09.06.2018 | IL Y A TROIS ANS, pour l’ouverture au public après restauration-résurrection du chef-d’oeuvre moderniste qu’est la Villa Cavrois, près de Lille, à laquelle j’avais consacré un article, une anecdote m’avait frappé : la destruction des archives de son architecte Robert Mallet-Stevens après sa mort en 1945, selon sa propre volonté. Acte d’humilité ou péché d’orgueil de créateur ? On ne le saura jamais car l’intéressé n’a laissé aucune explication à son geste posthume. Il n’existe donc quasi aucune trace de son agence active de 1920 à 1939.
C’était sans compter une petite boîte restée sur l’étagère d’une autre entité, l’Agence de programmation et de réalisations architecturales et urbaines dirigée par un certain Jean Nicolas gravitant dans les milieux communistes (c’est à lui que l’on doit idée de faire appel à Oscar Niemeyer pour le siège du Parti communiste), lequel la donna avant de disparaître en 1980 au fils d’une connaissance de travail, Jean-Louis Cohen qui deviendra historien de l’architecture. C’est ce dernier qui en prête aujourd’hui le contenu à la Villa Cavrois, gérée par le Centre des monuments nationaux.
La boîte contenait près de 250 photographies documentaires provenant de l’agence Mallet-Stevens, illustrant la variété de ses interventions. Annotées de la main du maître ou de celle de ses collaborateurs, tamponnées du nom du photographe ou anonymes, elles ont servi à une diffusion dans la presse et à diverses manifestations comme une exposition, rétrospective du travail de l’architecte, que réalisa un an après sa mort, en 1946, Jean Nicolas, raison pour laquelle celui-ci possédait cet ensemble qu’il devait conserver par la suite.
Rares témoignages de l’oeuvre in progress de Mallet-Stevens, elles montrent ses grandes réalisations : la trilogie des villas Poiret dans les Yvelines (célèbrement inachevée), Noailles à Hyères ou Cavrois et d’autres plus modestes comme la villa Trapenard (Sceaux), ainsi que les constructions composant l’actuelle rue Mallet-Stevens à Paris où l’on trouvait la maison-atelier des frères Martel et son propre hôtel particulier. Mais aussi, et c’est encore plus précieux, des bâtiments d’usage commercial, par nature fragiles patrimonialement, boutiques ou garages la plupart disparus, dont l’extraordinaire garage Alfa Romeo de la rue Marbeuf à Paris que l’on retrouve en ce moment dans la passionnante petite exposition Immeubles pour automobiles au Pavillon de l’Arsenal.
Tout aussi important pour appréhender la production et le climat créatif de l’époque, on visualise des architectures éphémères réalisées pour des salons, comme pour l’Union des artistes modernes (UAM), mouvement co-fondé en 1929 par Mallet-Stevens auquel le Centre Pompidou consacre actuellement une exposition, pavillons d’Expositions internationales comme celle des Arts décoratifs de 1925 au cours de laquelle se rencontrèrent vraisemblablement Paul Cavrois, commanditaire de la villa, et l’architecte qui réalisa pour l’occasion le Hall d’une ambassade française qui fit scandale pour abriter des oeuvres d’art jugées inconvenantes, un rare Fernard Léger abstrait et un Robert Delaunay. S’ajoutent des photos de maquettes et de décors de films de Marcel L’Herbier dont on sait l’analogie avec certains éléments de la Ville Cavrois. Enfin, des vues d’intérieurs, parfois non identifiés, qui donnent des indications sur le style décoratif de ces architectures, notamment la présence marquée de tissus et d’éclairages comme ceux, indirects, conçus avec une si grande ingéniosité par André Salomon pour cette même bâtisse.
Présenter une exposition dans ces lieux si harmonieux n’est pas chose aisée, à moins d’utiliser le sous-sol ce qui ne serait pas très valorisant. Le choix intelligent a été d’épargner les pièces à vivre qui en auraient été gâchées et d’utiliser les couloirs et paliers. Les photos sont présentées sur d’imposants panneaux disposés de biais contre les murs, d’un jaune soutenu qui tranche suffisamment avec son environnement pour ne pas s’y confondre mais qui se marie bien avec la gamme chromatique si particulière de la villa. Une occasion pour (re)venir dans ce temple de l’élégance fonctionnelle qui ne cesse de nous émerveiller. Un succès mérité puisque, depuis son ouverture, le monument a accueilli plus de 300 000 visiteurs.euses (juin 2015-2017), s’est enrichi de nouveaux meubles d’origine et organise tout un tas d’événements comme régulièrement des nocturnes.
CATALOGUE
Robert Mallet-Stevens et ses photographes - La collection Jean-Louis Cohen
par Richard Klein et Jean-Louis Cohen
Editions du patrimoine, 12 €
Fiche complète
INFOS PRATIQUES
Robert Mallet-Stevens et ses photographes - La collection Jean-Louis Cohen, exposition du 5 juin-2 septembre 2018, prolongée jusqu’au 18 novembre
Tarifs 8 € (sans surcoût pour l’exposition) / Réduit 6,50 € / Gratuités habituelles
Accessible depuis Lille > Tramway Lille Roubaix, arrêt Villa Cavrois
Réseaux sociaux : Facebook / Twitter @VillaCavrois / #VillaCavrois
Infos complètes : www.villa-cavrois.fr
Conditions de visite :: 4 juin 2018, sur invitation du Centre des monuments nationaux : transport, visite, catalogue.