16.07.2018 | KUPKA N’EST PAS QU’AU GRAND PALAIS. Il est aussi à Quimper, et pour plus longtemps puisque jusqu’en septembre, quand l’autre exposition, à Paris, se termine fin juillet. Depuis 2004, le musée départemental breton accueille les oeuvres d’artistes venu.e.s de l’étranger à partir du 19ème siècle pour flaner « là où se finit la terre » selon l’étymologie du nom Finistère puisqu’il s’agit de lui. Et au-delà, dans toute la Bretagne. Flâner, se ressourcer, mais surtout travailler en ravivant leur inspiration au contact des paysages environnants et de la vie locale. Et leur regard neuf sur cette portion de territoire bouscule la perception familière que l’on pouvait avoir de la Bretagne. A cela s’ajoute le plaisir de découvrir des artistes inconnu.e.s jusque là. Le musée départemental breton a ainsi déjà consacré des expositions aux communautés de peintres venu.e.s de Pologne, Russie, Roumanie et Angleterre. A venir peut-être le Portugal. Et donc, cette saison, de République tchèque, en partenariat avec la Galerie Nationale de Prague, enrichie de prêts d’autres institutions. Une ouverture au monde qui a valu à l’exposition de recevoir le label de l’Année européenne du Patrimoine culturel.
On y retrouve les têtes d’affiche que sont, pour le public français, František Kupka et Alfons Mucha. Le premier, installé à Paris depuis 1896, vient dès 1900 en Bretagne, séduit par le spectacle de la mer, la solitude, une nature sauvage, les « formes fantastiques des rochers et de tout ce qui peut provoquer l’effroi ». Il associe éléments naturels et sensualité féminine comme dans son tableau La Vague, réminiscence de celle d’Hokusai, qui sert de visuel à l’exposition et dont une version plus audacieuse et fraîche, à l’aquarelle et gouache, reproduite dans le catalogue (et présentée au Grand Palais), déshabille entièrement la jeune fille.
Quant au second, ami de Gauguin qui a dû déjà le sensibiliser à la bretagnophilie, c’est sans doute par l’entremise de Sarah Bernhardt pour qui il conçut affiches, costumes et décors de théâtre et qui possédait une maison à Belle-Île-en-Mer qu’il découvrit physiquement la Bretagne. S’il collabora avec l’entreprise nantaise de biscuits LU pour une série de publicités, sa familiarité avec la culture bretonne transparaît surtout dans deux magnifiques panneaux décoratifs aux noms évocateurs - « Bruyère des Falaises » et « Chardon de grève » -, représentants une Bretonne en costume dont les motifs de broderie et dentelle sont reproduits avec exactitude. L’exposition présente études et dessins préparatoires de ces deux chefs-d’oeuvre.
Avant eux, une première génération d’artistes tchèques était venue après avoir émigré en France dans les années 1850 pour des raisons politiques ou attiré par sa vie artistique. Proches de l’Ecole de Barbizon, c’est sans doute par le peintre breton Yan’ Dargent qu’ils fréquentaient à Paris, que les peintres Hippolyt Soběslav Pinkas et Jaroslav Čermák gagnèrent un jour le Finistère, le second tellement séduit par la région qu’il y acquit un terrain à Roscoff, y faisant bâtir une « hutte de pêcheur ». D’autres suivirent : le peintre de paysages Wilhelm Riedel ou Otakar Lebeda qui séjourna à Concarneau comme des artistes du monde entier inspirés par son port, le centre névralgique de cette communauté bohème se trouvant à l’Hôtel de France. Les croquis de Lebeda sont de précieux témoignages sur les us et coutumes locales, comme le furent les gravures de Tavík František Šimon.
La Bretagne vue à travers l’œil de ces artistes tchèques se retrouvait au Salon de Paris, telles les grandes compositions de scènes paysannes de Václav Brožík. Sa Gardeuse d’oies, présentée à Prague, fut achetée par l’empereur François-Joseph Ier qui l’offrit à un musée. L’attrait de tous ces peintres pour la Bretagne réveillait la nostalgie d’un “paradis originel perdu” incarnée dans leur pays par les paysages de la Moravie, joint à la fascination pour l’élément maritime absent chez eux. En 1902, Preissig consacra une série de dessins satyriques aux paysans bretons (à l’origine pour le journal L’Assiette au beurre qui ne les publia pas), se moquant aussi de cette mode des peintres bretonnant.
Suite à l’indépendance de la Tchécoslovaquie en 1918, les années 1920-1930 virent arriver une nouvelle vague d’artistes tchèques en France, Paris, capitale du cosmopolitisme, plus que jamais perçue comme the place to be artistique. Plus individualistes que leurs aînés, plusieurs empruntèrent également le chemin vers la Bretagne. La peintre Vera y vint toujours attirée par l’image de cette “vraie Bretagne”, l’âpreté de son style faisant écho à la rudesse de ses décors. De retour au pays, ses paysages continuèrent de l’inspirer, de manière plus abstraite.
Mais de tous les artistes tchèques charmés par cette région, Jan Zrzavý se distingue, sa rencontre en 1925 étant de l’ordre de la révélation et son amour de la fusion, ensorcelé par le ressac de la mer. Le Finistère devint sa “Bretagne slave”, sujet parfait pour ses “recherches plastiques” qui le mena vers un style figuratif étrange et lunaire, loué par son ami Giorgo de Chirico. Puis la déchirure en 1938 des accords de Munich signés par la France qui entraîna la dislocation de la Tchécoslovaquie, vécue comme une trahison, l’éloigna, presque à tout jamais de ce second pays d’adoption, comme d’autres de ses compatriotes.
Après la Seconde Guerre mondiale, c’est la peintre Toyen qui fréquenta régulièrement la Bretagne, alors que la région hantait déjà son œuvre auparavant sans qu’on sache si elle s’y était déjà rendue. Elle séjourna notamment sur l’île de Sein avec ses amis surréalistes, André Breton en tête, attiré.e.s par l’”esprit celte”, alternative, selon le groupe, à la pensée rationnelle gréco-romaine. En 1949, le couple Breton, Benjamin Péret et Toyen visitèrent Carnac, on aurait bien aimé être là pour recueillir leurs impressions. L’exposition se clôt avec les très belles et énigmatiques oeuvres, aquarelles et sculptures, réalisées dans les années 1950 par Jan Křížek, artiste dans un grand dénuement qui put créer grâce à l’hospitalité d’amis bretons. Cette ouverture à l’Autre, le plus beau visage de la Bretagne.
MUSÉE DÉPARTEMENTAL BRETON, LE FINISTÈRE DE LA PRÉHISTOIRE À NOS JOURS
Le musée départemental breton occupe, depuis 1911, un bel édifice puisqu’il s’agit du Palais des évêques de Cornouailles qui jouxte la cathédrale Saint-Corentin. Sa partie la plus ancienne, la tour de Rohan, date du début du 16e siècle. Son escalier à vis débouche sur un lambris d’origine de toute beauté, une charpente dite « palmier » soutenue par une colonne torsadée. Comme nombre de musées en province, il est né d’une société savante du 19e siècle, la Société archéologique du Finistère (qui existe toujours), dont les membres passionnés écumèrent la région, jetant les bases de ce qui allait constituer l’une des plus importantes collections d’archéologie de l’Ouest de la France. Le parcours commence par la préhistoire pour ensuite dérouler un fil chronologique, dans une muséographie très claire qui date de la fin des années 1990 (cabinet Colboc-Itinérance de Paris), rénovation qui permit de découvrir dans une salle des fresques du 18e siècle. Parmi les pièces d’exception, on remarquera le tombeau de Troïlus de Montdragon du 16è siècle qui fut acquis en 1926, suite à une mobilisation citoyenne pour ne pas le voir partir aux Etats-Unis.
En 1862, le département avait pris le relais de la société savante, élargissant la collecte aux arts populaires et appliqués. Le musée possède ainsi d’extraordinaires ensembles de meubles, céramiques et costumes bretons qui, loin d’être figés dans un passé folklorique, se sont renouvelé tout le long du 20e siècle (sans que soit occultée, ce qui est rare, la production durant la Seconde Guerre mondiale, y compris collaborationniste) et au-delà, grâce à des créateurs et créatrices inspiré.e.s., mixant les tendances du moment à la sauce bretonne : art nouveau, art déco, etc. La section mode est particulièrement impressionnante. On comprend, devant la sophistication des broderies et la coupe des vêtements traditionnels, que des créateurs comme Christian Lacroix, Jean-Paul Gaultier ou Karl Lagerfeld (qui a lui-même fait don de costumes anciens) y aient trouvé l’inspiration. Sans oublier la créatrice rennaise Val Piriou partie trop tôt. A noter les élégants dispositifs tactiles qui ponctuent les salles du musée.
INFOS PRATIQUES
Artistes tchèques en Bretagne. De l’art nouveau au surréalisme, exposition du 16 juin-30 septembre 2018
Tarif 5€/3€ Gratuités habituelles + Gratuit pour tou.te.s le week-end d’octobre à mai
Catalogue Artistes tchèques en Bretagne, collectif, éd. Locus Solus, 128 pages, 23€
Musée départemental breton, 1 rue du Roi Gradlon, 29 000 Quimper
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Infos complètes : musee-breton.finistere.fr
Conditions de visite :: 29 juin 2018, sur invitation de l’agence Alambret Communication : transport, visite, déjeuner, catalogue.