25.06.2018 | COMMENT, AU 19ÈME SIÈCLE, LES PEINTRES de nos latitudes ont succombé à la mode du Japon sans jamais y être allés et manifestement, sans même le désir de s’y rendre. C’est le propos, en filigrane, de cette exposition qui permet d’admirer des oeuvres de toute la génération impressionniste et post-impressionniste, en regard de leurs propos collections de japonaiserie.
Une déferlante qualifiée par certains critiques, par moquerie, de japoniaiserie - toutes les modes ont leur excès -, y voyant les derniers feux de l’Orientalisme alors qu’il s’agissait d’un bouleversement préfigurant les révolutions esthétiques à venir.
C’est suite à l’ouverture au monde du Japon entre les années 1858 et 1868 que l’Occident (re)découvre ce pays lointain et qu’à la faveur des échanges diplomatiques et commerciaux noués notamment avec la France - anniversaire célébré cette année à travers la manifestation Japonismes 2018 - que les artistes sont saisis par les estampes nés de la pratique de l’ukiyo-e qu’ils découvrent, à Paris, lors de l’Exposition universelle de 1867.
L’intérêt qu’ils y portent est moins culturel qu’esthétique, surtout quand on sait que cette forme graphique n’était pas considérée comme du grand art au Japon, étant assimilée à une certaine trivialité de par ses sujets ultra quotidiens. Pour les artistes occidentaux, cela rejoint leur désir de s’affranchir d’un enseignement artistique, incarné par les Beaux-Arts de Paris, perçu comme trop académique et devenu étouffant. Aplat de couleurs, absence de modelés, teintes vives, ligne marquée… Autant d’éléments plastiques qui permettent de remettre en question un apprentissage usé et d’explorer de nouvelles façons de représenter le monde.
Pour nourrir leur inspiration, les artistes se font collectionneurs. D’objets et d’estampes acquis auprès de marchands spécialisés en import d’extrême-orient, le plus connu restant Siegfried Bing. Plus qu’un simple commerçant, celui-ci organise en 1890 à l’École des Beaux-Arts de Paris, ce qui ne manque pas d’ironie, une exposition remarquée de gravures japonaises (pour la bonne cause puisqu’« au profit de l’Alliance française, pour la propagation de la langue française »). Bing ouvre une boutique rue Chauchat, au nom de Fantaisies japonaises. Toute la fine fleur des artistes français passe par là. L’exposition présente les estampes issues de plusieurs de ces collections particulières. Une avalanche de noms qui montre à quel point cette passion était partagée : Edouard Vuillard, Claude Monet (qui possédait notamment la fameuse Vague d’Hokusai), Vincent Van Gogh, Edgar Degas, Pierre Bonnard…
Le Japon s’incruste dans les toiles de ces nouvelles générations d’artistes, s’affirmant comme une présence littérale et manifeste. Accessoires - vases, ombrelles, lampions... - et estampes sont introduits et représentés directement dans le décor, tel le célèbre portrait de Zola par Manet. Ou via l’accoutrement de modèles, avec une prédilection pour le kimono, les peintres (masculins) s’appropriant un imaginaire érotique lié à l’univers des geishas, fantasmatique car bien éloigné de la réalité. Jusqu’à l’utilisation renouvelée du support de l’éventail - tellement utilisée au 18e siècle -, dans un cadre néanmoins intime, comme cadeau aux proches. L’exposition en présente plusieurs, de Pissarro, Gauguin, Giuseppe de Nittis ou de Maximilien Luce représentant le Louvre...
Moins anecdotique et d’une influence plus profonde, on scrute, devine et constate le réemploi et la réinterprétation des styles et des formes de l’art japonais. C’est frappant dans l’art de l’affiche porté jusqu’à l’excellence par un Toulouse-Lautrec, qui jette ainsi les bases du graphisme moderne. Nombreux sont celles et ceux qui s’essaient à l’estampe japonisante, particulièrement Henri Rivière qui l’applique aux paysages parisiens - même à la tour Eiffel - ou Mary Cassatt avec ses délicates scènes d’intérieur. La nature devient motif, autosuffisant, comme chez Caillebotte ou Monet, prétexte sans fin au jeu de la lumière et des couleurs, annonçant l’abstraction. Van Gogh aurait-il pu inventer un univers si personnel sans son ingestion de l’art japonais ? On en doute. Même chose pour Gauguin. Un appétit pour l’ailleurs revivifiant qui rappelle à quel point “l’art français”, quelle que soit l’époque, s’est enrichi d’apports étrangers.
HIRAMATSU À GIVERNY
En retour, découverte émerveillée du peintre japonais Hiramatsu qui, en voyage en France en 1994, sera bouleversé par les Nymphéas de Monet vues au musée de l’Orangerie et par sa découverte de Giverny. Le Musée des impressionnismes Giverny lui consacre un accrochage pendant quelques mois.
INFOS PRATIQUES
Expo Japonismes / Impressionnismes, 30 mars-15 juillet 2018
Expo Hiramatsu à Giverny, 30 mars-4 novembre 2018
Tarifs : 7,5€/5€/3,5€
Catalogue Japonismes / Impressionnismes, dir. Marina Ferretti Bocquillon, éd. Gallimard/Musée des impressionnismes Giverny, 2018, 29€
Musée des impressionnismes Giverny, 99 rue Claude Monet, 27620 Giverny
www.mdig.fr
RSN : Facebook /Twitter @MuseeGiverny / #JaponismesImpressionnismes
Conditions de visite :: 29 mars 2018, sur invitation de l’agence Anne Samson Communications : transport, visite, catalogue.