Thomas Houseago. Dans un coin, une toile de Jonathan Wateridge représente des reconstitueurs de la guerre de Sécession - ce que l’on ne comprend pas de suite -, composition aussi fictionnelle que les tableaux d’histoire d’antan. D’autres oeuvres d’artistes anglais sont à découvrir, tout en restant de ce côté de la Manche. Thanks a lot.
SO BRITISH ! - COLLECTION PINAULT
6 juin 2019 - 11 mai 2020
Gratuit pour tou•tes
Musée des Beaux-Arts de Rouen
Esplanade Marcel Duchamp
mbarouen.fr
Les 8 musées de la Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie (RMM)
musees-rouen-normandie.fr
Conditions de visite :: 5 juin 2019, sur invitation de l’agence Anne Samson Communications : train, déjeuner, visite.