28.07.2018 | UNE CATHÉDRALE LES SÉPARE. Une fois sorti du musée départemental breton où l’on a vu l’exposition Artistes tchèques en Bretagne. De l’art nouveau au surréalisme, il suffit de contourner la cathédrale Saint-Corentin - ou d’y entrer, ne serait-ce que pour remarquer son choeur désaxé par rapport à la nef, une originalité inexpliquée -, de traverser la place et l’on arrive au Mirdi an arzoù-kaer e Kemper, pardon musée des Beaux-Arts de Quimper. L’établissement municipal s’associe à la « saison tchèque » de son homologue départemental, en ayant la grande chance de pouvoir présenter un chef-d’oeuvre de Gauguin, prêté pour l’occasion par la Galerie Nationale de Prague.
Il s’agit de Bonjour Monsieur Gauguin, peint par l’artiste en 1889, le représentant dans la campagne bretonne face à une paysanne. Le titre sonne comme une allusion au non moins célèbre tableau Bonjour Monsieur Courbet qu’il avait découvert peu de temps auparavant au musée de Montpellier, visité avec son ami Vincent Van Gogh. Le tableau prend tout son sens dans cette salle du musée de Quimper dédiée à l’École de Pont-Aven, présentant quelques éléments peints provenant de l’auberge fréquentée par Gauguin et d’autres artistes au hameau du Pouldu, qui comportait, sur une porte, une première version de ce même tableau.
Parallèlement à cet accrochage exceptionnel, le musée propose une exposition sur le peintre Jean Le Moal, assez méconnu (en tout cas de moi), qui, en une longue vie - il vécut quasi centenaire (1909-2007) -, ne cessa jamais de créer. Pour oter l’image du noble vieillard attachée à son nom - c’est le problème des artistes qui ont la chance de vieillir - et le remettre en pleine vie, le musée a choisi d’accueillir le public avec une photo de lui, jeune, grandeur nature. La vingtaine, vêtu d’une marinière, la bouille sympathique avec ses lunettes d’écaille redevenues à la mode, il pose sur une plage du Finistère.
Un long parcours qui le mena d’abord du dessin appris dans le cadre de ses études d’architecture d’intérieur à Lyon, à la copie de maitres au Louvre où il venait depuis qu’il s’était installé à Paris pour entrer aux Arts déco. Epicentre de bien de rencontres, c’est là, devant un Chardin, qu’il fit la connaissance d’Alfred Manessier, artiste de la même génération, avec qui il devait fréquenter l’atelier de fresque de Roger Bissière à l’académie Ranson. Sa peinture évolue. Ses paysages, souvent de Bretagne d’où son père est originaire, se stylisent et prennent du caractère.
Puis, après 1935, parallèlement à une activité de créateur de peintures murales, décors et costumes de théâtre qu’il mènera tout le long de sa vie, il poursuit ses recherches picturales et commence à exposer, d’abord au sein du groupe lyonnais Témoignage qui réunit de jeunes artistes progressistes. Sous le coup des avant-gardes qui se bousculent, il tangue entre cubisme et surréalisme, liant les deux dans un étrange alliage coloré. Il abandonne le réalisme mais pas la figuration puisqu’il peint des natures mortes et toujours des paysages. Et des toiles parfois subtilement engagées comme La paix malade en 1936. Une conscience politique qui le conduit en 1941, au début de l’Occupation, à participer à l’exposition « Vingt jeunes peintres de tradition française » à la galerie Braun parisienne, qui défie le concept nazi d’« art dégénéré ».
Son art prend ensuite un chemin de simplification, la couleur devenant toujours plus prégnante. Le sujet, reconnaissable par quelques éléments qui constituent l’ossature de la toile, semble n’être qu’un prétexte à un travail plastique sur les valeurs et la lumière. Pas complètement de l’abstraction, il fait partie de ce courant qu’on nomme la non-figuration. Comme un prolongement naturel de son oeuvre, rien d’étonnant qu’on le retrouve alors à créer des vitraux, activité qu’il pratiquera jusque dans les années 1980, pour beaucoup en Bretagne, visibles notamment à la chapelle Notre-Dame-de-la-Paix au Pouldu, près de Quimper. L’exposition propose une expérience de réalité virtuelle pour visiter, à l’aide d’un casque, la cathédrale de Saint-Malo où les vitraux ont été conçus par Jean le Moal. Un dispositif rendu possible, financièrement, par la co-production de l’exposition par trois musées où elle a été présentée, Quimper étant la dernière étape après les musées de Valence et de l’Hospice Saint-Roch à Issoudun.
Les dernières décennies, il se libère encore, peignant simultanément de grandes toiles abstraites d’apparence, leur titre révélant le sujet, et des séries de tout « petits formats » selon son expression, auxquels il donne la même valeur et pour lesquels il conçoit aussi l’encadrement. Ses toiles sont comme des feux d’artifice de couleurs. Enfin, l’une des dimensions les plus émouvantes de l’exposition est l’hommage rendue en filigrane à l’épouse de Jean Le Moal, la sculptrice d’origine chilienne Juana Muller avec qui il eut deux enfants. Une photo d’elle vient également s’insérer dans la scénographie, sur toute la hauteur d’un mur. On la voit, souriante, taillant la pierre, elle qui fut l’assistante de grands artistes comme Zadkine et Brancusi.
C’est en se rendant dans l’un des anciens ateliers de Jean Le Moal que les organisateurs de l’exposition ont constaté à quel point celui-ci vivait entouré des oeuvres âpres et belles de celle qui finit tragiquement, se suicidant en 1952, laissant en lui une blessure qui ne devait jamais se refermer. C’est pourquoi il a été décidé d’intégrer plusieurs de ses sculptures à elle, en écho à ses peintures à lui. L’exposition se prolonge à l’étage, dans une salle où sont exposées les photos de voyage de Jean Le Moal. A noter également un atelier pour enfants dédié à l’exposition, qui fait regretter d’être adulte.
On est happé ensuite par le musée d’une richesse incroyable. Une fois de plus, on pense à l’idée soi-disante révolutionnaire de la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, de faire tourner les chefs-d’oeuvre parisiens en province en se disant que, bien qu’en étant elle-même issue, elle ne doit pas être bien familière de ses musées. Le musée des Beaux-Arts de Quimper nait en 1864 de la donation incroyable de Jean-Marie de Silguy, ingénieur des Ponts et Chaussées, élu local et collectionneur d’art écumant les salles de vente parisiennes, de peinture européenne depuis le XVIe siècle, essentiellement française mais aussi italienne, espagnole, flamande et hollandaise. A sa mort, il lègue à la ville pas moins de 1 200 peintures, 2 000 dessins, 12 000 gravures et des dizaines d’objets d’art ! Dans sa volonté encyclopédique, quand il ne peut s’offrir une oeuvre, il en acquiert la copie, parfois tout aussi ancienne. C’est ainsi que le musée possède la soeur jumelle de la Joconde, ce qui étonne toujours son public.
Un bâtiment est construit en 1872 pour abriter le trésor, là par où l’on entre toujours, avant de découvrir une extension moderne datant de 1993 due à l’architecte Jean-Paul Philippon, également intervenu au musée d’Orsay et à La Piscine de Roubaix. Très agréable, beaucoup plus grand qu’il n’en a l’air, le musée, dans son parcours un peu tortueux, réserve bien des surprises. Comme ses baies vitrées donnant sur une rue à l’arrière, son toit courbe comme la voile d’un bateau ou l’évocation, par une reconstitution spatiale, de la salle à manger d’un hôtel quimpérois disparu afin de présenter le décor créé pour le lieu en 1905 par Jean-Julien Lemordant. Depuis son ouverture, le musée s’est évidemment enrichi par dons, achats et dépôts, notamment de peintures d’inspiration bretonne autant pittoresques qu’intéressantes, production négligée par Silguy. Qui n’a pas vu La Légende de Kerdeck par Fernand Lequesne, tableau très #metoo, n’a rien vu.
Le musée est très engagé dans les actions de médiation. Il a participé en mai-juin dernier, avec d’autres musées bretons, à la performance « Le musée recopié » : 80 copistes, de tout âge et tout talent (ou pas) , sont invité.e.s « à recopier à la main l’intégralité des oeuvres d’un musée pendant une journée ». C’est certainement l’opération de médiation la plus incroyable et sympathique de tout le territoire ! On remarquera aussi, à différents endroits du musée, des grandes pièces de puzzle disposées sur des tablettes aux pieds de tableaux. Une manière comme une autre d’inviter le public à être acteur de sa visite.
INFOS PRATIQUES
Bonjour Monsieur Gauguin, 16 juin-30 septembre 2018
Jean Le Moal (1909-2007), exposition du 9 juin-17 septembre 2018
Tarif 5€/3€ Gratuités habituelles
Catalogue Jean Le Moal (1909-2007), collectif, éd. Lienart, 232 pages, 32€
Musée des beaux-arts de Quimper, 40 place Saint-Corentin, 29 000 Quimper
Réseaux sociaux > : Facebook mbaqofficiel / Twitter @mbaqofficiel / #expolemoal
Infos complètes : www.mbaq.fr
Conditions de visite :: 29 juin 2018, sur invitation de l’agence Alambret Communication : transport, visite, déjeuner, catalogue.