30.07.2021 l La première approche du musée est architecturale. Dans un quartier d’affaires aux immeubles de verre, à deux pas de l’aéroport de Nice, un vaste jardin se devine à travers des grilles couleur vert d’eau : le parc Phoenix, créé en 1990 par la municipalité avec sa serre tropicale géante. Des cris d’animaux en émergent, planant au-dessus du bruit de la circulation de la Promenade des Anglais. Pas sa portion la plus scintillante, celle des palaces, l’ambiance est plus grise. Puis, un bâtiment immaculé aux formes minimalistes apparaît, comme flottant au-dessus d’un lac, en bordure du parc. C’est le Musée départemental des arts asiatiques.
On entre par une passerelle qui nous conduit au centre du bâtiment, occupé par un large escalier en ellipse desservant un étage circulaire coiffé d’un pyramidion de verre, et un sous-sol plus mystérieux. L’espace est baigné de lumière, à l’exception de quatre pavillons d’angle au rez-de-chaussée en carré où sont exposées l’essentiel des oeuvres, comme dans des boîtes. Une grande sérénité, une douceur même, émane de cet édifice construit dans les années 1990, signé du japonais Kenzo Tange (1913-2005) considéré comme le plus grand architecte nippon de l’après-guerre et auteur, à Paris, de l’immeuble « Grand écran » place d’Italie. Un mix entre la culture japonaise et la culture méditerranéenne à laquelle la blancheur des plaques de marbre de Carrare recouvrant tout l’édifice, extérieur comme intérieur, serait un hommage. L’architecte compara lui-même son oeuvre à « un mandala flottant sur un lac » et à un « bijou couleur de neige brillant dans l’azur de la Méditerranée » [1].
Pourtant la genèse du musée n’a pas été un long fleuve tranquille. C’est le moins qu’on puisse dire. A l’origine du projet lancé en 1982, le bâtiment devait accueillir la collection d’art japonais du dessinateur et graveur Pierre-Yves Trémois (1921-2020) ainsi que quelques-unes de ses oeuvres, à l’initiative du maire de l’époque, Jacques Médecin, également président du conseil général des Alpes-Maritimes. Problème, en 1990, ce dernier, condamné pour corruption, abandonna ses mandats et s’enfuit en Uruguay pour échapper à la prison. Alors que le bâtiment était quasi terminé, la Cour des comptes découvrit une procédure à la base irrégulière, un chantier non financé, une donation non signée et aucun projet culturel précis. Son rapport de 1993 évoque, rapportait Le Monde, “un cas exemplaire d’absence totale de maîtrise de la programmation et des coûts". Prévu sur 800 mètres carrés pour 12 millions de francs, le musée en aura coûté près de 70 pour 2500 mètres carrés ! Et sans l’apport prévu pour moitié de mécènes. C’est le département, et un peu la ville, qui dut s’en acquitter.
Une fois achevé, le musée resta vide durant quatre ans, le temps que le département trouve une issue au conflit avec Pierre-Yves Trémois qui souhaitait que soient exposées 17 oeuvres japonaises... pour 218 des siennes. La Direction des musées de France (DMF) qui avait donné son aval au projet initial, refusa de le maintenir en l’état. Renonçant finalement à la donation Trémois, le département s’engagea, sur une idée de la DMF, pour un musée des arts asiatiques. Le temps qu’il se constitue sa propre collection, il recevrait des dépôts du Musée Guimet, du Musée des arts décoratifs et du Musée de l’homme. Le musée fut inauguré le 10 octobre 1998, créant aussitôt l’admiration pour son architecture, moins pour la qualité des oeuvres exposées et leur faible nombre, malgré un aménagement intérieur et une muséographie remarquée de François Deslaugiers tout en transparence, s’effaçant devant elles. « Ce n’est pas un musée exhaustif mais un lieu destiné à évoquer des civilisations, indiqua au Monde la conservatrice, Marie-Pierre Foissy-Aufrère. Nous n’avons pas voulu faire un parcours historique mais proposer des clés à travers quelques pièces" [2].
Près de 25 ans plus tard, le principe de présentation n’a pas changé et la muséographie de verre reste pertinente. Quand, en septembre 2018, le jeune conservateur du patrimoine Adrien Bossard quitte le musée Guimet, à Paris, pour prendre les rênes du musée à Nice, les oeuvres acquises sont au nombre de 150 environ. Cela peut paraître toujours peu, sachant que l’espace d’exposition est réduit. Mais cette rareté correspond bien au minimalisme de l’architecture. « Cent cinquante, dont cent chefs d’oeuvre », tient-il à préciser, tout sourire. Pas assez connaisseur pour en juger, la seule chose que je peux dire, c’est que les objets sont splendides : une verseuse à eau japonaise en laque rouge de la fin du 15e siècle, un fauteuil en racines chinois du 18e siècle, une forme anthropomorphe en cuivre indienne datant du 2e millénaire av.J.-C., une plaque d’escalier d’eau en marbre blanc moghol du 17e siècle, un cheval en terre cuite japonais du 6e siècle, un ossuaire indonésien en teck sculpté en forme de buffle d’eau du 19e siècle...
Le musée possède également de belles pièces textiles comme une robe de prêtre taoïste en satin de soie brodé de fils d’or du 18e siècle. Depuis l’arrivée d’Adrien Bossard, le musée a acquis de nouvelles oeuvres, comme une armure japonaise d’apparat en cuir laqué du début du 19e siècle, un Bouddha thaï en bronze de la fin du 15e siècle ou un masque No de vieil homme datant du 16e siècle. La collection n’est pas loin d’atteindre les 2000 items grâce à l’entrée par don d’un lot de 1200 estampes japonaises ainsi que 385 affiches de propagande chinoise des années 1970 collectées par une ancienne employée d’Air France.
A l’étage, la rotonde est dédiée au bouddhisme depuis l’ouverture du musée. Des statues de différents pays et époques sont présentées : Gandhara (Pakistan), Japon, Thaïlande... S’ajoutent désormais des interventions d’artistes contemporains. Jusqu’en décembre 2021, l’artiste franco-vénézuélienne Caribaï, née au Japon, a déroulé au mur un paysage abstrait constitué de 43 panneaux peints et suspendus au rez-de-chaussée, autour de l’escalier, des oeuvres sur papier, s’intégrant parfaitement à leur environnement.
Enfin, au sous-sol, l’espace exposition est consacré jusqu’en septembre au jade, ce matériau sacré dans la culture chinoise, utilisé depuis le Néolithique. L’exposition « Genèse de l’Empire Céleste » présente des objets d’une pure beauté qui permettent de mieux comprendre la cosmogonie de cette civilisation. Ils proviennent de la collection privée extraordinaire constituée par Sam Myers et son épouse aujourd’hui décédée. Ils couvrent quatre millénaires. L’exposition mêle érudition et contemplation, avec la caution du grand sinologue Jean-Paul Desroches.
MUSÉE DÉPARTEMENTAL DES ARTS ASIATIQUES
405, Promenade des Anglais Arenas
06200 Nice
Gratuit (musée + expos), comme tous les musées du département des Alpes-Maritimes
Ouvert tous les jours, sauf le mardi
Site web
Tel. (33).04.89.04.55.20
Mail : [arts-asiatiques@departement06.fr>mailto:arts-asiatiques@departement06.fr]
Exposition « Genèse de l’Empire Céleste - Les jades chinois de la collection Myers »
Jusqu’au 19 septembre 2021
Exposition « Caribaï - Dans un monde flottant »
Jusqu’au 15 décembre 2021
Adaptation de celle conçue et présentée au musée du quai Branly - Jacques Chirac en 2014, l’exposition « Tatoueurs, Tatoués » s’intègre parfaitement au lieu puisqu’il s’agit d’un ancien bagne, donnant sur le port de Nice. Construit au 18e siècle, il en subsiste le corps central qui abritait le dortoir des forçats, un bâtiment réservé à l’administration, le pavillon de l’horloge, et quelques grilles. Au 20e siècle, les espaces furent reconvertis en caserne.
On entre par l’ancienne chapelle que l’on devine grâce aux traces peintes au plafond, puis l’on pénètre dans une longue salle voûtée, le dortoir, dont il reste les sinistres couchettes collectives en pierre, appelés bât-flancs, avec leurs anneaux où l’on accrochait les chaînes. Elles ont été astucieusement transformées en podium d’exposition et vitrine. Rénové en 2017 pour en faire un espace culturel, le département des Alpes-Maritimes en a confié la gestion à Adrien Bossard, directeur du Musée des arts asiatiques.
L’exposition s’attache à montrer les nombreuses facettes du tatouage aux racines très profondes dans nombre de civilisations, élevé au rang d’art dans nos sociétés contemporaines occidentales, après avoir été réservé aux milieux interlopes, des marins et des criminels. Elle s’incarne mieux, à mon avis, dans une telle architecture lourde d’histoire, qu’au musée du quai Branly où je garde le souvenir d’une scénographie labyrinthique qui rendait le propos interminable. C’est Benoit Dercy, professeur agrégé de Lettres Classiques devenu attaché de conservation, adjoint scientifique d’Adrien Bossard, directeur du Musée des arts asiatiques, qui a supervisé le montage de l’exposition, en partenariat avec le musée parisien. L’événement s’accompagne, comme il se doit, d’ateliers et de conférences pour tout public.
ESPACE CULTUREL DÉPARTEMENTAL LYMPIA
2 quai Entrecasteaux
06200 Nice
Gratuit, comme tous les musées du département des Alpes-Maritimes
Ouvert tous les jours, sauf les lundi et mardi
Site web
Exposition « Tatoueurs Tatoués »
Jusqu’au 31 octobre 2021
Imaginé en 2017 par Didier Fusillier, président de La Villette, une micro-folie est un dispositif numérique destiné à sensibiliser le plus grand nombre à l’art. Soutenu par le ministère de la Culture, d’un coût relativement modique (autour de 40 000€), il peut s’insérer un peu partout. Son nom fait référence aux édifices décoratifs rouges conçus dans les années 1990 par Bernard Tschumi pour le parc de la Villette, réinvention moderne des Folies du 18e siècle. S’articulant autour d’un Musée numérique (comme un mini cinéma) en partenariat avec de grands établissements culturels, la structure hôte est libre d’y ajouter d’autres modules. C’est ce qu’a fait ici le département des Alpes-Maritimes, déjà très engagé dans le numérique, notamment à travers le Smart Deal, plan de transition numérique participatif.
Installé en rez-de-chaussée d’immeuble, non loin de la partie la plus fréquentée de la Promenade des Anglais, on trouve à la Micro-Folie des dispositifs de réalité virtuelle, des hologrammes, une table tactile, de petits films... ce qui permet de mettre en avant des lieux départementaux : la Grotte de Lazaret, les promenades dans la Vallée des Merveilles ou l’expo « Tatoueurs, Tatoués » à l’espace culturel Lympia. Il est évident que ces propositions ne remplacent pas une visite in situ mais peuvent être des supports de médiation et de promotion. L’originalité de cette micro-folie, qu’on pourrait imaginer réservée à un jeune public, est susceptible de recevoir des seniors compte-tenu de la sociologie locale. D’après les médiatrices rencontrées, les premières expériences sont, à ce titre, concluantes, la curiosité des plus agé·es étant parfaitement mobilisée.
A l’étage, on trouve un fablab dernier cri avec imprimantes et scanner 3D, découpeuse laser et même brodeuse numérique. Un équipement qui a permis, pendant la crise du covid, de fabriquer des racks pour transporter des doses de vaccin. A côté, une salle d’exposition (actuellement, « L’Art vu par les Playmobil » par le photographe Richard Unglik) et un confortable coin lecture, peint en Bleu Klein, dont on ne voudrait plus sortir. Et sans aucun écran. Comme quoi, tout peut cohabiter en bonne intelligence. Le département finance l’implantation d’autres micro-folies (Roquefort-les-Pins, Vence, Grasse, Cannes).
MICRO-FOLIE DÉPARTEMENTALE DE NICE
26 rue Saint-François-de-Paule
06300 Nice
Gratuit
Site web
DÉPARTEMENT DES ALPES-MARITIMES (06), D’AUTRES LIEUX CULTURELS
Grotte du Lazaret, Nice
Musée départemental des Merveilles, Tende
Conditions de visite :: 17 & 18 juillet 2021, sur invitation du musée départemental des arts asiatiques : avion, hôtel, visites.