09.10.2017 | ON L’AVAIT QUITTÉ GRISONNANT et recouvert de vigne vierge - ce qui lui donnait un certain charme -, on le retrouve nu et jaune comme une glace à la vanille. Le Centre des monuments nationaux (CMN) vient d’achever la restauration du château de Rambouillet - son enveloppe extérieure, clos et couvert -, afin de l’assainir et en retrouver un aspect plus authentique. Deux ans et demi de disparition sous un impressionnant échafaudage pour plus de 5 millions d’euros puisés dans sa seule cagnotte. C’est là qu’on réalise que l’édifice n’a pas grand intérêt architectural et n’est pas des plus gracieux avec sa tour médiévale trapue où est mort François Ier en 1547 de passage pour une chasse. Et on comprendrait presque Marie-Antoinette qui, le découvrant baignant dans son biotope marécageux transformé en canaux illuminant pourtant le paysage, l’aurait qualifié de gothique et de crapaudière. Ses façades irrégulières remaniées jusqu’au XIXème siècle n’ont rien arrangé. L’entrée est quelconque. Heureusement que les jardins à la française qui l’entourent, restaurés en 1995 par le paysagiste Jacques Sgard, en améliorent la vision avec leurs parterres fleuris.
Son intérêt est ailleurs. Dans son vert environnement et son histoire prestigieuse, dont une partie nous est dévoilée dans une mini-exposition - 10 tableaux font-ils une expo ? - qui nous fait faire le tour du propriétaire au XVIIIème siècle. Les princes de Rambouillet. Portraits de famille est co-organisée par le Château de Versailles avec lequel le CMN poursuit sa collaboration depuis 2014 de monument en monument. Une présence temporaire bienvenue, la visite intérieure du château se résumant à peu de choses.
En 1706, le comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV et de Madame de Montespan, acquiert le domaine qu’il aménage fastueusement. Amiral de France richissime (depuis l’âge de cinq ans !), ce titre lui permet de toucher un dixième de toutes les saisies effectuées sous pavillon français. En reste à Rambouillet une enfilade de pièces - l’appartement d’Assemblée où se déroule l’exposition - aux lambris raffinés couloir bois, décapés sous le Second Empire quand ils devaient être blancs à l’origine comme l’antichambre et le boudoir repeints ainsi au XXème siècle. Pour le reste des pièces, le CMN réfléchit à l’option à prendre.
Fils du comte de Toulouse, le duc de Penthièvre qui apprécie l’endroit pour sa proximité avec Versailles et ses terres giboyeuses, poursuit les aménagements. Dans un tableau célèbre, on le voit avec sa famille posant dans un salon, y compris, détail morbide, sa défunte mère assise un peu à l’écart, roses fanées à ses pieds. Ils boivent du chocolat qui se consommait, comme on le remarque, dans une tasse ou une soucoupe. Le duc crée, sur son domaine, un jardin anglais-chinois selon la mode du moment, avec une rivière sinueuse qu’enjambent des ponts, des fabriques pittoresques la plupart disparues comme un kiosque chinois dont il ne reste que les soubassements - nommés la grotte des amants en souvenir d’un couple qui y serait mort AU XIXème siècle, foudroyé au cours d’une tempête - et un ermitage néo-gothique incendié en 1979. Sans doute l’une des sources d’inspiration pour le Hameau que Marie-Antoinette se fit construire à Versailles quelques années plus tard. Sa belle-fille, veuve très tôt, aime s’y promener. Celle-ci n’est autre que la princesse de Lamballe, surintendante de la Maison de la reine Marie-Antoinette qui s’en lassera mais à qui elle restera fidèle jusqu’à la mort. A la Révolution, elle sera emprisonnée, avant de connaître une fin atroce durant les massacres de septembre 1792.
Dans le parc qui constitue l’un des principaux attraits de la visite aujourd’hui, son beau-père lui fait construire en 1779 une chaumière aux coquillages qui est miraculeusement parvenue jusqu’à nous, rareté dans toute l’Europe. De l’extérieur, on ne devine qu’un petit bâtiment rustique au toit de chaume dont seul un détail intrigue : des fémurs de boeuf sortent des murs. Une technique paysanne pour drainer l’humidité ! Mais quand on pénètre à l’intérieur, on découvre un salon circulaire entièrement recouvert de coquillages de toutes espèces, composant un décor classique, le miroir simulé par de la nacre. Autre fait exceptionnel, la pièce a conservé ses sièges d’origine aux pieds sculptés en roseaux, meubles meublants signés Foliot. Adjacente, une garde-robe aux peintures champêtres contient un placard d’où sortaient des automates proposant à la princesse et ses amies de quoi se repoudrer le nez. Un luxe insensé sous une apparente pauvreté. Comme l’on s’amusait !
Non loin de là, on trouve la célèbre Laiterie de Rambouillet. En 1783, le duc de Penthièvre n’a d’autre choix que de vendre à son cousin Louis XVI le domaine que celui-ci convoite pour en faire une résidence privée. Charmante monarchie. Celui qui est né ici emporte avec lui ses souvenirs - et les cercueils de ses ancêtres - pour s’établir dans l’une de ses nombreuses autres propriétés. A Rambouillet, le roi ne fait pas que chasser, il l’exploite comme terrain de recherches scientifiques dans le domaine agricole, aspect qu’on connaît peu de lui : plantations expérimentales, pépinière d’arbres ramenés d’expéditions lointaines, construction d’une ferme modèle devenue aujourd’hui la Bergerie Nationale sous tutelle du Ministère de l’Agriculture où on élève toujours des moutons Mérinos introduits du temps de Louis XVI.
Marie-Antoinette, on l’a vu, ne goûte guère Rambouillet. Alors, pour la distraire, le roi lui fait construire en cachette un bâtiment et ses dépendances dont on ne devine pas l’usage de l’extérieur. Projet sans doute supervisé par le peintre Hubert Robert, dessinateur des Jardins du Roi qui intervient sur tout le domaine. Une fois terminé en 1787, pour créer la surprise, une palissade de verdure est dressée devant l’édifice qui tombe à l’arrivée de la reine. Apparaît ce qui ressemble à un temple antique. C’est une laiterie de luxe où dans une première salle ronde à éclairage zénithal, l’on déguste les produits. De la vaisselle et du mobilier a été conçu spécialement pour le lieu, aujourd’hui dispersés dans différents musées : tasses, coupes à motif animal et fameux bols-sein, table et sièges d’inspiration étrusque … Comme un décor de théâtre, des portes s’ouvrent sur une pièce plus grande. Au fond, une fontaine en forme de fausse grotte d’où se détache la statue d’une nymphe. Impossible aujourd’hui de la remettre en eau, le Louvre, propriétaire de la sculpture, s’y opposant pour des questions de conservation. Autrefois, elle jaillissait également du sol, sur les côtés, pour rafraîchir des jattes de lait. Une dépense bien inutile puisque Marie-Antoinette ne viendra à Rambouillet que cinq fois, et sans jamais y dormir. Au Hameau de Versailles, elle s’était déjà fait construire une laiterie, beaucoup plus rustique, ce qui était sans doute plus amusant.
Ces deux édifices, chaumière aux coquillages et laiterie, sont les deux clous de la visite à Rambouillet. Fragiles et exigus, ils ne sont accessibles qu’en visite commentée par un agent du château (pas un guide-conférencier donc) et étaient jusque là interdits de photo du fait du statut particulier de Rambouillet comme résidence présidentielle. De manière assez absurde pour raison de sécurité. Son règlement modifié, Rambouillet devient enfin Tous Photographes. Ce qui nous amène à la partie contemporaine de son histoire. Après la Révolution et quelques années d’abandon, Rambouillet est utilisé par les dirigeants successifs de la France qui le réaménagent à leur convenance : Napoléon (dont il reste une salle de bains de style pompéien qui ne se visite pas), Louis XVIII, Charles X qui y abdique, Louis-Philippe qui le loue à des privés, Napoléon III qui le réintègre… Enfin la République y prend ses aises. En 1896, Rambouillet devient officiellement résidence présidentielle, nos gouvernants venant s’y reposer et plus tard accueillir des hôtes étrangers.
En 1955, l’épouse très populaire du Président René Coty y décède d’une crise cardiaque, ce qui crée un émoi national. On y chasse aussi bien sûr, notamment Valéry Giscard d’Estaing qui a surtout marqué l’histoire du domaine en organisant en novembre 1975 le premier G6, réunion diplomatique des grandes puissances économiques. A l’occasion de la réouverture du château à la visite, le CMN a eu la bonne idée de reconstituer la table de son dîner officiel, dressée selon les usages et le protocole de l’époque, dans la salle à manger qui l’accueillit. Ce qui rajoute un élément à la visite du château, constituée sinon uniquement de l’appartement de l’Assemblée où se tient l’exposition. Pour cela, l’établissement a noué un partenariat avec l’Elysée qui a prêté la vaisselle authentique et les chandeliers, a reproduit les cartons de placement des convives, tandis que son personnel ultra qualifié est venu placer au millimètre près tous ces éléments et ses fleuristes composer les bouquets artificiels. Le Mobilier national, également de la partie, a prêté tapis, chaises et pendule. Un beau projet en partenariat entre institutions comme il s’en développe de plus en plus. Le menu exposé nous apprend que le président français et ses homologues étrangers parmi lesquels Helmut Schmidt et Gerald Ford, ont dégusté un tartare de bar au lait de coco, suivi d’un bouchon de veau poêlé accompagné de profiteroles aux épinards... Ce décor devrait rester en place.
Rambouillet n’a jamais perdu sa destinée cynégétique. Dernier chef d’Etat à en avoir profité, à sa demande : le colonel Kadhafi en 2007 reçu par Nicolas Sarkozy. Au grand dam du Protocole puisque les chasses présidentielles n’y étaient plus pratiquées depuis 1995 ; remplacées par des “battues de régulation”. Le site en garde des traces patrimoniales. Ainsi, ce qu’on nomme les tirés, ces haies et succession d’arbres qui participent à diriger l’envol des faisans. En 2016, la Fondation du patrimoine a apporté son soutien pour la restauration et la mise en valeur de ce « site extraordinaire par sa diversité paysagère et biologique ». Reste au CMN qui a récupéré la gestion du monument en 2009, à poursuivre les restaurations à l’intérieur du château. Pas une mince affaire, car si les présidents ont renoncé à venir depuis 2007 (date à laquelle Nicolas Sarkoy “échangea” Rambouillet avec le Premier ministre - dernier venu : Jean-Marc Ayrault - contre la Lanterne de Versailles), le domaine reste en partie sous la tutelle du Palais de l’Elysée. Peut-être pourra-t-on visiter un jour l’ensemble des appartements dont la chambre où serait mort François Ier et où dormit Nelson Mandela.
INFOS PRATIQUES
Les princes de Rambouillet. Portraits de famille / 15 sept. 2017 - 22 janvier 2018
Livret-catalogue, 6€, éd. du Patrimoine & Château de Versailles
Domaine national de Rambouillet - 78120 Rambouillet
Tarifs : 8€ / 6,50€ ou 9€ / 7€ avec la visite commentée de La Laiterie de la reine et la Chaumière aux coquillages (11h15 et 15h30)
Tél. : 01 34 83 00 25
www.chateau-rambouillet.fr
Accessible en train depuis Paris (Gare Montparnasse) > Rambouillet
30-40mn puis 20mn à pied
Conditions de visite :: 14 septembre 2017, sur invitation du CMN : car, déjeuner, visite guidée, documentation.