08.06.2017 | CADILLAC ! Quand on entend le nom de cette commune de Gironde, on pense inévitablement aux voitures de luxe américaines, évacuant aussitôt l’idée d’un lien tellement cela semble improbable. Et pourtant, il existe bel et bien puisque Détroit, ville originaire de la firme automobile, a été fondée au XVIIIème siècle par un Français du Tarn-et-Garonne autoproclamé sieur de Cadillac, source d’inspiration pour la marque. En revanche, dans la région bordelaise, le nom évoque tout autre chose. Fortement connoté, hélas négativement, il est associé à l’hôpital psychiatrique qui s’y trouve depuis fort longtemps, avec son unité pour malades difficiles (UMD) - il en existe 10 en France - et son accueil de patients détenus. L’établissement médical est établi dans l’hospice Sainte-Marguerite fondé il y a 400 ans par Jean-Louis Nogaret de La Valette, duc d’Épernon, en mémoire de sa jeune épouse morte en couches par qui il devint propriétaire du château de Cadillac, géré par le Centre des monuments nationaux (CMN) depuis les années 1980.
Au dire de ses responsables, la fréquentation du château souffrirait de cette « mauvaise » réputation de Cadillac. En 2016, il a accueilli moins de 17 000 visiteurs. D’où la bonne idée d’y créer un événement attractif comme l’exposition « Natures sauvages » confiée à Julien Salaud, jeune artiste en vue (de 40 ans), remarqué au Salon de Montrouge en 2010 avant d’en être l’invité d’honneur en 2014. La relation privilégiée qu’entretient Julien Salaud avec la nature est évidente - il suffit de suivre son Instagram pour s’en rendre compte -, et plus particulièrement avec la part animale en l’homme, et vice versa. Une relation à la nature teintée de magie, dimension qu’il a pu découvrir à Cayenne où il passa une partie de sa jeunesse, avec ses parents. Ainsi développe-t-il un univers étrange et fantasmagorique, chinant des animaux naturalisés jusque sur des sites d’annonces en ligne qu’il transforme ensuite en créatures hybrides. Dans son imaginaire, les lions se parent de plumes et de perles, les humains se couvrent de pelages et s’enroulent de ficelles, les uns et les autres disparaissent sous des fils arachnéens... Loin de l’art conceptuel auquel il ne s’oppose pas mais pour lequel il dit ne pas être « outillé intellectuellement », il se vivrait plutôt comme un artisan sans formation, expérimentant toutes sortes de matériaux et inventant ses propres techniques. Pour Claude d’Anthenaise, directeur du musée de la Chasse et de la Nature où une exposition similaire avait été présentée en 2015 et qui est partenaire de celle-ci, Julien Salaud fait partie de cette jeune génération d’artistes qui redécouvrent le « métier de la main ».
Ses oeuvres trônent dans les différentes pièces du château, volets fermés. Quasi toutes préexistent à l’exposition mais trouvent parfaitement leur place ici, en regard des tapisseries qui recouvrent les murs parmi lesquelles la tenture des Chasses nouvelles prêtées par le musée partenaire. La manifestation s’inscrit dans la saison En lices ! initiée par le CMN pour valoriser sa collection de tapisseries, la seconde en France après celle du Mobilier national, seconde étape après le Château de Châteaudun. Le duc d’Épernon qui fit (re)construire le château au XVIIème siècle, en possédait lui-même de nombreuses, dont un ensemble de 22 pièces conçues sur place à la gloire du roi Henri III - l’une est exposée - dont il tirait toute sa puissance, nobliau de Gascogne devenu « archimignon », richissime pair de France qualifié de « presque-roi ». Julien Salaud a également disposé des gouaches sur papier au-dessus de cheminées monumentales en marbres polychromes du château qui en sont les véritables joyaux, rares vestiges de la magnificence du lieu. Car le monument n’a pas été épargné par le temps.
Mort à l’âge canonique de 88 ans, le duc d’Épernon aura eu une vie mouvementée, survivant à six rois - il était aux côtés d’Henri IV quand celui-ci fut assassiné par Ravaillac -, laissant le souvenir d’un homme avide de pouvoir. Son seul fils survivant hérite de Cadillac mais la branche s’éteint avec lui. Commence le lent déclin du château. Vidé de ses meubles par de lointains cousins, modifié, détruit en partie, vandalisé durant la Révolution, l’Etat le rachète en 1818 pour en faire une prison pour femmes, dernière étape avant le bagne. 500 détenues s’y entassent, dormant dans les plus beaux appartements transformés en dortoirs, les cheminées faisant office de toilettes. En 1890, la prison laisse place à un centre d’éducation surveillée pour délinquantes, enfermées à partir de 9 ans ! Plus de dortoirs mais des boxs - surnommés cyniquement « cages à poules » - censés préserver l’intimité des jeunes filles mais qui en accentuent l’isolement. Des conditions tellement dures qu’en 1928, une mutinerie éclate, dégénérant en incendie qui ravage une partie ancienne du château. Il faut attendre 1952 et deux suicides pour que la vocation carcérale du château de Cadillac s’éteigne, après plus de 130 ans. Un souvenir encore vivace pour les habitants du coin, ce qui nourrit encore la légende noire du lieu.
Débute alors enfin la réhabilitation du monument. De beaux plafonds peints sont retrouvés sous des coffrages. Les spectaculaires cheminées retrouvent leur intégrité. Cependant, malgré les nombreux travaux de restauration, la mémoire carcérale du château n’a pas été totalement effacée, comme c’est le cas dans nombre de monuments ayant connu le même sort. Des traces ont été conservées, comme ces portes à judas qui jurent avec les appartements royaux auxquels elles donnent accès mais que l’on remarque à peine quand elles sont ouvertes. Ou ces graffitis de prisonnières sauvegardés ici ou là, jusque sur les parties hautes de cheminées. Lors de notre visite, Olivier du Payrat, l’administrateur du château, nous conduit sous les combles, dans une partie non ouverte au public et laissée « dans son jus ». On y voit encore de ces fameuses « cages à poules ». Vision glaçante. Difficile d’imaginer des fillettes dans des espaces aussi réduits où ne tenaient qu’un lit et une table. De véritables boxs pour animaux. Olivier du Payrat voudrait pouvoir un jour ouvrir cet endroit à la visite. Ce serait courageux et nécessaire car les monuments ne sont pas que de beaux édifices juste bons à faire rêver, et leur histoire pas seulement celle des nobles personnages qui les ont façonnés. Leurs murs portent de multiples voix qui résonnent encore.
INFOS PRATIQUES
Natures sauvages - Exposition de Julien Salaud / 24 mai - 5 novembre 2017
Château de Cadillac - 4, place de la Libération - 33410 Cadillac-sur-Garonne
Tarifs : 6€ / 5€ / 11€ avec l’abbaye de la Sauve-Majeure
Tél. : 33 / (0)5 56 62 69 58
www.chateau-cadillac.fr
A lire : Le château de Cadillac, éd. du Patrimoine, 7€
Conditions de visite :: 23 mai 2017, sur invitation du CMN : train, déjeuner, visite guidée, documentation.