13.01.2019 | SORTEZ VOS JUMELLES. C’est à un micro-voyage et à une macro-aventure que conviait le Palais des Beaux-Arts de Lille dans la phase 2 de sa rénovation. Après son atrium repensé en juin 2017 comme place centrale librement accessible proposant différents services de savoir et de détente, l’établissement achève la restauration de sa collection de plans-reliefs. Un chantier de 10 mois pour une réouverture de leur galerie d’exposition fixée au 16 mars 2019, dans une scénographie renouvelée pour plus de médiation et d’interactivité. Budget global, près de 900 000 euros dont 250 000 pour la seule restauration.
Ce travail délicat aurait pu être mené en cachette, à la mode ancienne, mais le musée a opté pour la transparence, rendant visible le giga atelier-laboratoire depuis des portes vitrées, accessible in vivo en visites guidées (désormais terminées). Et ça valait le coup. On y rencontrait une quinzaine de restauratrices menées par Anne Courcelle. Uniquement des femmes comme souvent dans cette profession, avec, pour en avoir parlé avec quelques-unes, sans doute des raisons socio-économiques à creuser. De différentes spécialités, elles se sont relayé au chevet de ces immenses maquettes de villes fortifiées du nord de l’Europe réduites à l’échelle 1/600ème, de France, Belgique et une des Pays-Bas [1]. Au programme : dépoussiérage et nettoyage (à l’aide d’un mini-aspirateur, de toutes sortes de mini-éponges et de brosses), recollage, refixage, redressement, retouches picturales et consolidation des structures de bois puisque ces maquettes reposent sur des tables pour certaines élégamment ouvragées.
Au nombre de 15 à Lille, ces maquettes font partie d’un ensemble d’une centaine appartenant en réalité au musée des Plans-reliefs de Paris, qui en présente une trentaine. Logé aux Invalides, celui-ci ne dépend pas du musée de l’Armée comme on pourrait le croire, mais est rattaché à la Direction générale du patrimoine du ministère de la Culture. Pour mémoire, une exposition des plans-reliefs s’est tenue en 2012 au Grand Palais, permettant de déployer les plus maquettes les plus spectaculaires.
OUTILS DE STRATÉGIE MILITAIRE
Il a existé 260 de ces plans-reliefs fabriqués entre 1668 à 1870, à l’origine demandés par Louvois, ministre de la guerre de Louis XIV, afin de superviser les travaux de fortification menés par Vauban dans des villes conquises dans le nord de l’Europe, et d’en améliorer l’usage. Ces morceaux de paysages incluant la campagne environnante des villes, se révélaient plus parlants qu’une traditionnelle carte plane, avec leur topographie immédiatement compréhensible. Ils suscitèrent aussitôt l’admiration. Outils de stratégie militaire puis d’enseignement, le souverain comprit aussi l’intérêt politique qu’il pouvait en tirer et étendit la commande aux autres villes fortifiées du royaume, s’égrenant le long des côtes et frontières. Expression de la puissance militaire de la France, la collection en devenir fut exposée au Palais du Louvre à partir de 1700 dans ce qui deviendra la Grande Galerie, accessible pour des hôtes choisis. Y seront logés également un temps, les ateliers de fabrication composés d’ingénieurs-géographes, de topographes et de menuisiers qu’on peut qualifier d’artistes.
La collection s’enrichit encore sous Louis XV, continuant d’être exposée au Louvre avant d’être menacée de destruction en 1774 avec les projets de transformer le palais en musée, lequel ne verra le jour qu’après la Révolution. Une partie des maquettes fut épargnée et, en 1777, transportée dans les combles des Invalides. Napoléon leur redonna une utilité, commandant de nouveaux exemplaires. Fabrication qui se poursuivit jusqu’en 1870, sous Napoléon III, avant de cesser alors qu’on abandonnait le système défensif des fortifications.
On imagine, au 17ème siècle, le choc du premier public à la vue de ces paysages miniatures, quand la seule visualisation possible, à part une position géographique en surplomb, se limitait alors à la représentation en deux dimensions. Ce qui frappe, c’est la précision et le souci du détail. Jusqu’au dessin des sols que l’on pouvait voir en s’approchant des bouts de maquette démontée façon puzzle pour la restauration, qui différencie terre battue, pavés longs ou carrés... Le rendu des espèces végétales aussi est impressionnant. Cela suppose un énorme travail de repérage et de relevés in situ, opérés par les mêmes ingénieurs chargés de la construction des fortifications. Ce qui explique la disparité de confection des plans-reliefs, de plus en plus réalistes avec le temps. On utilisait bois et carton mâché pour les dénivelés, chenilles de soie et fils de laiton pour les arbres, blocs en bois de tilleul et papier pour les bâtiments, le tout peint et dessiné, saupoudré de sable fin pour les routes et de soie pour les champs. Des villes figées dans le temps mais vides de tout être humain ou animal, qui émerveillent et nous ramènent à niveau d’enfants.
Le musée des Beaux-Arts de Lille a profité de ce chantier hors-normes pour mener un travail d’identification des éléments représentés dans les plans-reliefs, associant historien.nes, archivistes et spécialistes de tous domaines : écologues, architectes, urbanistes, militaires… Plus qu’une opération de restauration, ce fut une véritable aventure humaine, « transversale et pluridisciplinaire », embarquant public, monde de la recherche et de l’université, et mécènes. Son suivi a été documenté, filmé par une équipe de France 3 Hauts-de-France et photographié par la communauté Wikipédia.
« LA GUÉGUERRE DES PLANS-RELIEFS »
Le musée tient à ces trésors dont la présence dans ses murs parait aujourd’hui logique mais qui, pourtant, n’a pas toujours été de soi. Les plans-reliefs de Lille sont le témoin d’une bataille politique homérique qui dura près de 15 ans. En 1983, concrétisation de la politique de décentralisation prônée par les socialistes, le Premier ministre Pierre Mauroy émet l’idée de transférer à Lille dont il est maire, l’ensemble de la collection des plans-reliefs délaissée à Paris dans l’attente d’un musée dont le décret de création de 1943 n’a jamais été appliqué. Les différents intervenants donnent leur accord mais, en janvier 1986, avant même la signature d’une convention signée entre l’Etat et la ville qui adviendra en mars (à quelques semaines des élections législatives), le déménagement commence, entraînant les protestations d’élus parisiens et d’associations de défense du patrimoine qui, comme de coutume dans ce cas, arguent de la fragilité des maquettes pour dénoncer leur transport, que refuse même d’effectuer le ministère de la Défense, estimant qu’elles appartiennent à l’Armée.
L’affaire devient politique, dénoncée comme « un abus de pouvoir du gouvernement socialiste » par l’opposant et maire de la capitale Jacques Chirac. Déménagement stoppé net à la faveur d’un changement de majorité qui impose la cohabitation à François Mitterrand. La Chiraquie s’oppose au projet, craignant une désagrégation de la collection menacée de demandes de “restitution” de chaque ville de France miniaturisée, comme le déclare à l’Assemblée le Secrétaire d’Etat à la Culture Philippe de Villiers. Pierre Mauroy répond : « Elles vont être choyées à Lille comme elles ne l’ont pas été depuis 3 siècles ». L’ancien ministre de la Culture Jack Lang dénonce, lui, « une action petite, mesquine, politicienne ».
Episode de la « guéguerre des plans-reliefs » comme la télé qualifia le psychodrame, le musée des Plans-reliefs ouvre véritablement, en 1987, à la pointe de la modernité tandis que Lille refuse obstinément de rendre la soixantaine de maquettes déjà transférée, gardée par la police municipale jour et nuit qui a pour consigne de faire sonner toutes les sirènes de la ville en cas d’opération de force de l’Etat afin d’avertir la population. On va même jusqu’au procès, Lille rejetant la proposition du gouvernement de réaliser des copies des maquettes, avant qu’un accord soit trouvé. Au final, Lille conservera 15 de ces plans-reliefs présentés, à partir de 1997, dans le Palais des Beaux-Arts rénové. L’épisode fait désormais partie de l’histoire de la collection nationale des plans-reliefs et aura toute sa place dans la nouvelle muséographie. Les travaux se poursuivront ensuite dans le reste du musée jusqu’en 2022, avec cette même philosophie de « placer les visiteurs et les oeuvres au coeur de sa réflexion ».
Merci de mettre à l’honneur cette collection, un peu oubliée depuis quelques années. Je voudrais simplement apporter une correction à votre dernière partie sur la « guéguerre des plans-reliefs ». Vous exposez assez justement les étapes du débat en citant les arguments des uns et des autres mais c’est à tort que vous situez en 1987 la réouverture du Musée des Plans-Reliefs aux Invalides, l’avançant ainsi de dix ans. En effet, 1987 est seulement l’année où le tumulte a commencé à s’apaiser avec la passation de la convention de dépôt d’une partie de la collection à Lille et marque le début de la réflexion sur la présentation de la partie restée à Paris, qui trouva son aboutissement dix ans plus tard par une muséographie « à la pointe de la modernité » comme vous le dites avec justesse, presque au même moment que la réouverture du Palais des Beaux-Arts de Lille rénové. Cette réouverture du musée parisien ne concernait d’ailleurs que la première tranche, couvrant les frontières sud et ouest du pays, les deux autres tranches étant depuis lors restées dans les cartons, comme vous pouvez en trouver confirmation indirectement sur le site du musée (http://www.museedesplansreliefs.culture.fr/le-musee). Ce serait une fort belle chose que la restauration de la collection lilloise permette d’attirer l’attention sur cette rénovation parisienne arrêtée en plein élan et, peut-être, contribuer à la relancer.
Merci pour votre message. On voit cette ouverture de 1987 du musée des Plans-Reliefs aux Invalides dans une vidéo de l’INA https://m.ina.fr/video/LLC87012709/paris-inauguration-musee-aux-plans-reliefs-video.html Une galerie de 18 maquettes inaugurée par Philippe de Villiers, alors Secrétaire d’État à la Culture. 1997, c’est sans doute l’inauguration officielle du musée réellement aménagé.
[1] France : Avesles-sur-Helpe, Aire-sur-la-Lys, Bergues, Bouchain, Calais, Gravelines, Lille. Belgique : Ath, Charleroi, Menin, Namur, Audenarde, Tournai, Ypres. Pays-Bas : Maastricht.