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Le musée de la Chasse accourt à Champlitte

Bernard Hasquenoph | 15/09/2017 | 19:21 | 2 commentaires


Quand le musée de la Chasse et de la Nature de Paris rencontre les arts et traditions populaires de Haute-Saône... Un mariage réussi entre art contemporain et ethnologie, preuve de la vitalité de la culture en ruralité malgré un manque cruel de visibilité.

15.09.2017 | ILS NE SONT PAS RARES les riches collectionneurs à avoir laissé leur nom à des musées qu’ils contribuèrent à fonder, tels les Cognac-Jay ou les Jacquemart-André à Paris. Mais portant celui de gens de peu comme le musée Albert et Félicie Demard en Haute-Saône, on n’en avait jamais vu. Quand on arrive dans ce petit village de Champlitte à une heure de route de Dijon ou Besançon, que l’on découvre leur nom sur le portail du château XVIIIème qui abrite le musée, on les imagine anciens châtelains, héritiers ou industriels de la Belle Époque. Or, Albert, né en 1910, était un simple agent communal après avoir été ouvrier-paysan. Comment celui qui avait été placé dans une ferme à l’âge de 10 ans, ses parents ne pouvant subvenir à ses besoins, a-t-il pu se retrouver à créer un musée et à en devenir conservateur ? C’est l’histoire d’une vie, pas banale, et celle d’une famille toute entière puisqu’il embarqua dans l’aventure son épouse Félicie, et bientôt leur fils unique Jean-Christophe, prêtre aujourd’hui retraité.

Dès l’adolescence, Albert marque un vif intérêt pour les traditions locales, un mode de vie paysan ancestral qui, à partir des années 1930, achève en France sa lente agonie. Déjà jeune gardien de vaches, en ethnologue spontanée, il recueille dans un cahier la parole des anciens. Plus tard, il utilise un grand registre de comptes donné par son patron où il reporte ce qu’il glane de l’histoire des environs. A 26 ans, il soumet au syndicat d’initiative local l’idée d’un musée afin de sauvegarder la mémoire populaire. Sans suite. Il ne renonce pas pour autant. Il faut attendre 1952 pour que, devenu agent de la ville, il propose d’investir ni plus ni moins que le château qui fait alors office de mairie pour Champlitte et de collège. Cette fois il parvient à convaincre le conseil municipal du bien-fondé de son projet. Reste les professionnels. Ce sera chose faite, avec la conservatrice des musées de Besançon et l’inspecteur général des Musées de province qui le soutiendront et le guideront, chose inimaginable de nos jours.

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Le musée Albert et Félicie Demard / Château de Champlitte

Commencent alors les tournées de collecte d’objets - véhiculé par d’autres car lui n’a pas le permis - où il entraîne femme et enfant, et qu’il poursuivra tout le long de sa vie. Dans les villages avoisinants, il récupère le mobilier délaissé au profit de tout ce que ses années d’après-guerre amène de modernité, celui aussi victime de l’exode rural qui éloigne les jeunes vers les villes. Sans budget, Albert Demard doit persuader les propriétaires d’en faire don à son futur musée, plutôt que de tout vendre aux antiquaires, nombreux aussi à sillonner la campagne : « Ce meuble c’est notre histoire, celle de notre communauté… il faut qu’il soit proche de vous, qu’il soit vu par tout le monde » [1]. Une fois reconnu, ce seront les habitants qui viendront à lui de toute la région. Au bout de deux ans, il présente au château sa première moisson d’objets, une exposition-test que ses mentors valident.

Mais la visite la plus déterminante reste celle de Georges Henri Rivière, le célèbre fondateur du musée national des Arts et Traditions populaires ouvert à Paris en 1937, celui qui marquera le passage du folklore à l’ethnologie, l’inventeur de la muséologie moderne. Pour Albert Demard, c’est la consécration. Rivière l’encourage et désormais supervise son travail. C’est sans doute lui qui l’initie à la méthode ethnologique qui consiste à documenter l’objet collecté via une enquête de terrain afin de le contextualiser et d’en garder la mémoire. Dans la préface d’un livre qu’Albert Demard publie en 1978, Rivière fera l’éloge de celui qu’il appelait son « demi-frère ».

Champlitte ne sera pas le seul à bénéficier des lumières de Georges Henri Rivière, celui-ci veillera sur bien d’autres musées en province. Car Albert Demard n’est pas un cas unique, il s’inscrit dans le renouveau des mouvements régionalistes qu’on observe alors partout en France. Un phénomène ambigu, entre nostalgie d’un monde perdu et démarche scientifique, qui sera récupéré durant la Seconde Guerre mondiale par le Régime de Vichy dans son idéalisation d’une France millénaire ancrée dans la terre. On en retrouve traces aujourd’hui dans le programme culturel d’un parti d’extrême droite comme le Front national. Les chercheurs s’interrogent toujours sur ces liaisons dangereuses. Rivière, à la réputation entachée par son activité soutenue durant cette période par le gouvernement de collaboration, utilisera pourtant les moyens mis à sa disposition pour protéger de nombreux opposants.

DES PERIOD ROOMS RUSTIQUES
Aujourd’hui restent des collections d’Arts et Traditions populaires qui semblent gênantes, comme plongées dans la naphtaline. Une vision de vide-grenier associée à un folklore suranné. Pourtant elles représentent bien une part de notre mémoire collective, certes moins glamour et créatrice de chefs-d’oeuvre que celle des élites qu’on préfère partout valoriser. Signe tangible de ce désamour, la fermeture en 2005 du « musée-laboratoire » de Georges Henri Rivière implanté dans le Bois de Boulogne (bâtiment cédé depuis à LVMH, proche de la Fondation Vuitton), le démantèlement de ses collections et leur transfert non sans polémique au Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM) ouvert à Marseille en 2013, sans qu’elles ne soient présentées autrement qu’à travers des expositions.

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Intérieurs paysans

Le musée de Champlitte est resté dans son jus et constitue une oeuvre en soi. En 1957, Albert Demard parvient à ses fins. Le maire lui met à disposition trois salles au second étage du château, dans les parties les moins nobles, ce qui lui convient très bien. Il y crée ses premières reconstitutions d’intérieurs paysans, s’appuyant sur des documents historiques. Au mois d’août, le musée reçoit ses premiers visiteurs. D’année en année, il gagne du terrain au point d’envahir tout le château peu à peu libéré de toute autre activité (à l’exception des salons d’apparat du rez-de-chaussée), ce qui lui vaudra le sobriquet de « château paysan ». Reconnaissance d’un long travail, en 1963 l’établissement devient départemental, ce qu’il demeure aujourd’hui. C’est la période de gloire pour Albert Demard qui recevra la légion d’honneur en 1972 et qui créera deux autres musées parmi mille activités. Rebaptisé en 1980 du nom de son fondateur quelques mois après sa mort, il est inauguré par le ministre de la Culture. La direction du musée revient naturellement et légitimement à son fils, lequel, parallèlement à son engagement religieux, avait mené des études d’histoire poussées jusqu’au doctorat. Ainsi, énième originalité pour un musée public, au conservateur-paysan comme on surnommait Albert Demard succédera un conservateur-prêtre !

Le musée Albert-et-Félicie Demard n’expose pas une succession interminable d’objets comme on pourrait le craindre mais présente 45 espaces autonomes, reconstitutions d’intérieurs ou ensemble mobilier complet allant de la fin du XVIIIe siècle jusqu’aux années 1920. Period Rooms rustiques ou dioramas parfois kitsch avec ses mannequins, chacun raconte une histoire : espaces de travail (potier, sabotier, dentiste, modiste, facteur, notaire...), espaces communautaires (école, café, épicerie, pharmacie, hospice…). Certains ont été installés avec les donateurs eux-mêmes comme par exemple la fête foraine par des gens du voyage. Un ensemble qui impressionne par la masse de travail que l’on devine derrière. Une visite fascinante, pleine de surprises et de poésie, qui explore toutes les dimensions de la vie humaine : éducation, alimentation, médecine, mode, religion, sorcellerie, mariage, mort… Jusqu’à une salle (que je n’ai pas eu le temps de visiter) qui présente les liens inattendus qui unissent Champlitte avec le Mexique, des villageois étant partis là-bas au XIXème siècle rêvant d’une vie meilleure, liens renoués par la famille Demard. Encore une incroyable aventure qui montre l’ouverture vers d’autres cultures que prônait également Demard.


CHASSÉ-CROISÉ

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Sets de table Chassé-Croisé / Julie Chevaillier, directrice des musées de Haute-Saône

C’est là, dans ce labyrinthe muséographique que l’on ne soupçonne pas en découvrant la façade Renaissance du château rescapée d’un incendie, que vient se nicher une exposition d’art contemporain. On la doit à la directrice des trois musées de Haute-Saône depuis 2015, la jeune trentenaire Julie Chevaillier dont c’est le premier poste après avoir réussi le concours d’attachée de conservation. L’histoire de l’art étudiée à Besançon puis Lyon, elle aura été durant 6 ans guide conférencière au musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Besançon, ce qui lui aura permis de nouer de nombreux contacts très utiles dans sa nouvelle fonction. Impossible de savoir ce qu’aurait pensé Albert Demard de cette manifestation à première vue décalée, mais en écoutant Julie Chevaillier, on se dit qu’ils partagent la même passion débordante, une même énergie et une force de conviction peu commune.

En un an, elle aura réussi à monter une exposition très riche, ludique et pleine de sens, en nouant un partenariat avec le musée de la Chasse et de la Nature, institution parisienne privée dirigée par Claude d’Anthenaise réputée pour son mariage réussi entre arts contemporain et ancien. C’est de là que viennent l’essentiel des oeuvres. Elle aura obtenu des prêts également d’autres musées et d’artistes eux-mêmes, tapé à la porte de grands collectionneurs comme Antoine de Galbert (La Maison rouge). Le but n’était pas de créer un choc visuel gratuit, mais bien d’aborder un thème qui résonne fortement avec un terroir rural et forestier comme la Haute-Saône et qui ne cesse de questionner notre société toute entière, la chasse. Que l’on soit pour ou contre, on ne peut ignorer cette pratique qui remonte aux origines de l’humanité, forte de traditions qui irriguent notre culture sans qu’on en ait forcément conscience. Chacun trouvera de quoi conforter sa position tellement l’exposition embrasse son sujet sans jugement et instruit intelligemment, grâce à un livret extrêmement complet donné aux visiteurs. Ce qui compense l’absence de cartels dans la muséographie pour ne pas l’alourdir. De même des mises à distance afin de garantir une parfaite intégration des oeuvres contemporaines dans le décor (leur présence gâche bien souvent la confrontation). Un jeu de va-et-vient d’époques et de points de vue qui justifie le titre de l’exposition bien trouvé : « Chassé-Croisé ».

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Oeuvre de Julien Salaud, antichambre

Sa progression chronologique épouse parfaitement la géographie du château. Au rez-de-chaussée, dans les salons XVIIIe remeublés pour l’occasion, est abordée la chasse sous l’Ancien Régime, apanage exclusif depuis François Ier de la noblesse et de quelques rares privilégiés. Ne restait au peuple que le braconnage, pas pour le plaisir mais pour manger, forfait gravement puni jusqu’aux galères, voire la pendaison. En écartant un lourd rideau, on pénètre dans une première salle plongée dans une semi-obscurité. Aux quatre murs de l’antichambre, de belles tapisseries XVIIe siècle sont suspendues, nous immergeant dans l’iconographie cynégétique classique. Ces mises-en-scène de bravoure sont là pour nous rappeler (ou nous apprendre) que la chasse n’était pas seulement un divertissement pour une élite mais un outil politique entre les mains du roi et des seigneurs afin d’affirmer leur toute-puissance sur un territoire. D’autre part, la chasse constituait une activité canalisatrice d’énergie à même de lutter contre l’oisiveté des gentilshommes de cour mais aussi un entraînement continu pour la guerre, en cela qu’elle développait des qualités aussi essentielles que le sens de l’observation, la mobilité spatiale, le maniement du cheval et des armes. Au centre de la pièce, un sanglier taxidermisé intrigue car il possède... des plumes ! C’est un Faisanglier, une de ces créatures hybriques, chimères modernes, créée par Julien Salaud. De cet artiste, on peut voir, à un autre endroit de l’exposition, deux de ses Constellations, trophées de chevrette et de mouflon délicatement entourés de fil d’or et de perles.

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Oeuvres de Benoît Huot, salle à manger

Très vite, le regard est happé par la seconde pièce aux portes grandes ouvertes, la salle à manger. Une longe table à la nappe immaculée attire l’oeil et surtout son décorum flamboyant entièrement conçu par Benoît Huot : chemin de table, lustre, trophées... L’artiste qui vit en Franche-Comté recouvre - entortille, enroule, enchevêtre... - de matières textiles et de mille autres pacotilles des objets qu’il chine, avec une prédilection pour les animaux empaillés. Loin de n’être que décoratifs - il n’empêche, c’est franchement beau -, ceux-ci prennent une dimension quasi totémique à l’inspiration multiculturelle qui subjugue et effraie à la fois. Cette mise en scène nous plonge à l’époque de la Révolution française comme nous le rappelle un cahier de doléances exposé, au moment où, la nuit du 4 août 1789 d’abolition des privilèges, le droit de chasse est accordé à tous, dans la limite du droit de propriété. Mais, moins d’un an plus tard, devant le saccage des terres et l’élimination outrancière du gibier, de nouvelles règles plus restrictives sont établies. C’est de cela dont parlent au cours d’un dîner des convives invisibles dont on entend la bande-son, propriétaires du château de Champlitte et leurs amis.

En pénétrant ensuite dans le vaste salon d’honneur que de hautes fenêtres inondent de lumière, on entre dans le vif du sujet. Des armes sont exposées et les techniques de chasse - dont certaines disparues - sont évoquées à travers de courtes vidéos, commandes du musée parisien de la Chasse à des artistes. Leur créativité plastique édulcore certains dispositifs particulièrement cruels pour l’animal traqué, comme la chasse aux toiles prisée de François Ier. Dans la forêt, à l’aide de toiles de tissu tendues entre les arbres comme un labyrinthe, la bête se retrouve au final prise au piège et bonne à tuer. Chasse à courre où l’on épuise l’animal poursuivi par une meute de chiens, chasse au vol à l’aide d’oiseaux de proie dressés, piégeage si on peut encore appeler cela de la chasse puisqu’il s’agit par exemple de faire sortir l’animal de son terrier par tous moyens (enfumage, appât...), chasse dans une garenne qui est un espace clos où le gibier se reproduit... Les âmes sensibles préféreront admirer les meubles de ce salon reconstitué où l’on papote et où l’on joue. Mais ici, ce sont les animaux qui règnent en maîtres : chiens naturalisés occupant les fauteuils dont l’un, étrange et double, est constitué de renards, oeuvre de Clara Perreaut.

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Lapin d’Eunji Peignard, salon d’honneur / Ours blanc, salon des papiers peints

Comme un fil que l’on suit, le regard se porte à présent sur un grand ours blanc dressé sur ses pattes arrières occupant le centre d’un petit salon. Les murs y sont recouverts d’un authentique et rare papier peint du tout début du XIXe quand la mode était aux panoramas. Celui-ci représente « Les bons sauvages de la mer du Pacifique », épisode d’un des voyages de James Cook. Il fut posé à la demande du dernier occupant du château, le marquis Anne-Edme-Alexandre de Toulongeon. Une ambiance exotique pour évoquer la fascination de l’Occident pour les terres lointaines, les animaux sauvages ramenés dès la Renaissance pour les ménageries royales, ceux reçus en cadeaux diplomatiques, les récits des grands explorateurs, les créatures rêvées... comme ce squelette de dahu ( !) posé sur une cheminée, prêt du musée d’Histoire Naturelle de la Chaux-de-Fonds en Suisse. Voilà pour le rez-de-chaussée qui constitue déjà en soi une exposition.

A LA RECHERCHE DE DIANE
La seconde partie continue dans les étages, parmi les salles d’Arts et Traditions populaires, afin d’évoquer en toute logique les chasses bourgeoises et celles des petites gens depuis le XIXe siècle. On est accueillis sur le palier par des panneaux routiers détournés par Jérôme Considérant. La pratique de chasse devenue démocratique à la Révolution, son encadrement législatif ne cesse d’évoluer sans que la règle de se limiter à ses terres ne soit remise en cause, contournée cependant par l’usage de leur location. Le permis de chasse payant est institué en 1844, ne mettant donc pas fin au braconnage. Aux chasses élitistes de l’Ancien Régime sont substituées celles réservées à une haute bourgeoisie, activité prétexte à une sociabilité choisie, tandis que les Présidents de la République en usent pour leur plaisir et pour entretenir les relations diplomatiques. L’activité s’accompagne d’une garde-robe extrêmement codifiée dont plusieurs tenues sont exposées.

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Panneaux routiers revus par Jérôme Considérant

On est entraînés de salle en salle comme dans un jeu de piste, agréable manière de découvrir le musée. A charge pour nous de repérer les oeuvres contemporaines qui parfois s’insèrent tellement dans le décor qu’elles en deviennent presque invisibles, à quelques détails près qui aiguisent notre sens de l’observation. Nombreux sont les artistes d’aujourd’hui à prendre plaisir à détourner l’univers de la chasse, par malice, opposition farouche ou pour transmettre un message souvent à dimension écologique : fusil à angle droit (Pii), cerf avec tout l’attirail du chasseur posant devant des corps humains (Jean-Pierre Alaux), chasseur cuisiné par un lapin (Françoise Petrovitch), postérieurs de lapins en trophées (Ghyslain Bertholon)...

La chasse génère ses « héros », campés par ces portraits qui n’ont plus bonne presse aujourd’hui de chasseurs posant fièrement avec la dépouille d’un animal à leurs pieds. Tel celui d’Eugène Perthuiset, aventurier peu recommandable immortalisé au XIXe siècle par le photographe Eugène Disdéri (Manet aussi l’a peint) avec son célèbre lion noir tué qu’il exposera à l’Exposition universelle de 1878. Une posture si ridicule qu’elle fit la joie des caricaturistes. Echo contemporain, cette photo de 2011 du photographe David Chancellor exposée dans un couloir du château entourée de peaux de bêtes, qui montre un chasseur texan, cigare à la main, dans un vaste salon envahi d’animaux naturalisés du sol au plafond, à donner la nausée aux anti-chasse, comme peut-être aux autres.

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Photo de David Chancellor / Fusil à angle droit par Pii

Le café, lieu de conversation, est prétexte à aborder le vocabulaire propre à la chasse dont énormément d’expressions sont passées dans le langage courant sans qu’on le réalise : être aux abois, rentrer bredouille, donner le change, rameuter, se récrier, à cor et à cri... C’est le lieu aussi de tous les bobards, ce qui explique la présence de plusieurs objets ayant trait au fameux dahu, cet animal imaginaire aux pattes plus courtes d’un flanc à l’autre, sujet de farce entre chasseurs pour abuser les néophytes. Plus ancien dans notre imaginaire puisque remontant à l’Antiquité, à voir aussi la tête de licorne par Saint-Clair Cemin dans la pharmacie, animal fantastique paré de toutes les vertus. Tout aussi mythique mais bien réel cette fois, le loup, sujet de tous les fantasmes, est mis en scène dans une rare salle vide, presque un white cube, qui en renforce l’inquiétante singularité. Les spectaculaires sculptures en poussière coagulée par Lionel Sabatté saisissent, intriguent par leur matière et fascinent, en vis-à-vis des loups naturalisés du Muséum national d’histoire naturelle photographiés par Nicolas Guilbert. Une mosaïque éclairante car, s’échelonnant entre 1817 et 2010, on voit qu’une naturalisation est loin d’être neutre, reflet du savoir de l’époque et de ce que l’on projette de nos peurs, le loup devenant au cours du temps de moins en moins cruel dans la posture choisie. Certainement plus féroce, une hyène aux dents en or par Nicolas Milhé pour qui notre monde n’est qu’une jungle, nous attend dans le cabinet dentaire.

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Trochés par Ghyslain Bertholon / Loup par Lionel Sabatté

La salle de l’hospice permet d’évoquer le délicat sujet des accidents de chasse que l’artiste Pascal Bernier, une fois encore, inverse en présentant un délicat faon emmaillotté comme un grand blessé. Après tout, dans la chasse, c’est bien l’animal la victime. Plus loin, Christian Gonzenbach expose ses figurines de faïence transpercées de balles. Bien que chasseur, un souci de la souffrance animale qu’avait François Sommer (1904-1973), créateur avec son épouse Jacqueline de la fondation qui donna naissance au musée de la Chasse et de la Nature, partenaire de l’événement. Pour cela, il militait pour un certain type de cartouches et est à l’origine du concept moderne de chasse raisonnée (rejeté tout autant par les anti) qui a débouché sur l’établissement de plans de chasse consacrés par la loi en 1963. Depuis, les chasseurs ne sont autorisés qu’à éliminer une certaine quantité de spécimens d’un territoire selon des critères précis, afin de préserver les espèces et l’écosystème. Une approche de la chasse plus responsable.

Une fois chassé, l’animal la plupart du temps est mangé. La plupart du temps car on apprend qu’il arrivait autrefois qu’à l’issue d’une chasse à courre, la bête tuée soit offerte en récompense aux chiens, montrant que son but était tout autre qu’alimentaire. Ce qui n’était pas le cas pour les paysans qui, le gibier chassé de manière licite ou par braconnage, s’en faisaient une fête. Dans cet intérieur rétro reconstitué, est posée anachroniquement une télé diffusant le film Dernières bouchées sauvages de Suzanne Husky. Suite de témoignages de vieux Ariégeois énonçant des recettes oubliées (écoeurantes pour nos estomacs urbains) : hibou farci, écureuil grillé, rôtie de corneilles... Passons à l’épicerie où sont empilées sur le comptoir des boîtes de conserve tout ce qu’il y a de plus banal, si ce n’est leurs étiquettes qui font écarquiller les yeux : éléphant, zèbre, crocodile... ! Oeuvre de Christophe Jacquet qui souhaite ainsi sensibiliser au sort des espèces menacées.

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Oeuvre de Pascal Bernier, salle de l’hospice / Oeuvre de Christophe Jacquet, épicerie

Antique déesse de la chasse, une Diane moderne nous attend dans l’atelier du tisserand. Une femme nue pose debout au musée de la Chasse, à côté d’un cerf empaillé, sous l’objectif de Karen Knorr. Seule oeuvre qui a pu « choquer » des visiteurs alors qu’elle ne fait que reprendre un thème récurrent dans l’histoire de l’art mais qui dérange peut-être ici par une nudité sans artifice. Diane, étrange figure féminine qui veille sur un monde traditionnellement d’hommes et qui, quand elle est surprise se baignant par le chasseur Actéon, le transforme en cerf, lequel finit dévorer par ses propres chiens. Ainsi l’inversion des rôles n’est pas une invention contemporaine, elle est au coeur même du mythe de la chasse qui ne cesse d’interroger le rapport de l’homme à la nature. Qui chasse qui ? Qui mange quoi ? Qui domine l’autre ? A moins que les deux ne fassent qu’un.

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Travaux du Gang des chiffonniers / Mur d’expression / Enquête ethnologique

MUSÉE FORUM - L’événement Chassé-Croisé s’est accompagné d’une enquête menée par l’ethnologue Aurélie Dumain auprès d’habitants de Haute-Saône, chasseurs et non chasseurs, autour de thématiques dont il ressort quelques questions et dont une restitution imagée est exposée sous le titre Chasses en cours. Comment différents usages peuvent-ils cohabiter dans la forêt ? Existe-t-il une éthique de la chasse ? Les chasseurs sont-ils les gestionnaires d’un écosystème ? La chasse ne correspond-t-elle pas avant tout à un désir de nature sauvage ? La chasse, tout comme l’Histoire, ne privilégie-t-elle pas le point de vue des vainqueurs ?... En fin de parcours, le visiteur peut exprimer son point de vue sur un mur qui, le jour de ma visite, était plutôt rempli de messages hostiles à la chasse. D’autre part, à chaque exposition, le musée mène un atelier créatif avec des habitants du village surnommé le Gang des chiffonniers dont les productions sont présentées. Un musée vivant.

:: Bernard Hasquenoph | 15/09/2017 | 19:21 | 2 commentaires

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EN COMPLÉMENT

MUSÉE ALBERT ET FÉLICIE DEMARD - ARTS ET TRADITIONS POPULAIRES
7 rue de l’Eglise - 70600 Champlitte
Tarifs Musée : 6€/4€/gratuités
musees.haute-saone.fr
Facebook / Twitter
EXPOSITION CHASSÉ-CROISÉ
Commissaires - Julie Chevaillier, Chef de service des Musées départementaux de Haute-Saône ; Claude d’Anthenaise, Directeur du Musée de la Chasse et de la Nature, Paris ; Aurélie Dumain, Ethnologue, Ethnopôle Réinventer les musées populaires/Centre Max Weber de Lyon en collaboration avec Camille Cuisnier, Université de Strasbourg ; Gaëlle Le Page, documentaliste-iconographe du Musée de la Chasse et de la Nature, Paris.
Artistes - Joël Desbouiges, Ghyslain Bertholon, Christian Gonzenbach, Benoît Huot, Suzanne Husky, Isabelle Levenez, Christophe Payen, Eunji Peignard, Clara Perreaut, Françoise Pétrovitch, Pii, Barbara Puthomme, Lionnel Sabatté, Julien Salaud, Etc.
Du 24 juin au 5 novembre 2017

MUSÉE ALBERT ET FÉLICIE DEMARD - ARTS ET TRADITIONS POPULAIRES Château de Champlitte et ses coulisses

EXPOSITION CHASSÉ-CROISÉ / RDC Chassé-Croisé à Champlitte

EXPOSITION CHASSÉ-CROISÉ / ETAGES Chassé-Croisé à Champlitte / Etages

EXPOSITION CHASSÉ-CROISÉ / MUSÉE FORUM Expo Chassé-Croisé / Musée forum


Conditions de visite :: 26/27 juillet 2017, sur invitation du musée : transport, hôtel, nourriture, documentation.


VOS COMMENTAIRES


23.09.2017 | Mister K | http://lecurieuxdesarts.fr

Bel article aussi enrichissant que celui consacré à Aubusson

Bernard Hasquenoph, le 23/09/2017, à 11:50 |

Merci beaucoup Gilles ;-)


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NOTES

[1] Albert et Félicie Demard, une passion haut-saônoise, livret d’exposition, Archives départementales de la Haute-Saône, 2003.



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« La fonction du musée est de rendre bon, pas de rendre savant. » Serge Chaumier, Altermuséologie, éd. Hermann, 2018
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